Le roi laissa passer de nouveau une semaine, puis il ordonna de parer la cour.
Il vint s’asseoir sur le trône d’or, portant des bracelets, la couronne et la ceinture d’or ; à l’un de ses côtés se plaçait le Mobed qui était son vizir, à l’autre Yezdeguerd, le scribe et autour de lui les sages, l’éloquent Buzurdjmihr et les nobles.
Le roi dit alors à Buzurdjmihr :
Pourquoi tenir cachés les joyaux de la sagesse, les paroles salutaires à l’âme, qui donnent de la grandeur à l’homme qui n’avait pas de valeur ?
Le trésor de celui qui parle ne diminue pas pendant qu’il délecte l’esprit de celui qui écoute. »
Le Mobed dit à Buzurdjmihr :
Ô toi qui es plus illustre que le ciel qui tourne !
Connais-tu quelque chose qui te diminue par son accroissement et dont la diminution ne tarde pas à t’accroître ? »
Il répondit :
Moins tu manges, mieux ton corps se portera et plus ton esprit. gagnera et à mesure que tu feras de bonnes actions, tu devanceras tes égaux. »
Yezdeguerd, le scribe, lui dit :
Ô homme éloquent et observateur !
Quels sont les trois défauts que l’homme tient cachés dans son cœur et qui ne lui servent à rien ? »
Il répondit :
Il faut d’abord garder ton cœur contre l’envie de blâmer.
Personne dans le monde n’est sans défaut, s’il veut en secret . tâter son corps et son âme.
Si tu es le supérieur. on te portera envie ; si tu es l’inférieur, ton supérieur te fera verser des larmes.
Puis le délateur et l’homme à double face travaillent à faire sortir de la poussière même de l’eau (à inventer du mal là où il n’y en a pas).
Un homme enfin qui parle hors de propos perd sa dignité et sa réputation ; celui qui n’écoute pas jusqu’au bout n’apprend rien par ce qu’on lui dit ni ne s’y conforme.
Le sage n’attache pas les yeux sur les richesses, et, si elles ne lui arrivent pas, il ne se tord pas de colère. »
Le Grand Mobed lui demanda :
cc Ô toi qui dépasses en sagesse les plus intelligents !
Chacun, dans ce inonde, a ses désirs, qu’il les montre ou qu’il les cache,»
Et il poursuit leur accomplissement par des voies qui montrent aux hommes ce qu’il vaut ; quelle est la voie qui te paraît la plus avantageuse et laquelle est douloureuse, pénible et perni-cieuse ? »
Il répondit :
Il y a une voie double, pense laquelle tu as envie de suivre : l’une est la voie de ceux qui ne respectent rien, elle est pleine re de mauvaises actions ; l’autre est celle de la vertu et de la raison ,-mais il n’y en a qu’une pour rentrer dans la poussière, une voie longue et pleine de terreur et d’effroi.
L’intelligence sera ton guide en cela, c’est à elle que tu dois adresser tes questions sur le pourquoi et le comment.
L’homme intelligent posaède un don de Dieu : regarde qui est digne d’un pareil don.
Un homme fort de corps, qui n’a pas pour compagne la raison, personne dans le monde ne veut se servir de lui.
Là où il n’y a pas de raison, il ne devrait pas y avoir de la vie, car la raison est l’âme de la vie ; Dieu m’en est témoin.
Quand l’homme a acquis les fondements du savoir, il devient propre aux honneurs et aux luttes de la oie.
Le premier usage que tu dois faire du savoir est de te tourner vers Dieu, qui vit et qui vivra toujours ; si tu te confies à lui, tu as atteint le désir de ton cœur, tu es arrivé à l’endroit vers lequel tu tendais.
Le second effet du savoir est de te procurer ce qu’il faut de nourriture.
Évite dans la nourriture et dans les vêtements ce qui est impur et observe en cela les ordres de Dieu.
Si jamais tu as besoin de quelque chose, ne t’adresse pas à l’aide et au trésor des avares.
Choisis un métier qui ne déshonore pas ton nom.
Contracte une grande amitié avec quelqu’un qui puisse t’aider dans un danger.
