Khosrou apposa son sceau sur la lettre ; Guiv la prit, salua le roi, se rendit dans son palais et s’apprêta en grande hâte pour le voyage du Seistan.
Il. fit monter à cheval tous les cavaliers de sa maison, se recommanda à Dieu en prononçant son nom et s’avança dans le désert et sur la route du Hirmend.
Il marcha rapidement comme un messager, il s’élança comme une bête fauve que l’on chasse et fit chaque jour deux journées de marche.
Il courut comme un homme dont le cœur est blessé et qui dévore le chemin ; et c’est ainsi quelliu’ et son cortège arrivèrent près de Gourabeh.
Du haut de sa tour la sentinelle l’aperçut et elle fit retentir sa voix vers le Zaboulistan, criant que du côté du Hirmend s’avançait un cavalier entouré d’une escorte nombreuse, qu’on voyait derrière lui un brillant étendard et qu’il tenait dans sa main une épée de Pehlewan.
Destan fils de Sam entendit le cri de la sentinelle et ordonna qu’on mît la bride à son destrier.
Il lança son cheval et alla à la rencontre de l’étranger pour voir si ce n’était pas un ennemi.
Quand il aperçut sur la route Guiv le visage défait, il courut tindevant de lui tout étonné et disant en lui-même :
Il est arrivé quelque chose de grave au roi, car c’est Guiv qu’on envoie de l’Iran. »
Le Pehlewan et son cortège, lorsqu’ils furent près de Destan, lui barrèrent le chemin en le saluant et Destan demanda aux Iraniens des nouvelles du roi et de la guerre contre le Touran.
Guiv le salua comme les grands l’en avaient chargé, au nom du roi et des héros de noble naissance ; ensuite il lui confia tous !
Les soucis de son cœur et l’angoisse que lui causait la perte de son fils, en ajoutant :
C’est pour cela que tu ne vois pas de couleur sur mes joues et que le dessus de mes pieds est taché de sang comme la robe du léopard. »
Ensuite, il demanda où était Tehemten, en disant :
ce Où est donc Rustem ? »
Destan répondit :
Rustem est à la chasse aux onagres, mais il va revenir au coucher du soleil. »
Guiv dit :
Je vais aller le rejoindre, pour lui remettre une lettre de Khosrou. »
Destan répondit :
Ne t’éloigne pas, car le héros va revenir du désert où il chasse.
Reste ici jusqu’à son retour, passe la journée avec moi pour que je fête ton arrivée. »
’ Ils partirent tous deux pour le palais de Zal, chevauchant et causant ; et au moment où Guiv arrivait au palais, Tehemten revint de la chasse.
Guiv courut à sa rencontre sur la route, descendit de cheval et le salua le cœur plein d’émotion, le visage coloré, les joues inondées de deux torrents de larmes.
Quand Rustem vit Guiv le cœur blessé et le visage mouillé de larmes qui tombaient des cils de ses yeux, il se dit en lui-même :
Mon Dieu !
Tout est donc perdu,.le pays d’Iran et le roi et la fortune ! »
Il sauta à bas de son cheval, serra Guiv dans ses bras et lui demanda des nouvelles de Khosrou maître de la couronne, de Gouderz, de Thous, de Gustehem et de tous les héros, grands et petits ; de Schapour, de Ferhad et de Bijen, de Rehham, de Gourguin et de tous les autres.
Lorsque l’oreille de Guiv fut frappée du nom de Bijen, il poussa involontairement un cri de douleur et dit à Rustem :
Ô glorieux héros, l’élu de tous les rois de la terre, je suis heureux maintenant que je t’ai vu et que j’ai entendu tes questions et tes bonnes paroles.
Tous ceux que tu as nommés se portent bien, ils te saluent et sont tes amis ; mais tu ne sais pas comment le malheur a fondu sur ma tête de vieillard, comment le mauvais œil a frappé la famille de Gouderz et quel revers a éprouvé notre fortune.
J’avais dans le monde un seul enfant, qui était pour moi non seulement un fils, mais un sage conseiller ; maintenant il a disparu : jamais pareil malheur n’avait atteint ma famille.
Depuis lors, j’ai été tel que tu me vois, assis sur mon destrier, courant jour et nuit ; le soleil s’est obscurci pour moi ; jour et nuit j’ai cherché comme un insensé dans le monde entier des traces de Bijen.
Enfin le jour de la fête des Keïanides, le jour de Hormuzd du mois de Ferwerdin, le roi s’est présenté devant Dieu le créateur, tenant en main la coupe qui réfléchit l’image du monde ; il a poussé des cris de douleur, in. il a prononcé des prières sans nombre ; ensuite il est revenu du temple du feu dans son palais, s’est revêtu de ses robes royales, est monté sur son trône, a placé devant lui la coupe brillante et a regardé sur tous les points pendant fort longtemps l’image qu’elle présentait ; à la fin il m’a annoncé que Bijen est ce dans le Touran, chargé de lourdes chaînes et accablé de malheurs.
Après me l’avoir montré en cet état dans la coupe, il m’a fait partir en toute hâte pour te chercher, ô Pehlewan.
Me voici donc ici le cœur plein d’espérance, les joues pâles, les yeux ternes.
Je t’ai toujours vu apparaître comme un sauveur, je t’ai toujours vu prêt à te ceindre pour aider tous ceux qui ont besoin d’aide. »
Il parla ainsi les yeux remplis de larmes de fiel et poussant des soupirs ; ensuite il remit à Rustem la lettre et lui raconta tout ce qu’avait fait Gourguin.
Rustem prit la lettre les yeux pleins de larmes, le cœur rempli de haine contre Afrasiab ; il poussa des cris de douleur sur le sort de Bijen et des larmes de sang tombèrent sur sa poitrine ; car il était depuis longtemps allié de la famille de Gouderz ; la femme de Guiv était la fille du fier Rustem, qui lui-même avait épousé une sœur de Guiv et avait de cette noble épouse un fils, le vaillant Faramourz ; et Bijen le héros, qui élevait la tête plus haut que tout le peuple, était fils de la fille de Rustem au corps d’éléphant.
Rustem dit à Guiv :
Ne t’en inquiète pas, car Rustem ne dessellera pas .Baksch avant d’avoir saisi de sa main la main de Bijen, rompu ses chaînes et renversé sa prison.
Avec la force que Dieu m’a donnée et obéissant aux ordres du roi, j’arracherai au Touran sa couronne et son trône"
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021