Le roi des Turcs, aussitôt que la nuit eut envahi le ciel, revêtit ses armes de combat, lui et son armée, Il appela les plus expérimentés de ses guerriers et parla longuement des choses passées ; ensuite il ajouta :
Cet homme vil et traître s’est approché follement de l’armée de son grand-père.
Sans doute à cette heure ses troupes sont endormies, dispersées dans la plaine et sur la montagne ; rejetons donc de nos Cœurs toute crainte et surpre-
’nons les Iraniens à llaube du jour.
Si nous réussissons à les vaincre cette nuit, vous me verrez remonter sur mon trône ; mais si notre fortune ne retrouve pas sa splendeur, c’est que tout n’est que déception et la bravoure n’est qu’un mensonge. »
Les grands approuvèrent ce plan et se. levèrent pour se préparer au combat de nuit.
Afrasiab choisit tu cinquante mille cavaliers de son armée, des hommes pleins d’expérience, qui frappaient du poignard.
Il se fit précéder par des éclaireurs, de vieux soldats remplis d’ardeur pour le combat.
Le guide des éclaireurs se rendit près du camp de Khosrou, nulle part il n’entendit une voix de garde de nuit ; il trouva tout le monde en repos ; il n’aperçut ni une ronde, ni du feu, ni un souffle de vent ; personne n’avait l’air de penser aux Touraniens.
Voyant cela, il s’en retourna en courant et dit :
Personne parmi eux n’a l’esprit lucide ; ils dorment tous d’un sommeil de mort, ou ils ont passé leur journée à boire du vin ; on ne voit nulle part une ronde et dans toute la plaine il n’y a debout que les broussailles. »
Afrasiab entendit ces paroles et son cœur en fut rempli de joie.
Il fit partir son armée, monta à cheval lui-même et lui et ses héros prirent leurs armes de combat.
Les Turcs partirent, semblables aux flots de la mer ; ils avaient hâte de se jeter sur l’ennemi.
Leur marche se fit tranquillement, sans bruit, sans son de clairon, sans cris ; mais lorsqu’ils furent près du camp des Iraniens, les trompettes éclatèrent, les timbales suspendues aux pommeaux des selles se firent entendre et le drapeau noir s’éleva haut dans l’air.
Toute l’avant-garde de l’armée lança ses chevaux et poussa des cris, mais une partie des cavaliers tomba dans le fossé et le reste se déroba au combat.
D’un côté s’avança Rustem, qui revenait de la plaine, et
Keï l’air se remplit de la poussière que faisaient lever ses chevaux ; de l’autre côté arrivèrent Guiv, Thous et Gouderz, précédés de clairons et,de timbales ; enfin le roi des rois s’avança avec le drapeau de Kaweh et l’air devint violet par la masse des épées de ses cavaliers.
Alors on vit des coups donnés et reçus, des hommes captifs et morts ; et les chevaux perdirent baleine et les hommes la raison.
Il ne resta pas en vie dix Touraniens sur cent et ceux qui survécurent furent forcés de s’enfuir par leur mauvaise étoile.
Lorsque le roi de Touran reçut ces nouvelles du champ de bataille, il en fut tellement affligé, que même les blessés qui pleuraient et se lamentaient se mirent à gémir sur sa douleur.
Il dit :
Il n’y a pas de sagesse qui puisse échapper à la rotationydu ciel.
Qu’importe que l’ennemi nous ravisse la vie, frappons encore un coup désespéré !
Il faut ou périr jusqu’au dernier, ou ressaisir la couronne d’1-redj. »
Les cris des combattants s’élevèrent des deux camps, le monde fut rempli du son des trompettes d’airain et les Jeux armées, occupant une ligne de trois farsangs, saisirent les javelots elles épées ; le champ de bataille devint comme une mer, on ne voyait plus ni le soleil brillant ni la lune.
Les troupes s’avancèrent par corps d’armée, comme les vagues que soulève la tempête.
