Lohrasp

Lettre du Kaisar à Ilias, à qui il demande un tribut

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Les plus proches voisins du Kaisar étaient les Khazars, qui avaient toujours assombri ses jours.

Le prince du pays des Khazars était Ilias, fils de Mihras, le maître du monde.

Le Kaisar écrivit une lettre à Ilias, telle qu’on aurait dit qu’il avait mis du sang sur la pointe de son roseau.

Tu t’es longtemps joué de nous, ô Khazar, mais maintenant les jours de ton repos sont finis.

Envoie-moi à l’instant un tribut, de lourdes redevances et quelques-uns de tes grands comme otages, sinon Farrukhzad viendra comme un éléphant en fureur et foulera aux pieds ton pays pour me venger.

Ilias lut la lettre, trempa son roseau dans du poison et répondit :

Autrefois il n’y avait pas tant de valeur dans le Roum ; si je ne vous demande pas de tribut, vous devriez être contents dans votre pays.

Vous devez tout ce courage à un seul cavalier, à cet homme qui a trouvé un refuge auprès de vous ; mais sache que ceci est un piège d’Ahriman et que Farrukhzad n’est qu’un seul homme, fût-il semblable à une montagne de fer.

Ne le fatigue pas avec une pareille guerre, car je ne laisserai pas traîner en longueur cette affaire.

Lorsque Mirin et Ahren entendirent parler de tout ceci, d’Ilias et du piège qu’il préparait, Mirin envoya au Kaisar un message et lui fit dire :

Ilias n’est pas un dragon qui se laisse prendre dans un piège, ni un loup qu’on peut tuer par une ruse et qui se tord quand on l’asperge de poison.

Lorsque Ilias attaquera dans sa colère, Farrukhzad, qui ambitionne la possession du monde, pleurera des larmes de sang ; attends-toi donc à ce que cet homme plein d’orgueil se torde de terreur sur le champ de bataille.

Ces paroles rendirent soucieux le Kaisar et il pâlit en pénétrant leurs menées ténébreuses.

Il dit à Farrukhzad :

Tu es un noble homme, tu es comme un ornement placé sur le front de ce pays.

Sache qu’Ilias est un vainqueur de lions ; quand il est en colère, il devient un éléphant au corps d’airain ; dis-moi si tu es de force à lutter contre lui et ne cherche pas en cela à te faire honneur en me trompant ; car, si tu ne crois pas pouvoir lui tenir tête, je m’arrangerai avec lui amicalement, je le ferai revenir par la douceur, je verserai sur lui de bonnes paroles et des trésors.

Guschtasp lui répondit :

Pourquoi tous ces discours et toute cette hésitation ?

Quand je serai monté sur mon destrier dont les pieds impriment leurs traces dans la terre, je ne crains point tout le pays des Khazars ;

mais il ne faut pas qu’au jour du combat il soit question de Mirin et d’Ahren, car ils ne porteraient dans la bataille que leur haine contre moi, leur fausseté et leur disposition digne d’Ahriman.

Quand l’armée des Khazars sortira de son pays, prends avec un de tes fils le commandement de mes troupes et alors, par la force que m’a donnée Dieu l’unique, le victorieux, je m’avancerai avec les braves et ne laisserai en vie ni Ilias ni son armée ;

je détruirai sa grande puissance, son trône et sa couronne ; je le saisirai à la ceinture, l’enlèverai du dos de son cheval, je l’élèverai jusqu’aux nuages et le jetterai sur le sol.

Le lendemain, lorsque le soleil eut paru et eut réfléchi dans l’eau son bouclier d’or, le bruit des trompettes éclata du côté des Khazars et la poussière s’éleva droit jusqu’au soleil.

Le Kaisar, qui portait haut la tête, dit à Guschtasp :

Maintenant fais paraître tes troupes !

Et Guschtasp sortit de Roum ; il aperçut l’armée et les héros des Khazars dans la plaine, s’avança, tenant une massue à tête de bœuf, semblable à un cyprès élancé sur le bord d’un courant d’eau, choisit dans la plaine son champ de bataille et fit voler la poussière jusqu’aux nuages.

Quand Ilias vit la poitrine et la stature de cet homme et comment sa main brandissait la massue, il envoya un cavalier auprès de lui pour tromper son esprit subtil.

Le messager s’avança et lui dit :

Ô homme plein de fierté !

ne déploie pas tant de bravoure pour le Kaisar ;

car maintenant tu es le seul cavalier de cette armée, tu es son printemps, tu es son héros.

écarte-toi du milieu des deux armées ; pourquoi te tiens-tu ainsi, l’écume sur la lèvre ?

Ilias est un lion au jour du combat, il viendra te rejoindre plus rapidement que la poussière ;

si tu veux des présents, il est riche et il est inutile que tu uses ta main dans les fatigues pour obtenir ce que tu peux désirer ; choisis une part de la terre et tu en seras le maître ; Ilias sera ton ami et ton subordonné et ne se détachera jamais de ton alliance.

Guschtasp lui répondit :

Il est trop tard !

On a prononcé des paroles sans mesure, tu as commencé cette querelle et maintenant tu reviens sur ce que tu as dit ; mais les discours ne servent plus à rien.

Il est temps de lutter et d’engager le combat.

Le messager s’en retourna, allant comme le vent et apporta à Ilias la réponse qu’il avait reçue ; mais comme le soleil pâlissait sur la crête des montagnes, il était trop tard pour livrer une bataille ; la nuit vint et enveloppa d’un voile couleur d’ébène la face rouge du soleil.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021