Le Kaisar fit construire devant son palais une tribune qui ressemblait à son trône brillant ; ses deux gendres se rendirent au cirque et réjouirent son cœur enchanté, en tirant des flèches, en jouant à la balle, en joutant avec des lances ; en faisant tourner leurs chevaux avec un art parfait ils s’élançaient à gauche et à droite, on aurait dit que l’équitation n’était faite que pour eux.
Quelque temps s’étant ainsi passé, la sage Kitaboun s’approcha de Guschtasp et lui dit :
Ô toi qui es assis tristement, pourquoi affliger ton âme de soucis ?
Il y a à Roum deux grands plus puissants que les autres ; ils possèdent des couronnes, des trésors et des diadèmes : l’un d’eux est celui qui a tué le vaillant dragon, il a affronté bien des dangers sans tourner le dos ; l’autre est celui qui a fendu la peau au loup et tout le Roum est plein de sa gloire.
Or ils se trouvent sur le cirque du Kaisar, recueillant de l’honneur, combattant et faisant voler la poussière jusqu’au ciel.
Va à l’endroit où se tient le Kaisar et regarde : il se peut que les chagrins de ton cœur en soient soulagés.
Guschtasp lui répondit :
Ô mon épouse fidèle !
Lorsque ton père, le chef de ce peuple, chasse de la ville son gendre, comment veux-tu qu’il agisse comme il convient à un homme, quand il me voit ?
Néanmoins, si tu le désires, je suivrai ton avis, ô mon guide !
Il demanda alors qu’on plaçât la selle sur un cheval qui enroulait la terre sous ses pieds ; il partit et arriva au cirque du Kaisar, s’avança jusqu’à ce qu’il pût voir les coups de raquette, demanda aux joueurs une balle et une raquette et lança la balle droit parmi les cavaliers, tout en poussant son cheval.
Les mains et les pieds des héros s’arrêtèrent, personne ne revit dans le cirque la balle que Guschtasp avait lancée : elle avait disparu sous le coup de sa raquette.
Où donc un cavalier aurait-il pu la trouver, si vite qu’il eût couru ?
Les cavaliers pâlirent, toute la place était en confusion et pleine du bruit des voix.
Ils se décidèrent alors à prendre les arcs et les flèches de bois de peuplier et quelques-uns des plus braves s’avançèrent.
Guschtasp, voyant ce tumulte, se dit :
Voici le moment de montrer son talent,
Jeta la raquette, saisit un arc et tout Roum leva les mains au-dessus de la tête d’étonnement de ses coups.
Le Kaisar regarda cet homme qui portait haut la tête, il regarda ses mains, ses bras et ses longs étriers et demanda :
D’où vient ce cavalier qui s’élance ainsi à droite et à gauche ?
J’ai vu bien des braves qui portaient haut la tête, mais jamais je n’ai entendu parler d’un homme comme lui.
Appelez-le pour que je lui demande qui il est, si c’est un ange ou un homme comme nous ?
On appela Guschtasp devant le Kaisar, dont l’âme soupçonneuse tremblait ;
Il prodigua à Guschtasp les noms de vaillant cavalier, chef des braves, diadème sur le front des grands et lui adressa des questions sur sa patrie, son nom et sa famille.
Le jeune homme ne répondit pas à ses questions ; mais il lui dit :
Je suis ce vil étranger que le Kaisar a éloigné de la ville.
Lorsque je suis devenu son gendre, il m’a chassé de la ville et personne n’a lu mon nom sur la liste de la cour.
Kitaboun a été injustement traitée par le Kaisar, parce qu’elle a choisi un mari étranger ; elle n’a rien fait que conformément aux mœurs du pays et cet acte de droiture lui a valu de mauvais traitements.
Le loup malfaisant dans la forêt, le dragon terrible dans la montagne, ont été abattus par mes coups et Heischoui a été mon guide dans ces affaires.
J’ai encore dans ma maison les dents de ces bêtes et les brèches de mon épée sont mes preuves.
Que le Kaisar interroge là-dessus Heischoui ; car c’est une histoire toute récente et non une affaire ancienne.
Lorsque Heischoui fut arrivé et eut apporté les dents et raconté ce qui s’était passé, le Kaisar se mit à demander pardon à Guschtasp et lui dit :
Ô jeune homme, le temps de cette injustice est passé.
Où est cette noble Kitaboun ?
Si tu m’appelles son tyran, ce n’est pas sans raison.
Il se mit en colère contre Mirin et Ahren et remarqua que jamais rien ne reste secret.
Ensuite, il monta sur un cheval aux pieds de vent et alla chez cette femme aux mœurs pures.
Il rendit hommage à sa fille, la beauté au sein des lis, à l’esprit sage, disant :
Ô ma fille au visage de lune !
Tu as choisi un mari qui est digne de toi, tu as fait lever plus haut la tête à toute ta famille par ce bon acier que tu as façonné.
Quand sa fille le vit dans cette attitude humble, elle s’approcha de lui, les mains croisées et lui rendit hommage en l’adorant et en parlant pendant longtemps tout bas dans la poussière.
Alors, il lui dit :
Ne lui as-tu jamais demandé qui était sa famille ?
Peut-être t’a-t-il dévoilé son secret.
Elle répondit :
Je l’ai souvent questionné, mais je ne l’ai jamais vu même s’approcher de la vérité.
Il ne veut pas dire son secret devant moi ; il cache à tous quelle a été sa demeure, quel est son pays, quelle est sa naissance ;
il dit que son nom est Farrukhzad.
Mon opinion est qu’il est de grande famille, car il est avide de combats et un vaillant héros.
Là-dessus le Kaisar rentra dans son palais et le ciel tourna ainsi pendant quelque temps sur le monde.
Un matin Guschtasp se leva et ce jeune homme plein de sens se rendit auprès du Kaisar.
Celui-ci resta confondu à son aspect ; il le fit asseoir sur le trône d’or et fit tirer du trésor une ceinture, un anneau et un magnifique diadème impérial ; ensuite il l’embrassa, lui plaça sur la tête le diadème et se mit à parler de ce qui s’était passé ;
Ensuite, il dit à tous ceux qui étaient présents :
Faites attention, ô vous, jeunes et vieux !
Vous tous obéirez à Farrukhzad, vous ne vous écarterez ni de ses ordres ni de son exemple.
Le même avis fut donné dans tout l’empire à chaque roi et à chaque prince.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021