On aurait dit que les vallées et les plaines n’étaient que du sang et que le soleil avait disparu de la sphère céleste ; personne n’avait pitié de son I
Ne ces nons. !
Propre corps et la face du ciel était comme couverte de goudron.
Alors s’éleva un vent tel que personne ne se souvenait d’un pareil : il souleva la poussière du champ de bataille et la lança sur la tête et dans les yeux des Touraniens, leur arracha les casques et le roi des Turcs resta confondu.
Toute la plaine n’était que sangr et cervelles et le sable prit la couleur de la jujube.
Les cavaliers turcs, qui, dans leurs jours de loisir, regardaient comme rien la chasse aux léopards, virent qu’ils ne pouvaient lutter contre le ciel qui soulevait la terre et la poussière du désert.
Khosrou, lorsqu’il vit cette tourmente qui s’élevait et le courage et la fortune des Iraniens qui s’affermissaient, s’avança du centre de son armée, accompagné de Rustem, de Guiv, de Gouderz et de Thous et précédé par les timbales ; le centre entier de l’armée s’ébranla ; d’un côté marchait le roi, de l’autre Rustem ; l’air était rempli de poussière comme d’un brouillard, mais d’un brouillard d’où il pleuvait des coups de massue et d’épée ; partout on voyait des monceaux de morts comme des montagnes et des fontaines de sang jaillirent sous les deux armées ; l’air devint comme un voile bleu, la terre comme une mer de sang et tant de flèches traversaient le ciel, qu’il ressemblait à l’aile de l’aigle.
Afrasiab regarda consterné, il vit paraître le brillant drapeau violet de Khosrou et cacha le sien au centre de ses troupes.
Il abandonna son armée rangée on Q
H7 bataille, lui et les grandS’du Touran s’enfuirent ; il emmena mille hommes vaillants de ses alliés, des . hommes propres au combat et chercha à travers la campagne la route du désert, sauvant sa vie des mains de ses ennemis en fatiguant son corps.
Khosrou chercha son grand-père dans les rangs de l’armée, il se précipita vers le centre des Turcs, pressant son cheval avec ’étrier et se hâtant, mais il ne vit pas une trace d’Afrasiab.
Les Turcs regardèrent le centre de leur armée et ne virent plus le drapeau noir ; alors ils implorèrent la grâce du roi Keïanide et jetèrent leurs armes.
Khosrou les reçut avec bonté et leur assigna un lieu séparé de ses troupes ; il fit placer un trône d’or, parer l’intérieur d’une tente d’ornements chinois, apporter du vin et amener des musiciens, appela en grand nombre les chefs de son armée et passa la nuit, jusqu’à la clarté du jour, dans une fête qui faisait sortir les morts du sein de la terre noire.
Lorsque le soleil éleva sa main dans la voûte céleste et déchira avec ses ongles les joues sombres de la nuit, le roi des rois, roi de l’Iran, se lava la tête et le corps et chercha un lieu pour ses prières, où aucun des Iraniens ne pût le voir, où aucune bête fauve ne pût entendre sa voix.
Depuis le matin jus- .qu’à ce que la lune fût montée sur son trône d’ivoire et eût placé sur sa tête sa couronne qui ravit les cœurs, le roi resta en adoration devant Dieu, le remerciant de cette tournure heureuse de sa fortune, frottant sans cesse son front dans la poussière et inondant ses’joues de deux ruisseaux de larmes.
De . la il revint vers son trône et sa couronne, marchant fièrement, joyeux de cœur et comblé de bonheur.
On releva de la poussière du champ de bataille tous les Iraniens qui gisaient par terre, qu’ils fussent morts ou encore en vie, mais on jeta de côté avec dédain les corps des ennemis et à mesure que le champ de bataille fut déblayé de leurs cadavres, on le couvrit de tombeaux pour les Iraniens.
Khosrou abandonna à son armée tout le butin qu’on trouva sur le champ de bataille et s’en retourna à Ganguibehischt avec ses troupes pourvues de tout ce qu’il faut pour le combat.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021