Un grand tumulte s’éleva dans l’armée des Iraniens et tous les braves se couvrirent de leurs casques.
Le cœur de Thous était gonflé de sang, ses yeux versaient des larmes et il se revêtit précipitamment de sa cuirasse.
Il se lamentait de la mort de ces deux braves, il tremblait comme une branche de tremble ;
Il monta à cheval, semblable à une haute montagne sur laquelle on aurait placé un éléphant de guerre et se dirigea vers Firoud, l’âme remplie de haine et la tête pleine d’orgueil.
L’éloquent Tokhareh dit :
Voici un furieux éléphant qui monte vers nous ;
C’est le Sipehdar Thous ;
Il vient te combattre, mais tu ne peux résister à ce crocodile plein d’expérience.
Viens, nous fermerons avec soin la porte du château et attendrons la décision du sort.
Tu as tué son fils et son gendre, ne songe donc plus aux banquets.
Le jeune Firoud dit avec colère à Tokhareh :
Quand il s’agit de luttes et de batailles, qu’est-ce que Thous, qu’est-ce qu’un éléphant, un lion furieux, un léopard courageux ou un tigre ?
Ils succombent tous quand c’est un homme qui les combat et ce ne sont pas eux qui me consumeront par la flamme de leur colère.
Tokhareh l’expérimenté répondit :
Il ne faut pas que les rois méprisent les conseils ;
Tu n’es qu’un cavalier isolé et quand même tu serais de fer, quand même tu pourrais arracher un rocher de sa base, il y a trente mille Iraniens illustres qui viendront te combattre sur cette montagne, qui anéantiront tout et ne laisseront subsister ici ni ce château, ni une pierre, ni un grain de poussière ;
Et si Thous périssait de ta main, Khosrou serait affligé de sa perte et tu ferais tort au projet qu’il a de venger ton père, un tort qu’il ne pourrait peut-être jamais réparer.
Tourne donc bride, ne lance plus de flèches, rentre au château et ne livre pas un combat insensé !
Mais il n’ajouta pas à ces paroles ce qu’il aurait dû y ajouter et lui cacha une partie de la vérité ; de sorte que la folie de ce vil Destour poussa Firoud au combat et lui fit perdre la vie.
Car sa résidence était un château dans lequel demeuraient quatre-vingts esclaves et ces belles au visage de lune se tenaient sur le rempart, regardant ce qui se passait et causant.
Firoud, lorsqu’il s’agit de faire retraite, fut honteux à cause d’elles, il arrangea la bride de son cheval, se raffermit sur la selle et plaça sur son arc une flèche de bois de peuplier.
Tokhareh dit au vaillant roi :
Si tu es résolue à combattre l’illustre Thous, garde toi de le tuer et abats seulement son cheval ;
Car les princes ne se battent pas à pied, quelque grand que soit l’embarras où ils se trouvent.
D’ailleurs tu ne réussirais pas à le tuer avec une flèche ordinaire ;
Et aussitôt que le Sipehbed aurait atteint la crête de la montagne, toute son armée le suivrait sans doute.
Tu ne peux lui résister et tu n’as jamais vu les rides terribles de son front.
Firoud approuva ces paroles, banda son arc, le tendit et lança une flèche contre le cheval du Sipehbed, comme un cavalier doit les lancer de son arc.
Le destrier baissa la tête et tomba mort ;
Thous, le cœur plein de rage, la tête remplie de vent, s’en retourna au camp à pied, le bouclier pendu à son cou, couvert de poussière et tout confondu.
Firoud le poursuivit de ses sarcasmes :
Qu’est-il donc arrivé à cet illustre Pehlewan, qui est venu combattre un cavalier seul ?
Pourquoi s’en retourne-t-il si fièrement vers les rangs de son armée ?
Les esclaves de Firoud poussaient des éclats de rire et leurs voix montaient au dessus du ciel lorsqu’elles s’écriaient :
Voilà un vieillard qui roule en bas de la montagne, de peur des flèches de ce jeune homme !
Lorsque le Sipehbed fut de retour de la montagne, ses braves l’entourèrent remplis de soucis ; ils le saluèrent l’un après l’autre, en disant :
Ô illustre Pehlewan du monde, te voilà revenu sain et sauf et nous n’avons pas à te pleurer.
Mais le noble Guiv était honteux de voir revenir à pied le vaillant Sipehdar et il dit :
Firoud ne sait pas se mettre à sa place et l’éclat des joues des héros est terni.
Quand même il serait un prince portant la boucle d’oreille de la royauté, comment peut-il traiter avec tant de mépris cette grande armée ?
Il ne faut pas que nous nous soumettions à de telles prétentions de sa part.
Thous s’est peut-être montré trop emporté, mais Firoud a rempli le monde de discorde ;
Nous avons tous dévoué notre vie à venger Siawusch, mais il ne faut pas que nous souffrions en silence cette disgrâce.
Le noble Zerasp, le courageux cavalier, le petit-fils de Newder, a été tué et Rivniz est noyé dans son sang : quelle nouvelle honte attendons-nous ?
Firoud est de la race de Djemschid et de la souche de Kobad, mais il a ouvert une porte sans savoir où il irait.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021