Sindokht ayant épuisé le trésor, monta à cheval comme un héros semblable à Aderguschasp.
La tête couverte d’un casque de Roum, assise sur un cheval rapide comme le vent, elle s’avança solennellement vers la cour de Sam, en silence et sans se nommer.
Elle dit aux chefs de la garde d’annoncer sans délai au Pehlewan du monde, qu’un envoyé de Kaboul était arrivé auprès du puissant prince du Zaboulistan, porteur d’un message de Mihrab pour Sam, le chef de l’armée, le maître du monde.
Le gardien du rideau se présenta devant Sam et lui porta le message et Sam ayant accordé l’audience, Sindokht descendit de cheval et entra ; elle courut vers le prince en toute hâte, baisa la terre et invoqua les grâces de Dieu sur le roi et sur le Pehlewan du monde.
Les hommes qui portaient l’or, les esclaves, les chevaux et les éléphants formèrent des rangs depuis la porte du palais jusqu’à une distance de deux milles.
Elle les fit tous amener l’un après l’autre devant Sam et la tête du Pehlewan se troubla lorsqu’il vit tous ces présents.
Il resta assis plein de pensées, semblable à un homme ivre, les bras croisés, la tête baissée, se disant :
Comment se peut-il que d’un endroit où il se trouve de telles richesses, on envoie une femme ?
Si j’accepte tous ces présents, le roi du peuple m’en voudra ; et si je les renvoie et que j’en prive Zal, il étendra ses bras comme le Simurgh étend ses ailes, il entrera en colère et s’irritera contre moi : et que lui répondrai-je à la face du peuple ?
Il releva la tête et dit :
Emportez ces trésors, emmenez ces esclaves et ces éléphants parés, donnez-les au trésorier de mon fils et déposez-les au trésor au nom de la lune du Kaboul.
Sindokht au visage de Péri trouva des paroles devant Sam et son cœur fut en joie, car elle connut que le bonheur arrivait et que le malheur était passé, en voyant agréer son présent.
À côté d’elle étaient trois esclaves, belles comme des idoles, blanches comme des lis, hautes comme des cyprès, tenant chacune en main une coupe pleine de rubis rouges et de perles.
Elles les versèrent devant le Sipehbed en les mêlant ensemble ; et lorsqu’elles se furent acquittées de cet office devant le Pehlewan, on fit sortir de la salle les personnes étrangères.
Sindokht dit à Sam :
Par tes conseils les jeunes gens acquièrent la prudence des vieillards.
Les grands apprennent de toi la sagesse, c’est par ton aide qu’ils rendent brillant le monde obscur.
C’est ton sceau qui a enchaîné la main des méchants, c’est ta massue qui a ouvert la voie de Dieu.
Si quelqu’un a commis une faute, c’est Mihrab et ses paupières se sont mouillées du sang de son cœur.
Mais quel crime ont commis les habitants de Kaboul pour qu’il faille les anéantir ?
Ils ne vivent tous que pour te servir, ils sont tes esclaves et la poussière de tes pieds.
Crains celui qui a créé la raison et le pouvoir, l’étoile brillante du matin et le soleil ; il n’approuverait pas une telle action : ne ceins donc pas tes reins pour verser du sang.
Sam le héros lui dit :
Réponds à toutes mes questions et ne me mens pas.
Es-tu l’esclave ou l’épouse de Mihrab dont Zal a vu la fille ?
Parle-moi de sa beauté, de ses cheveux, de son naturel et de son esprit pour que je sache de qui elle est digne.
Dis-moi sur sa stature, ses traits et ses manières, tout ce que tu as observé.
Sindokht lui répondit :
Ô Pehlewan, chef des Pehlewans et soutien des braves !
Promets-moi d’abord par un grand serment, qui fasse trembler la terre et le pays, que tu épargneras ma vie et la vie de tous ceux qui me sont chers.
Le palais et la salle du roi sont ma demeure, j’ai des trésors et une famille puissante.
Quand je serai sûre de ta protection, je te dirai tout ce que tu m’as demandé et je m’en glorifierai.
Je rechercherai tous les trésors cachés du Kaboul et les enverrai dans le Zaboulistan.
Alors Sam prit la main de Sindokht dans la sienne et lui jura le serment et lui donna sa parole et sa promesse.
Sindokht ayant entendu son serment et ses paroles pleines de droiture et ses promesses, baisa la terre et se relevant, lui dévoila avec vérité tous ses secrets : Je suis, ô Pehlewan, de la famille de Zohak et la femme du vaillant Mihrab à l’âme brillante.
Je suis de même la mère de Roudabeh au visage de lune, sur laquelle Zal verse son âme.
Toute ma famille se tient devant Dieu le saint, dans la nuit sombre, jusqu’à ce que le jour dissipe les ténèbres, invoquant les grâces de Dieu sur toi, sur Zal et sur le roi maître du monde.
