Comme il est inutile de lutter contre la mort, écoute en attendant ce que fit Rustem.
Voici ce que dit un barde, homme de cœur, qui eut inopinément à combattre un lion :
Si tu recherches la gloire de la bravoure, lave avec du sang ton épée indienne.
Ne recule pas devant le danger, quand l’heure du combat se présente ; car le danger ne reculera pas devant toi, quand arrivera le temps de la détresse.
Si tu veux mener de front le courage et la raison, les braves ne te compteront pas parmi les hommes de courage.
La raison et la foi ont une tout autre voie que le courage, mais les paroles sages ne sont pas écoutées.
Je vais donc raconter une aventure de Rustem qui cherchait les combats, aventure pleine de couleurs et de parfums.
J’ai entendu dire qu’un jour Rustem au corps d’éléphant donna une fête à l’assemblée des grands, dans un lieu qui portait le nom de Newend et qui renfermait de hauts palais.
C’est là que brille maintenant comme un fanal la puissante flamme du feu Berzin.
Les grands du pays d’Iran se rassemblèrent à cette fête, formant une armée glorieuse.
On y voyait Thous, Gouderz fils de Keschwad, Bahram, Guiv le héros de haute naissance, Gourguin, Zengueh fils de Schaweran, Kustehem et Khorrad les guerriers, Berzin portant haut la tête et prompt à frapper de l’épée, enfin Gourazeh qui était comme le diadème sur le front de l’assemblée.
Chacun avait amené quelques poursuivants d’armes qui formaient un cortège plein de valeur et de renom.
Cette assemblée ne se lassa pas pendant quelque temps du jeu de paume, de l’arc, du vin et de la chasse ; mais lorsque quelques jours se furent écoulés de cette manière et que tous les cœurs étaient égayés par la joie et la musique, il arriva qu’un jour dans son ivresse Guiv adressa la parole à Rustem en disant :
Ô illustre guerrier, si tu as envie d’aller à la chasse et si tes guépards aux pieds légers sont prêts, obscurcissons la face brillante du soleil par la poussière que feront lever les cavaliers, les guépards et les faucons dans les réservés de chasse du puissant Afrasiab.
Nous porterons haut nos longues lances ; jetant le lacet sur l’onagre rapide ; combattant le lion avec nos épées ; poursuivant pendant de longues journées le sanglier avec des javelots et le faisan avec des faucons ; nous livrant à la chasse dans les plaines du Touran, pour qu’il reste de nous un souvenir parmi les hommes.
Rustem lui répondit :
Puisse le monde remplir tes vœux et ta fin être heureuse !
Demain matin, nous irons dans les plaines du Touran et nous ne cesserons pas d’y chasser et de les traverser.
Tous applaudirent à ces paroles, personne ne songea à proposer un autre projet et le lendemain matin, aussitôt qu’ils furent levés de leurs couches, ils se préparèrent à cette expédition.
Ils partirent avec des guépards, des faucons et du bagage, s’avançant rapidement vers la rivière de Schahd et vers les réserves de chasse du puissant Afrasiab, ayant d’un côté la montagne, de l’autre le fleuve au-delà duquel était la ville de Sarakhs et devant eux le désert rempli de troupeaux de cerfs et d’argalis.
La plaine se couvrit de tentes de toutes sortes et les chasseurs furent étonnés de la multitude des cerfs.
Les lions féroces s’enfuirent et les oiseaux dans l’air s’apercevant de la chasse, s’abattirent de tous côtés sur chaque bête fauve tuée ou blessée par une flèche.
Les braves furent heureux et dans l’allégresse et leurs lèvres ne cessèrent de sourire.
