Keï Kaous

Siawusch traverse le feu

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Le roi Keï Kaous était rempli de soucis à l’égard de son fils et de Soudabeh aux traces sinistres et il disait :

Si l’un des deux se trouve coupable, qui dorénavant voudra m’appeler roi ?

Car il s’agit de mon fils et de ma femme, de mon sang et de ma moelle.

Qui peut être plus malheureux que moi !

Néanmoins il vaut mieux que je délivre mon âme de ces soupçons cruels et que je recoure à ce moyen douloureux.

Qu’a dit ce roij aux paroles sages ?

On ne saurait exercer la royauté quand le cœur est inquiet. »

Kaous ordonna à son Destour de faire amener du désert, par les chameliers, cent caravanes de dromadaires.

Les dromadaires partirent pour chercher du bois et tout le pays d’Iran vint les voir.

Les dromadaires au poil roux et pleins d’ardeur apportèrent en cent voyages du bois que l’on empila haut comme le firmament et dont la masse excédait tout calcul.

I On voyait le bûcher de la distance de deux farsangs et chacun dit :

Voici la clef de ce mystère d’iniquité,»

Et chacun voulut voir comment la vérité sortirait de la fourberie et du mensonge.

Quand tu auras écouté jusqu’à la fin cette histoire, tu feras bien de te méfier des femmes.

Ne choisis amais qu’une femme pure, car une méchante femme couvrirait ton front de honte.

On éleva sur la plaine deux montagnes de bois et les hommes vinrent en foule les regarder ; on laissa au milieu un passage tel qu’un cavalier armé pouvait à peine le traverser à cheval.

Ensuite le roi glorieux ordonna de verser du naphte noir sur le bois et deux cents hommes s’avancèrent pour allumer le feu ; ils le soufflaient et tu aurais dit que la nuit arrivait au milieu du jour, car leurs efforts ne produisirent d’abord que de la fumée noire.

Mais bientôt des langues de feu la percèrent, la terre devint plus brillante que le ciel, les hommes poussèrent des cris et le feu s’élança.

Le peuple qui couvrait la plaine souffrait de la chaleur et pleurait sur Siawusch au visage souriant, qui s’approcha de son père ,

Un casque d’or sur la tête, vêtu de blanc, calme, le sourire sur les lèvres, le cœur plein d’espérance.

Il était assis sur un destrier noir dont les sabots faisaient voler la poussière jusqu’à la lune.

Il versa du camphre sur son corps, comme on fait quand on prépare un linceul.

Arrivé devant Kaous, il descendit de cheval et le salua ; les joues de Kaous étaient rouges de honte et il adressa à son fils des paroles douces.

Siawusch lui dit :

Ne crains rien !

Car c’est ainsi que l’a voulu la rotation du ciel.

Ma tête est maintenant couverte de honte et d’ignominie ; la délivrance m’attend si je suis innocent ; mais si je suis coupable de ce crime, Dieu le créateur m’ai bandonnera.

Grâce à la force que me donnera Dieu, l’auteur de tout bien, le cœur ne me faudra pas devant cette montagne de feu. »

Siawusch s’approcha du bûcher en disant :

Ô Dieu !

Toi qui es au-dessus de tout besoin, permets-moi de passer à travers cette montagne de feu et délivre-moi de la honte qui me couvre aux yeux demon père. »

Ayant exhalé ainsi sa grande douleur, il lança son cheval noir rapidement comme la fumée.

Un cri s’éleva de la plaine et de la ville et le monde fut saisi de douleur.

Soudabeh entendant le cri qui venait de la plaine, monta de la salle sur le toit de son palais et regarda le feu ; elle souhaitait qu’il arrivât malheur à Siawusch, elle poussait des cris et l’injuriait.

Les hommes tenaient les yeux fixés

KEI mou s sur Kaous, la bouche pleine d’imprécations, les lèvres tremblantes de colère.

Siawusch poussa son cheval noir dans le feu, tu aurais dit qu’il le caparaçonnait de flammes, car le feu s’élançait de tous côtés et personne ne vit plus le casque et le cheval de Siawusch.

Toute la plaine était couverte d’yeux pleins de sang et regardant avec anxiété comment il sortirait du feu ; et il sortit du feu, le noble jeune homme, les lèvres souriantes, les joues comme des feuilles de rose.

Quand les hommes le virent, il s’éleva un seul cri : Le jeune roi est sorti du feu ! »

Le cheval, le cavalier et sa robe parurent frais ; tu aurais dit qu’il portait un lis sur sa poitrine.

Et s’il eût traversé la mer, il n’aurait pas été mouillé et sa robe n’aurait pas porté trace d’humidité.

Quand Dieu le très-saint l’ordonne, le souffle du feu et le souffle du vent ne font qu’un.

Lorsque Siawusch sortit de cette montagne de feu pour entrer dans la plaine, la ville et le désert retentirent de cris.

Les cavaliers de l’armée accoururent vers lui et le peuple qui couvrait la plaine versait de l’argent sur son chemin ; ce fut une joie immense dans le monde, parmi les petits et les grands.

Ils se donnèrent l’un à l’autre la bonne nouvelle que Dieu avait sauvé l’innocent ; mais Soudabeh s’arrachait les cheveux, elle versait des larmes et s’en baignait le visage.

Le chaste Siawusch arriva devant son père sans porter aucune trace de fumée et de feu, de pous-

Sière et de terre ; Kaous descendit de cheval et toute l’armée suivit l’exemple du roi.

Siawusch ayant échappé aux flammes de cette montagne de feu et déjoué tous les desseins de ses ennemis, s’avança vers le maître du monde et se prosterna le visage contre terre.

Le roi lui dit :

Ô mon fils, ô vaillant jeune homme, issu d’une race pure, doué d’une âme brillante, tu es tel que doit être le fils d’une sainte mère, né pour être le roi du monde. »

Il le pressa contre son sein et lui demanda pardon de ce qu’il avait fait contre lui.

Ensuite, il se rendit dans son palais et s’assit, dans la joie de son cœur, la couronne des Keïanides sur la tête.

Il fit apporter du vin et appeler des musiciens et accorda à Siawusch tout ce qu’il lui demandait.

Il passa ainsi trois jours en fête et à boire du vin et la porte de son trésor n’était fermée ni avec un sceau ni avec une clef.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021