Rustem envoya auprès du roi Kaous un homme prudent et habile à découvrir le chemin et lui fit dire :
Je viens avec une grande armée pour combattre le roi du Hamaveran.
Réjouis-toi et n’aie pas de soucis, car j’arrive dans le pays où tu te trouves.
Un autre d’entre les grands pleins de fierté partit pour aller auprès du roi du Hamaveran avec une lettre de Rustem remplie de menaces et ne parlant que de massues, d’épées et de combats :
Tu as trahi le roi de l’Iran ; tu as tramé de mauvais desseins pendant que tu concluais une alliance avec lui ; il n’est pas digne d’un homme de recourir aux ruses dans le combat ; tu n’es pas venu comme un crocodile courageux qui ne prépare pas d’embuscades, quel que soit le désir de vengeance qui l’anime.
Ce n’est qu’en rendant la liberté à Kaous que tu échapperas à la griffe et au souffle du dragon.
Sinon prépare-toi à me combattre et à mesurer ta force avec la mienne.
Tu dois avoir appris des grands de ta cour comment j’ai fait la guerre dans le Mazenderan, comment j’ai combattu Poulad fils de Rhandi et Bid et ce que j’ai fait du Div blanc.
Lorsque la lettre fut scellée, le messager partit et se hâta de parcourir sa route.
Il se rendit auprès du roi du Hamaveran et s’acquitta du message de Rustem.
Le roi l’écouta, lut la lettre et resta confondu des suites de son action.
Il lut la lettre et sa tête se troubla et le monde devint sombre devant ses yeux.
Néanmoins, il répondit :
J’espère faire de sorte que Keï Kaous ne remette jamais les pieds dans la plaine ; et si jamais tu viens dans le Berberistan, tu trouveras mes cavaliers tenant les rênes de leurs chevaux et tes chaînes et ta prison sont prêtes si tu persistes dans ton projet.
Je viendrai te combattre, moi et mon armée : telle est notre coutume et notre manière d’agir.
Le messager ayant ouï ces paroles, s’en retourna auprès de son maître avide de renom et répéta à Rustem tout ce qu’on lui avait dit, en ajoutant :
J’ai vu que c’était un insensé et un compagnon du Div ; aussi sa réponse est-elle inconvenante, car Ahriman a rempli sa tête de fumée.
Quand le héros au corps d’éléphant eut entendu cette réponse, les braves de son armée se rassemblèrent, le son des trompettes, se fit entendre, Rustem monta sur Raksch et se tourna vers la mer profonde pour aller a la guerre, car le chemin de terre était trop long.
Des guerriers nombreux montèrent sur les vaisseaux et les barques et se dirigèrent vers le Hamaveran, se préparant à saccager et à tuer et endurcissant leurs cœurs contre toute pitié.
Dès que le roi du Hamaveran eut nouvelle de l’approche de cette armée et qu’il sut que Rustem cherchait vengeance, il vit qu’il fallait partir sur-le-champ pour le combat, car ce n’était pas le temps de se reposer et de tarder.
Il se hâta donc et toute la frontière retentit du bruit des armes et le monde fut en émoi du pillage et des flots du sang versé.
Le jour brillant se convertit en nuit obscure, lorsque le roi eut quitté la ville avec ses guerriers ; tu aurais dit que le bruit des trompettes et des clochettes indiennes ébranlait le ciel.
On rangea les armées à droite et à gauche ; on appela au combat les guerriers illustres et Rustem au corps d’éléphant dit :
Je suis un brave, mais je sais attendre le moment propice sur le champ de bataille.
Il se revêtit de sa cuirasse de combat et s’assit sur Raksch son cheval rapide ; il posa sa pesante massue sur son épaule, lança son cheval et s’avança avec fureur.
Quand ses ennemis virent sa poitrine, ses bras et la massue de fer dans sa main, tu aurais dit que leurs cœurs avaient abandonné leurs corps ; leur multitude épouvantée se dispersa devant lui et ils arrivèrent en foule dans la ville de Hamaveran, fuyant devant Tehemten.
Le roi s’assit avec ses conseillers et appela deux jeunes gens de l’assemblée à qui il ordonna de partir sur-le-champ pour l’Égypte et pour le pays de Berber, rapidement comme le vent, portant chacun une lettre écrite par le roi dans la douleur de son âme et avec des larmes de sang.
Voici ces lettres :
Il n’y a pas loin d’un de nos royaumes à l’autre et le bonheur et le malheur, les combats et les fêtes, tout a été commun entre nous.
Si vous veniez vous réunir à moi, je combattrai Rustem sans crainte ; sinon le malheur s’étendra de moi jusqu’à vous tous, car Rustem conduira partout son armée.
Lorsqu’ils reçurent ces lettres qui annonçaient que Rustem amenait son armée de ce côté, ils se levèrent tous, le cœur effrayé, ils assemblèrent les armées des trois royaumes et se dirigèrent vers le Hamaveran.
La terre devint semblable à une montagne d’une frontière à l’autre ; d’une montagne à l’antre les armées étendirent leurs rangs et la lune disparut sous la poussière que faisaient lever les guerriers.
Rustem voyant ces préparatifs, dépêcha en secret un brave vers Kaous et lui fit dire :
Les rois des trois pays, remplis d’une ardeur guerrière, s’avancent ensemble contre moi.
Quand je secouerai mon poignet, ces braves ne distingueront plus la tête des pieds, mais il ne faut pas qu’il t’arrive malheur dans cette lutte, car on doit toujours s’attendre à du mal de la part des méchants.
Je ne désire pas la couronne du Berberistan, si elle doit mettre en danger la vie du roi.
Kaous répondit :
N’aie aucun égard à ma personne ; le monde n’a pas été créé pour moi, et, depuis que le ciel tourne, le poison se trouve à côté du miel et la haine à côté a de l’amour.
D’ailleurs Dieu le tout-puissant est mon protecteur et mon asile et sa grâce est ma forteresse.
Abandonne les rênes à Raksch le rapide ; couche sur ses oreilles le fer de ta lance et ne laisse vivre aucun de nos ennemis ni au grand jour ni dans les ténèbres.
Quand Rustem eut entendu cette réponse, il se couvrit de son armure et courut vers le champ de bataille ; il lança Raksch son cheval rapide et alla au-devant de ceux qui voulaient combattre.
Il s’avança vers eux et leur offrit la bataille ; il chercha des yeux ses ennemis.
Le héros vaillant se porta seul à la rencontre des braves, sans s’inquiéter qu’ils fussent en grand ou en petit nombre ; mais personne n’osa se mesurer avec lui et il attendit longtemps jusqu’à ce que le soleil brillant se couchât dans la mer et que la nuit sombre s’avançât rapidement ; alors le noble Rustem au corps d’éléphant se hâta de rentrer dans son camp.
Il resta couché sous sa tente jusqu’à ce que la nuit fût passée ; et le lendemain, quand le jour brillant eut paru, il sortit et forma de nouveau les rangs de son armée de héros.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021