Sois silencieux dans les assemblées, si tu veux que tout le monde te loue ; quand tu parles, dis ce que tu as appris et ce que l’enseignement a imprimé dans ton âme.
Pèse tes paroles et ne pèse pas les pièces d’or de ton trésor, car un homme sage ne fait pas cas de trésors.
Rends ta langue habile à parler, fais de la raison ton arc et de la parole ta flèche.
Si tu as à . combattre, sois prudent, gare-toi des coups de l’en.-nemi ; quand tes ennemis forment leur rangs, garde
ta prudence et ton sang-froid ; quand tu vois un combattant en face de toi, ne pâlis pas ; tu vaincras en attaquant ; mais si tu montres de la mollesse, ta tête sera abaissée ; quand tu lances ton cheval, l’ais attention, prends garde aux armes de ton adversaire et s’il devient impétueux, ne te détourne pas de lui.
Choisis dans le combat des camarades prudents et si tu n’es pas assez fort pour lutter contre un ennemi, ne l’essaye pas, car ce que veut la prudence, c’est qu’on revienne en vie d’un combat. »
Observe-toi en mangeant, il ne faut pas que ta nourriture te fasse mal ; ne mange rien de trop, cela te nuirait, au lieu que tes forces augmentent si tu es sobre ; ne fais pas de toi un carrefour en mangeant (ne mange pas à toute occasion) ; mange de façon à conserver de l’appétit.
Bois de manière à t’égayer, mais un ivrogne n’entendra jamais un mot d’approbation.
Si tu te voues au service de Dieu, le monde devient comme ton corps et toi comme l’œil du monde.
Parle sans cesse du Créateur et fais de son adoration le fond de tes discours.
Observe profondément le moment pour agir, réserve-toi jour et nuit du temps pour le repos, Choisis le juste milieu en tout ce que tu fais, dans les dévotions, dans les combats et les luttes.
Tu es un souffle de vent, tu es de l’argile pétrie d’eau ; n’oublie pas la voie de Dieu.
N’abrége pas tes prières pour te livrer à un travail incessant ; la loi est ancienne, mais toi maintiens-toi jeune.
Cherche le bonheur et regarde-le comme un butin, regarde-le comme une grâce du Créateur.
Tiens-toi loin de ce qui est mal ; pare-toi de bonnes actions, si tu as du sens.
Celui qui fait le bien en public et en secret sera célébré partout.
Ne laisse pas tes passions l’emporter sur la prudence et la raison, car dès ce moment la raison se détournerait de toi.
Enseigne à tes enfants l’art d’écrire aussitôt que ton existence et celle de ta famille est assurée.
Si tu veux que ton travail porte fruit, ne t’éloigne pas de tes maîtres.
L’art d’écrire fera parvenir un jeune homme à un trône et rendra un homme qui n’était bon à rien digne de la fortune.
C’est le plus honorable des métiers, il rétablit le pouvoir de l’homme tombé.
Si celui qui possède l’art d’écrire sait se servir’ des armes et est de bon conseil, il arrive certainement au droit de s’asseoir devant le roi ; et s’il accoutume son corps aux fatigues, le roi lui donnera des trésors sans mesure.
S’il combine l’éloquence avec l’art.d’écrire et si son esprit s’élargit par la réflexion, il saura choisir avec grâ’ce l’expression la plus brève et la reproduire dans l’écriture la plus élégante.
Il faut que le scribe soit homme de sens et infatigable et se rappelle les mots . qu’on lui dit, qu’il soit prudent, s’accommode il l’humeur du roi, s’abstienne de dire du mal, soit chaste, patient, sage, véridique, de bonne foi, intègre et de bonne mine ; s’il se présente auprès du roi avec ces qualités, il obtiendra certainement un siège devant le trône. »
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Le roi, en écoutant ces paroles, sentit son cœur s’épanouir comme une rose au printemps ; il dit au Grand Mobed :
Va et confère-lui un nouveau degré ; fais apporter de l’argent et une robe d’honneur digne de lui, car ses discours réjouissent l’âme. »
Dernière mise à jour : 28 déc. 2021