Lorsque Guschtasp arriva à la mer, il descendit de cheval et un receveur de péages le vit ; c’était un vieillard du nom de Heischoui, homme généreux, de bon conseil, prudent et heureux.
Guschtasp le salua et lui dit :
Puisse la raison être toujours la compagne de ton âme pure !
Je suis un scribe du pays d’Iran, qui cherche à acquérir un nom ; je suis intelligent et d’un esprit serein et observateur.
Si tu me fais passer cette mer dans une barque, je t’en aurai une reconnaissance éternelle.
Heischoui lui répondit :
Tu es digne d’une couronne ou au moins d’une cuirasse et d’une épée et propre à dévastera un pays.
Dévoile ton secret et confie-le-moi, mais n’essaye pas à traverser ainsi la mer.
Il faut ou me faire un présent ou me dire la vérité, car tu n’as ni l’air, ni les manières d’un scribe.
Guschtasp écouta Heischoui et lui dit :
Je n’ai pas de secret pour toi et je te donnerai volontiers tout ce que tu demanderas, ce diadème ou ce sceau, ou de l’or ou mon épée.
Il lui donna une poignée de pièces d’or ; le receveur en fut content, se mit sur-le-champ à déployer la voile d’une barque et amena l’ambitieux jeune homme dans la ville où résidait le Kaisar.
C’était une ville dans le pays de Roum, dont l’étendue était de plus de trois farsangs ; elle avait été construite par le puissant Selm et était devenue le siège des vaillants Kaisars.
Lorsque Guschtasp y entra, il y chercha pour gîte un endroit désert et erra pendant une semaine dans Roum, demandant du travail dans cette ville riche, car il avait dépensé et donné tout ce qu’il possédait, de sorte que son cœur plein de justice n’était pas satisfait.
En errant ainsi dans la ville il entra dans le palais et dans les bureaux du Kaisar et dit au chef du divan :
Ô homme secourable, je suis un scribe du pays d’Iran qui cherche à acquérir un nom ; je voudrais t’aider dans ta besogne et ferai bien tout ce qui est à faire dans le bureau.
Les scribes qui se trouvaient au palais se firent des signes l’un à l’autre en disant tout bas :
Cet homme ferait crier un roseau d’acier et sa main brûlerait le papier ; il faudrait le monter sur un puissant destrier et suspendre à son bras un arc, à sa selle un lacet.
Ensuite ils lui dirent à haute voix :
Nous avons déjà plus d’écrivains qu’il ne nous en faut, ô homme intelligent.
À ces paroles Guschtasp sortit du bureau, le cœur plein de douleur, les joues pâles et se dirigea, en poussant un grand soupir, vers le gardien des chevaux du roi.
C’était un homme généreux, vaillant, prudent et juste, dont le nom était Bessad.
Le jeune homme qui portait haut la tête s’approcha de Bessad, le bénit et le salua humblement.
Le gardien le regarda et le reçut amicalement, le fit asseoir à côté de lui et lui dit :
Qui es-tu, dis-Ie-moi, car tu as la dignité et l’aspect d’un roi ?
Guschtasp lui répondit :
Ô homme illustre, je puis monter un jeune cheval bravement et comme il convient à un cavalier.
Si tu veux me garder, je me rendrai utile, je t’aiderai quand tu auras de la peine et du mal.
Bessad lui répondit :
Ne parle pas ainsi, tu es un étranger et tu parais un homme distingué.
Il y a là le désert et la mer et les chevaux courent en liberté, comment pourrais-je confier un troupeau à un inconnu ?
Guschtasp l’écouta et partit soucieux ; on aurait dit que la peau se fendait sur son corps ; il se dit :
Quiconque fait de la peine à son père recueille lui-même des peines plus grandes.
Ensuite, il s’élança rapidement, courant vers les chameliers du roi et dit à leur chef :
Puisse ton esprit rester éveillé et serein !
Quand cet homme de sens vit Guschtasp, il s’avança vers lui et lui assigna la place d’honneur ; il étendit en toute hâte un tapis et lui apporta quelque chose à manger.
Guschtasp lui adressa de nouveau la parole et lui dit :
Ô ami fortuné et à l’âme tranquille !
Confie-moi une caravane de chameaux et, s’il te plait, assigne-moi une paye.
Le chamelier lui répondit :
Ô homme. au cœur de lion, cette besogne ne te conviendra jamais.
Pourquoi me demander quelque chose à moi ?
Tu ferais mieux de t’adresser au Kaisar, qui te mettra sur-le-champ au-dessus du besoin ; ne t’adresse qu’à la cour et si tu veux, je te donnerai un cheval de bonne mine et un homme qui te servira de guide.
Guschtasp le salua et le quitta, se dirigeant vers la ville, en grande détresse ; ses soucis pesaient sur son esprit et il se rendit au quartier des forgerons.
Là il y avait un homme notable, nommé Bourab ,un bon et joyeux forgeron, qui ferrait les chevaux du roi et que le Kaisar estimait hautement ; il avait trente-cinq ouvriers et apprentis qui se fatiguaient avec le marteau et le fer.
Guschtasp resta longtemps assis dans son atelier et à la fin l’artisan s’ennuya de le voir là et lui dit :
Ô homme bienveillant, que désires tu dans mon atelier ?
Guschtasp lui répondit :
Ô homme à la fortune propice, je n’ai point peur du marteau et d’un rude travail.
Si tu veux me garder, je t’aiderai et je travaillerai vaillamment avec ce marteau et cette enclume.
Quand Bourab entendit ces paroles, il consentit à se faire aider par lui ; il chauffa une grande masse de fer dans le feu et la traina sur l’enclume quand elle fut chaude.
On donna à Guschtasp un lourd marteau et les forgerons formèrent un cercle autour de lui.
Il donna un coup de marteau et brisa l’enclume et la masse de fer et tout le marché retentit d’exclamations.
Bourab fut effrayé et lui dit :
Ô jeune homme, ni l’enclume, ni le marteau, ni le fer, ni la pierre, ni le soufflet ne résistent à tes coups !
Guschtasp fut désespéré à ces paroles, jeta le marteau et partit dévoré de faim, car il n’avait aucun moyen de se procurer de la nourriture et un logis.
Mais ni la misère, ni la richesse, ni le repos, ni la joie, ni les fatigues ne durent pour personne ; le bien et le mal passent également sur nous et quiconque a du sens ne se laisse jamais abattre.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021