Akwan le voyant de loin endormi, accourut comme le vent auprès de lui, creusa la terre tout autour, souleva la motte sur laquelle il était couché et l’éleva jusqu’au ciel.
Lorsque Rustem se réveilla, il fut consterné, il trembla et son esprit se remplit de peur ; il se dit :
Cet infâme Div m’a tendu un piège meurtrier.
Adieu mon courage, ma force et mes membres et mes bons coups d’épée et de massue.
Si je péris, le monde sera dévasté et tous les désirs d’Afrasiab seront accomplis ;
Il ne restera ni Gouderz, ni Khosrou, ni Thous, ni le trône, ni la couronne, ni les éléphants ni les timbales.
Mon entreprise porte malheur au monde et mon projet prend une triste fin.
Qui est-ce qui me vengera de ce Div horrible ?
Hélas !
Jamais il ne trouvera un adversaire comme moi.
Pendant que Rustem tremblait ainsi pour sa vie, Akwan lui dit :
Ô héros au corps d’éléphant, dis-moi où tu veux que je te laisse tomber du haut des nues ?
Veux-tu que je te jette dans la mer, ou sur la montagne où tu tomberas loin des hommes ?
Rustem réfléchit sur ces paroles ; il vit que le monde était entre les mains de l’infâme Div ; il se dit :
S’il me jette sur la montagne, mon corps et mes os seront brisés.
Mais il fera certainement le contraire de ce que je lui demande ;
Car il ne connaît pas les serments et ne tiendra pas une promesse : si je lui dis de me jeter à l’eau pour que la gueule des crocodiles me serve de linceul, cet affreux Div me jettera à l’instant sur la montagne pour que je m’y brise.
Il faut donc que je m’avise d’une ruse pour le porter à me lancer dans la mer.
Il lui répondit :
Un savant de la Chine m’a dit une chose qui s’applique ici, c’est que l’âme de ceux qui périssent dans l’eau ne verra pas le Serosch dans le paradis ; Qu’elle errera misérablement sur la terre et ne trouvera pas de repos dans l’autre monde.
Jette-moi donc sur la montagne pour que les tigres et les lions voient comment sont faites les mains d’un brave.
À ces paroles de Rustem, le Div Akwan mugit comme la mer en fureur et lui dit :
Je veux te jeter dans un lieu où tu resteras caché entre les deux mondes, où tu erreras misérablement sur la terre et ne trouveras pas de repos dans le ciel.
Il le précipita dans la mer profonde pour que les intestins des poissons lui servissent de linceul.
Mais Rustem, aussitôt que du haut des nues il fut tombé dans l’eau, tira son épée de combat et les crocodiles s’enfuirent timidement en voyant avec quelle bravoure il les attaquait.
Il nagea avec la main et le pied gauches ;
Il se défendit contre ses ennemis avec la main et le pied droits.
Il ne perdit pas un instant pour agir ; c’est ainsi que fait le véritable homme de guerre.
S’il était possible qu’un homme écartât à jamais la mort par sa bravoure, jamais le destin n’aurait pu faire périr Rustem ;
Mais telle est la rotation de la fortune, qu’un jour elle t’apporte du miel et un autre du poison.
Rustem lutta si bravement contre la mer qu’il atteignit la côte ;
Il aborda et vit devant lui la plaine d’où il était parti ;
Il rendit grâce au Créateur qui avait sauvé son serviteur du pouvoir du méchant ;
Puis, il se reposa, après avoir desserré sa ceinture, déposé le Bebr-i-beyau à côté d’une source et jeté par terre son lacet et son armure mouillés, de sorte que le lion furieux ne restait revêtu que de sa cotte de mailles.
Ensuite, il se rendit à la source près de laquelle il avait dormi et le vil Div fut confondu en le voyant.
Mais le brillant Raksch ne se trouvait plus dans la prairie et son maître ambitieux maudit le sort ;
Il se mit en colère, se chargea de la selle et de la bride et suivit les traces de Raksch jusqu’au matin.
Telle est la coutume de ce monde cruel, tantôt il te place sur le dos de la selle, tantôt il met la selle sur ton dos.
Rustem marchait ainsi cherchant du gibier, lorsqu’il vit devant lui une prairie arrosée par des eaux vives et couverte de tous côtés de bécasses et de tourterelles qui piétinaient.
Le gardien du troupeau de chevaux d’Afrasiab dormait dans le bois et Raksch courait comme un Div parmi les cavales en hennissant au milieu du troupeau.
Aussitôt que Rustem l’aperçut, il jeta son lacet de Keïanide, prit sa tête dans le nœud, essuya la poussière qui le couvrait, lui mit la selle et rendit grâce à Dieu le secourable ;
Il lui jeta la bride sur le cou, monta dessus, posa la main sur la garde de son épée tranchante et se mit à pousser devant lui tout le troupeau en invoquant le nom de Dieu sur son épée.
Au bruit que faisaient les chevaux, le gardien se réveilla et leva la tête ;
Il appela les cavaliers qui étaient à ses ordres et les fit monter sur des destriers qui portaient la tête haute.
Chacun prit son lacet et son arc pour voir quel était l’ennemi qui osait s’aventurer dans cette prairie et s’approcher d’une garde si nombreuse.
Tous ces cavaliers le poursuivirent chaudement pour déchirer la peau de ce lion ;
Mais Rustem, qui les vit accourir, tira du fourreau son épée tranchante, rugit comme un lion et proclama son nom, disant :
Je suis Rustem fils de Destan fils de Sam !
Il en tua les deux tiers avec son épée ;
Et le gardien du troupeau voyant cela, lui tourna le dos et s’enfuit.
Rustem le poursuivit, l’arc suspendu à son bras par la corde.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021