Quand les affaires des grands furent arrangées, le roi des rois était malade de fatigue ; mais il restait un nom, parmi ceux des grands, qui n’avait pas paru sur cette liste de décrets du roi : c’était celui de Lohrasp.
Le roi ordonna à Bijen d’amener Lohrasp devant lui,.couvert de son caSque.
Quand le maître du monde le vit, il se leva vivement, le bénit, étendit. la main vers lui, descendit de son illustre trône d’ivoire, ôta de sa tête la couronne qui réjouissait les cœurs, la remit à Lohrasp et le salua roi du pays d’Iran, disant :
Que ton nouveau trône te porte bonheur, que le monde entier soit ton esclave !
Je te donne ma royauté et mes trésors, après avoir réprouvé bien des chagrins et des fatigues.
Doréna-
-vant ne prononce plus une parole qui ne soit juste, car c’est par la justice que tu obtiendras la victoire et le bonheur.
Ne donne pas accès au Div dans ton âme, si tu veux que ta fortune reste toujours jeune.
Sois prudent, ne te laisse pas aller à la colère, observe toujours tes paroles. »
Ensuite, il dit aux Iraniens :
Puissiez-vous jouir du bonheur à l’ombre de son trône et par l’influence de sa fortune ! »
Les Iraniens étaient confondus de ces paroles et tous rugirent comme des lions furieux ; ils restèrent stupéfaits de ce qu’ils auraient à donner à Lohrasp le titre de roi.
Zal se leva au milieu d’eux et dit franchement ce qu’il avait dans le cœur en adressant au grand roi ces paroles :
Il peut te plaire de vouloir rendre honoré ce qui n’est que vile’poussière ; mais quiconque appellera sérieusement Lohrasp roi, que la tête de sa fortune soit couverte de poussière !
Que la thériaque se change en poison dans sa bouche !
Jamais nous ne nous soumettrons à cette injustice.
Quand Lohrasp est arrivé dans l’Iran auprès de Zerasp, je l’ai vu ; il était pauvre et n’avait qu’un seul cheval.
Tu l’as envoyé à la guerre contre les Mains, tu lui as donné une armée, un drapeau et une ceinture et le roi n’a pas pensé un seul instant à tant d’autres de ses grands, des descendants des rois.
Je ne connais pas son origine, je ne sais quelle est sa famille ; jamais je n’ai entendu parler d’un roi de cette espèce. »
Lorsque le Destan fils de Sam eut prononcé ces paroles, toute l’assemblée lui témoigna sa sympathie et l’on entendit les voix des Iraniens qui s’écriaient :
Dorénavant, ô roi, nous ne te servirons plus !
Aucun de nous n’ira à la guerre, si le roi place Lohrasp au-dessus de nous. »
Khosrou écouta les paroles du Destan et lui répondit :
Ne parle pas avec précipitation et en colère, car quiconque dit une chose injuste n’obtient du feu que la fumée.
Dieu n’approuve pas en nous le mal et les méchants ont à trembler devant la rotation du sort.
C’est Dieu qui donne à un homme la bonne fortune, le rend digne de la royauté et en fait un ornement pour le trône.
Le Créateur du monde m’est témoin, quand j’assure que Lohrasp possède toutes ces vertus ; il a de la modestie, de la piété et une grande naissance ; il sera un roi noble, victorieux et ami de la justice.
Il est descendant de Houscheng, le maître du monde ; il a de la prudence, de la sagacité et de l’intégrité ; il exterminera les magiciens, il mettra en évidence la voie de Dieu le très-saint.
Son époque sera rajeunie par ses conseils et son fils, dont la foi est pure, agira demême.
Saluez-le comme roi, et, par amour pour moi, ne vous écartez pas de mon avis.
Quiconque désobéira à mes dernières volontés perdra le prix de*toutes les fatigues qu’il aura supportées pour moi, il deviendra rebelle à Dieu et de toute part son cœur sera envahi de terreurs. »
’ Lorsque Zal eut entendu ces paroles saintes, il étendit ses bras et posa ses doigts sur la terre ; il souilla ses lèvres en baisant la poussière noire, reo connut à haute voix Lohrasp comme roi et dit au roi du monde :
Puisses-tu être heureux !
Puisse la main du malheur ne jamais l’atteindre !
Qui pouvait savoir, si ce n’est le roi noble et victorieux, que Lohrasp était de race royale ?
En lui prêtant serment, prosterné sur la terre noire, j’ai souillé mes lèvres ; ne me l’impute pas à faute. »
Les grands versèrent des pierreries sur Lohrasp et lui rendirent hommage comme à leur roi.
Le roi bienheureux dit aux Iraniens :
Adieu, ô trône qui ravis le cœur !
Quand j’aurai quitté cette vile terre, je prierai Dieu, le très-saint, pour qu’il vous réunisse de nouveau à moi. »
Il baisa sur la joue tous les grands, pour prendre congé et en versant beaucoup de larmes.
Il embrassa tous les héros en faisant entendre des cris d’angoisse et disant :
0h !
Si je pouvais emmener avec moi toute cette assemblée ! »
Toute l’armée de l’Iran poussa un cri tel que le soleil s’égara dans les cieux ; les enfants, les hommes et les femmes derrière les rideaux, la foule dans les rues et les marchés et les assemblées firent retentir l’air de lamentations et de soupirs et de chaque carrefour on entendit les cris du deuil.du roi.
Khosrou dit alors aux Iraniens :
Demain vous prendrez la même route que moi.
Vous tous qui avez un beau nom et une grande naissance, soyez contents de ce que fait le Seigneur.
Je vais maintenant préparer mon esprit à la mort.
Je pars en laissant une bonne renommée ; je n’ai pas attaché mon cœur à cette demeure passagère, de sorte que le Serosch daigne me servir de guide. »
Ayant ainsi parlé, il fit amener du vestibule son cheval et se rendit à son palais royal, le visage triste et sa taille de cyprès courbée, pendant que son armée invoquait le secours de Dieu.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021