Keï Kaous

Siawusch joue à la balle

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Lorsque le soleil brillant se dévoila, montrant d’en haut sa face au monde entier, Siawusch se rendit du palais dans le Meïdan et en fit le tour en jouant à la balle.

Guersiwez arriva et lança une balle, Siawusch courut après et la frappa du creux de sa raquette, pendant que son adversaire ne toucha que le sol.

Siawusch la lança avec la raquette de manière à la faire disparaître ; tu aurais dit que le ciel l’avait attirée à lui.

Ensuite, il dit aux braves qui cherchaient la gloire :

Le Meïdan, les raquettes et les balles sont à vous. »

Ils coururent sur la place et enlevèrent en un instant la balle aux Turcs ; Siawusch fut fier des Iraniens et se redressa comme un noble cyprès.

Ensuite, il fit apporter un trône d’or et ordonna un combat aux javelots dans le Meïdan ; et les cavaliers s’élançant sur la place comme un tourbillon de poussière, combattirent avec leurs javelots, pendant que les deux princes, assis sur le trône d’or, décidaient qui s’était montré le plus habile.

Guersiwez dit à Siawusch :

Ô roi plein de brar1 voure, héritier des rois, plus illustre encore par la bravoure que par la naissance !

Montre aux Turcs ton art à te servir de la pointe de la lance, des flèches et de l’arc, manie les rênes et fais une joute. »

Siawusch posa les mains sur la poitrine en oigne d’ obéissance, quitta le trône où il était assis et monta à cheval.

On lia ensemble cinq cuirasses, dont chacune était assez lourde pour fatiguer la poitrine d’un homme ; on les plaça au bout de la lice et toute l’armée regarda Siawusch pour voir ce qu’il allait faire.

Il prit une lance digne d’un roi ; c’était un souvenir de son père, qui s’en était servi dans la guerre du Mazenderan et en avait percé des lions à la chasse.

Il descendit dans la lice, cette lance en main, se précipita comme un éléphant en fureur, frappa les cuirasses de la lance et les enleva.

Aucun bouton et aucune maille de ces cuirasses ne tenait plus ; Siawusch revint de sa course portant haut la lance et éparpillant de tous côtés les cuirasses.

Les cavaliers et Guersiwez avide de combats vinrent armés de longues lances ; ils tournèrent longtemps autour de ces cuirasses, mais ils n’en soulevèrent de terre aucune dont les mailles ne fussent rompues.

Siawusch demanda alors quatre boucliers du Ghilan, deux de bois et deux d’acier brillant ; il demanda des flèches de bois de peuplier, en mit six dans sa ceinture et en garda une dans la main ; il posa une flèche sur l’arc et se raffermit sur les étriers ; toute l’armée avait les yeux sur lui.

Le trait du roi illustre traversa les quatre boucliers de bois et de fer et c’est.

Ainsi qu’il lança ses flèches grosses comme trois autres flèches, aux acclamations de tous, jeunes et vieux ; chacun de ces boucliers était percé et toute la multitude appelait les grâces de Dieu sur Siawusch.

Guersiwez lui dit :

Ô roi !

Tu n’as pas ton égal dans l’Iran et dans le Touran.

Viens, pour que nous luttions dans cette lice en présence de l’armée ; nous nous saisirons par la courroie de la ceinture, comme deux braves qui se combattent.

Je n’ai pas d’égal parmi les Turcs et tu ne trouveras pas beaucoup de chevaux comme le mien ; et toi aussi tu n’as pas ton pareil dans le pays d’Iran, ni en force ni en stature.

Si je parviens à l’enlever de selle et à te jeter par terre avant que tu t’y attendes, tu reconnaîtras que je suis plus fort que toi, meil-leur cavalier et plus expert dans les jeux du Meidan ; si au contraire tu me jettes par terre, je ne me montrerai plus sur un champ de bataille. »

Siawusch répondit :

Ne parle pas de celai ; tu es un prince et un lion avide de combats ; ton cheval est le roi du mien et ton casque est sacré pour moi comme Aderguschasp.

Désigne un Touranien autre que toi pour qu’il se mesure avec moi sans me garder rancune. »

Guersiwez reprit :

Ô toi qui recherches la gloire !