Je suis venue pour savoir quel est ton désir et qui sont tes ennemis et tes amis dans Kaboul.
Si nous sommes méchants et de mauvaise race et indignes de ce royaume, me voici devant toi dans ma tristesse ; tue ceux qui le méritent, enchaîne ceux qu’il faut que tu enchaînes, mais ne brûle pas le cœur de ceux de Kaboul qui sont innocents, car une telle action changerait le jour en nuit.
Sam écouta ces paroles ; il vit devant lui une femme de bon conseil et d’un esprit brillant, dont la joue était comme le printemps, la stature comme un cyprès, la taille comme un roseau, la démarche comme celle d’un faisan.
Il lui répondit :
Mon serment est inviolable et dût-il m’en coûter la vie, toi et le Kaboul et tous ceux qui t’appartiennent, vous resterez joyeux de cœur et sains de corps ; de même j’approuve que Zal recherche une compagne telle que Roudabeh.
Vous êtes dignes de la couronne et du trône, quoique vous soyez d’une autre race.
Tel est le monde et il n’y a rien d’humiliant, car on ne peut lutter contre le maître du monde.
Il crée comme il le veut et nous en restons et nous en resterons dans l’étonnement.
L’un est en haut, l’autre est en bas ; l’un est dans le bonheur, l’autre dans l’angoisse ; le cœur de l’un est réjoui par la fortune, le cœur de l’autre est déprimé par le malheur.
La fin de tous est dans le sein de la terre, car chaque génération est la semence d’une autre.
Maintenant je m’occuperai de ton sort, de tes désirs et de tes soucis amers.
J’ai écrit au puissant roi une lettre de supplication, telle qu’en écrit un homme en peine et Zal est allé auprès de lui ; il est parti de manière que tu aurais dit que des ailes l’emportaient.
Il est monté à cheval et a couru comme le vent et le sabot de son cheval a déchiré la terre.
Le roi lui donnera une réponse et s’il le reçoit bien, il sera bien avisé ; car cet élève du Simurgh a perdu l’esprit, son pied s’est enfoncé dans la terre mouillée de ses larmes.
Si sa fiancée l’aime d’un amour égal, ils en mourront tous les deux.
Fais-moi voir une fois cette fille de la race du dragon et tu en seras récompensée ; car je ne doute pas que sa vue ne me plaise et que ses paroles ne me portent bonheur.
Sindokht lui répondit :
Si le Pehlewan veut rendre heureuse son esclave et remplir son âme de joie, qu’il entre à cheval dans mon palais : alors ma tête touchera le ciel sublime.
Quand nous aurons amené à Kaboul un roi tel que toi, nous apporterons tous devant lui notre vie comme offrande.
Elle vit que Sam avait les lèvres pleines de sourire et que toute racine de colère était arrachée de son cœur.
Le vaillant Sam lui répondit en souriant :
Délivre ton cœur de ses soucis, car tout se terminera bientôt selon tes désirs.
Sindokht l’entendit, lui fit ses adieux et sortit du palais joyeuse et la joue colorée comme un rubis, par le plaisir.
Elle envoya un messager plein de cœur et rapide comme le vent pour porter à Mihrab cette bonne nouvelle :
Oublie tout soupçon, réjouis-toi et prépare-toi à recevoir un hôte.
Je suivrai cette lettre en toute hâte, je ne tarderai pas sur la route.
Le second jour, lorsque la source du soleil commença de couler et que les hommes se réveillèrent de leur sommeil, Sindokht, la reine illustre, se dirigea vers le prince maître du trône.
Elle s’approcha lentement de la cour de Sam et tous la saluèrent en l’appelant la plus grande des reines ; elle s’approcha de Sam et le salua et lui parla pendant longtemps de la permission qu’elle demandait de s’en retourner et de revoir dans sa joie le maître de Kaboul, des préparatifs à faire pour recevoir son nouvel hôte et de son désir d’annoncer à Mihrab la nouvelle alliance.
Sam lui dit :
Va et retourne chez toi ; dis au vaillant Mihrab ce que tu as vu.
Puis, il fit préparer un présent digne d’elle et fit choisir ce qu’il y avait de plus précieux dans ses trésors, en partie pour Mihrab et Sindokht, en partie pour Roudabeh qui faisait naître l’amour.
Ensuite tout ce que Sam possédait à Kaboul en palais, en jardins, en plantations et en récoltes, en bêtes à lait, en tapis et en étoffes, il le donna à Sindokht ; et prenant sa main dans la sienne, il lui répéta de nouveau ses promesses, disant :
Va à Kaboul, restes-y sans inquiétude et ne crains plus que tes ennemis te fassent du mal.
Le visage de Sindokht, qui était comme une lune devenue pâle, s’épanouit de nouveau et elle et son cortège reprirent leur chemin sous une bonne étoile.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021