Le lendemain donc on disposa les troupes ; des deux côtés on arbora les étendards.
Tehemten conduisit son armée sur le champ de bataille et voyant les trois rois et leurs armées, il dit à ses braves qui portaient haut la tête :
Ne fermez pas vos paupières aujourd’hui, regardez la crinière et le cou, la tête et la bride de vos chevaux, tenez les yeux ouverts sur le fer de vos lances.
Que nos ennemis soient cent cavaliers ou cent mille, ce n’est pas le nombre qui décide des batailles.
Si Dieu le tout pur nous vient en aide, je ferai rouler dans la poussière les têtes de nos ennemis.
Du côté opposé, les rois assis sur des éléphants rangèrent leurs armées sur une ligne de deux milles d’étendue.
Il y avait dans l’armée des Berbers cent soixante éléphants mugissant comme les flots de la mer.
Le roi du Hamaveran avait cent éléphants furieux et son armée était rangée par bataillons.
La troisième armée, celle d’Égypte, prit aussi sa place et l’air s’obscurcit, la terre disparut ; tu aurais dit qu’elle était toute de fer et que le mont Alborz avait revêtu une cuirasse.
Derrière les guerriers s’élevaient des étendards brillants qui perçaient la poussière de leurs couleurs jaunes, rouges et violettes.
La montagne résonnait des voix des braves, la terre tremblait sous les pieds de leurs chevaux, les griffes et les cœurs des lions se fendaient, les aigles sauvages étendaient leurs ailes, les nuages même se dissolvaient dans l’air, car rien ne pouvait tenir en face de cette armée.
Les armées se mirent en ordre des deux côtés et tous ces braves ne désiraient que le combat et la vengeance.
Gourazeh rangea l’aile droite, c’est là que l’armée déposa les bagages ; à l’aile gauche fut placé Zewareh le lion renommé, le dragon courageux ; au centre était le fils de Destan fils de Sam, ayant son lacet roulé autour du bouton de la selle.
Alors Rustem ordonna aux trompettes de sonner et l’armée s’ébranla ; on vit briller les épées et les javelots et l’on aurait dit que l’air avait semé des tulipes sur la terre.
Partout où Rustem poussait Raksch, c’était comme une flamme qui s’élance ; le désert était inondé de sang de manière à ressembler au torrent de Zem plutôt qu’au champ de bataille de Rustem au corps d’éléphant.
De tous côtés roulaient des têtes couvertes de leurs casques et les plaines et les ravins étaient jonchés de cottes de mailles.
Rustem poussa Raksch et épargnant le sang de la multitude ignoble, il courut après le roi de l’Occident, fit voler de sa main son lacet roulé et lui jeta le nœud autour du corps ; en aurait dit qu’il faisait entrer la corde dans le flanc du roi.
Il l’enleva de selle comme une balle que frappe la raquette, il le jeta par terre et Bahram lui lia les mains ; soixante des grands de son royaume furent faits prisonniers avec lui.
La plaine et la montagne étaient inondées de sang, tant on avait renversé et tué d’hommes de ces trois armées.
Le roi du Berberistan, avec quarante de ses capitaines, fut pris par Gourazeh le sanglier.
Le roi du Hamaveran vit le champ de bataille rempli de morts d’un bout à l’autre ; il vit une foule de nobles blessés et d’autres enchaînés avec de lourdes chaînes ; il vit Rustem, avec son épée tranchante, jetant la terreur parmi les combattants ; alors il comprit que ce jour était un jour de malheur et envoya auprès de Rustem demander grâce.
Il promit de lui amener du Hamaveran Kaous et les grands de l’empire, ses tentes, ses trésors, sa couronne, ses joyaux, ses esclaves, son trône et sa ceinture d’or.
Ils en convinrent et conclurent le traité et les armées des trois royaumes se dispersèrent.
Le roi du Hamaveran étant arrivé dans sa ville et s’étant concerté avec ses conseillers, envoya chercher Kaous et lui céda sa place sur le trône selon les convenances.
Rustem ayant fait sortir de la forteresse Kaous, Guiv, Gouderz et Thous, déposa dans le trésor du roi de l’Iran les armes des trois armées, les trésors des trois reis, les tentes des troupes, les couronnes et les trônes et y ajouta tout ce qu’il vit de précieux.
Kaous, qui brillait comme le soleil, fit préparer une couche d’or avec des brocarts de Roum une couronne de rubis et un trône de turquoises ; il fit broder de pierres fines une housse noire et la fit mettre sur une haquenée qui allait l’amble, dont la tête était ornée de rênes dorées, dent la selle était haute, faite de bois frais d’aloès et incrustée de toute espèce de pierreries.
Ensuite, il dit à Soudabeh :
Monte sur cette haquenée et pars voilée comme le soleil quand il marche au-dessous de la terre.
Après toutes ces conquêtes, il ramena ses troupes de la ville dans le camp et cent mille cavaliers du Berberistan, de l’Égypte et du Hamaveran se rassemblèrent autour de lui, de sorte que son armée se montait à plus de trois cent mille hommes portant des cottes de mailles et montés sur des chevaux caparaçonnés.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021