Un jeu ne fait pas naître de la colère, parce que deux hommes luttent ensemble et se saisissent par la ceinture. »

Siawusch lui répondit :

Tu as tort ; je ne puis pas lutter avec toi. ce Un combat entre deux hommes a beau n’être qu’une joute, il produit la colère lors même que la bouche des combattants sourit.

Tu es le frère du roi, tu foules la lune sous les pieds de ton cheval ; ce je suis prêt à t’obéir en toutes choses, mais sur ce R point je rejette ton avis et n’accepte pas ton défi.

Choisis parmi tes compagnons un lion vaillant, fais-le monter sur ce cheval ardent ; et puisque tu veux que je combatte, tu verra : que les têtes les plus hautes sont au-dessous de la poussière de mes pieds et je m’elïorcerai de n’avoir pas à rougir de ce combat devant le roi illustre»

: L’ambitieux Guersiwez sourit et fut flatté de ces paroles ; il dit aux Turcs :

Qui d’entre vous, â guerriers qui portez haut la tête, désire se faire un renom dans le monde, soutenir une lutte contre Siawusch et jeter dans la poussière le chef des braves Ï ? »

Les Turcs ne voulurent ni entendre ni répondre, excepté Gueroui Zereh, qui s’avança, disant :

rrJe suis digne de ce combat, si Siawusch ne trouve pas d’autre antagoniste. »

Le front de Siawusch se rida à ces paroles de Gueroui Zereh et ses joues se contractèrent.

Guersiwez lui dit :

Ô roi !

Ne choisis-tu pas un second parmi les braves de l’armée ? »

Siawusch lui répondit :

Puisque je suis dispensé de me battre contre toi, je fais peu de cas d’une lutte contre les grands ; que deux : ! Ü d’entre eux se préparent à se mesurer avec moi dans la lice. »

Or il y avait un Turc, un brave qui n’avait pas son pareil en force dans le Touran ; son nom était Demour.

Il entendit les paroles de Siawusch, courut rapidement comme la fumée vers Gueroui et s’équipa en toute hâte.

Demour et Gueroui fondirent sur Siawusch, qui se préparait à l’attaque.

Gueroui Zereh porta la main sur la ceinture de Siawusch et la tordit comme pour faire un nœud ; mais Siawusch le saisit par la courroie de la ceinture et lui fit sentir la grande force de son bras ; il l’enleva de selle et le jeta par terre, sans avoir eu besoin de la massue et du lacet.

Il s’élança ensuite sur Demour, le saisit fortement à la poitrine et au cou et l’enleva si lestement de selle que les braves en restèrent confondus ; il l’apporta à Guersiwez sans lui faire de mal ; tu aurais dit qu’il portait sous le bras une poule.

Ensuite, il descendit de cheval, lâcha Demour et monta en souriant sur le trône d’or.

Guersiwez fut courroucé de ce que Siawusch avait fait ; son âme devint soucieuse et ses joues pâlirent.

Ils quittèrent le trône d’or et s’en retournèrent au palais ; tu aurais dit qu’ils portaient la tête plus haut que Saturne et tous les grands aux traces fortunées banquetèrent pendant sept jours avec du vin et de la musique.

Le huitième jour Guersiwez et les siens firent leurs préparatifs de départ et Siawusch, malgré les soupçons qu’il avait conçus en secret, écrivit au roi une lettre remplie d’expressions de soumission et de questions amicales.

Ensuite, il fit à Guersiwez beaucoup de présents et les Turcs partirent joyeusement de cette belle ville, devisant entre eux longuement des hauts faits du roi et de la beauté de son pays.

Mais Guersiwez, qui était avide de vengeance, leur dit :

Il nous est venu du malheur de l’Iran ; le roi a appelé de ce pays un homme qui nous fait asseoir honteusement dans notre sang : deux lions terribles, comme Demour et Gueroui, deux héros pleins d’ardeur pour le combat, étaient faibles, impuissants et sans force entre les mains de ce cavalier seul, au cœur impur.

Cette affaire ne finira pas paisiblement ; elle a mal commencé et se terminera mal. »

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021