Ils restèrent ainsi pendant sept jours, la coupe en main, le cœur joyeux et célébrant le vin ; le huitième jour Rustem se rendit à l’endroit où ils étaient assemblés et leur donna un sage conseil, disant :
Ô héros de grand renom, ô puissants guerriers qui portez haut la tête, sans doute Afrasiab a reçu maintenant de nos nouvelles : il ne faut pas que ce méchant aux desseins funestes concerte un plan avec ses grands pleins de fierté, prépare un moyen de nous détruire et vienne nous surprendre et rendre étroites à nos guépards les plaines où ils chassent.
Il faut que nous ayons une sentinelle sur la route, qui, au premier avis qu’elle recevra, vienne nous avertir de l’approche de son armée, car nous ne devons pas nous laisser couper le chemin par l’ennemi.
Gourazeh tendit son arc et se mit en route, prêt à remplir ce devoir ; et les Iraniens ayant une sentinelle comme lui, ne tinrent plus compte des entreprises de leurs ennemis, allèrent à la chasse et ne pensèrent plus à ceux qui leur voulaient du mal.
Afrasiab eut connaissance de leur expédition ; dans la nuit sombre, dans le temps du sommeil, il appela les guerriers expérimentés de son armée et leur parla longuement de Rustem et des sept cavaliers pleins de cœur et de bravoure, dont chacun ressemblait à un lion.
Il parla ainsi à ses guerriers illustres :
Le moment est venu où il faut agir et trouver le moyen de surprendre nos ennemis ; car si nous pouvons nous emparer de ces sept héros, nous rendrons étroit le monde pour Kaous.
Nous devons donc faire semblant d’aller à la chasse et nous jeter soudain sur eux avec notre armée.
Il choisit trente mille hommes prêts à tirer l’épée et tous renommés pour leur bravoure ; il leur ordonna d’éviter les grandes routes et de ne s’arrêter ni jour ni nuit.
Ils se dirigèrent en toute hâte vers le désert et relevèrent la tête en pensant au combat.
Afrasiab envoya ainsi de tous côtés des troupes innombrables pour couper le chemin à ces guerriers superbes ; et arrivées près du lieu de la chasse, elles pressèrent le pas, avides de vengeance.
Mais Gourazeh était sur ses gardes : il aperçut cette armée semblable à un nuage noir, il la vit soulever la poussière du désert, il distingua un étendard au milieu de cette masse obscure.
Il s’en retourna rapide comme l’ouragan, poussant des cris de guerre et d’alarme ; et lorsqu’il arriva dans les réserves de chasse, il trouva Rustem buvant avec ses braves.
Il lui dit :
Ô Rustem au cœur de lion, quitte ce lieu malgré les plaisirs du festin ; car il vient une armée sans fin qui couvre également les hauteurs et les plaines et l’étendard d’Afrasiab le tyran brille au milieu de la poussière comme le soleil.
Rustem l’écouta, poussa des éclats de rire et lui dit :
La fortune qui donne la victoire est pour nous.
Comment peux-tu avoir une telle peur du roi du Touran et de la poussière que soulève son armée ?
Ses troupes ne vont pas au-delà de cent mille cavaliers maniant des rênes et montés sur des chevaux caparaçonnés.
Fussé-je seul dans cette plaine avec ma massue, avec Raksch et ma cuirasse, je ne me mettrais pas fort en peine d’Afrasiab, ni de sa grande armée, ni de son ardeur ; n’y eût-il qu’un seul de nous sur ce champ de bataille, toutes ces hordes du Touran ne suffiraient pas pour le combattre.
Voici le terrain qu’il me faut et je n’ai pas besoin d’une armée d’Iraniens.
Nous sommes ici sept braves cavaliers de grand renom et prêts à frapper de l’épée.
Un seul de nous vaut cinq cents cavaliers illustres et pleins de fierté et deux en valent mille.
Échanson !
Remplis-moi jusqu’au bord une coupe de vin du Zaboulistan.
L’échanson la remplit aussitôt et la lui donna.
Rustem la prit et fut content ; il saisit de sa main la coupe brillante et prononça d’abord le nom de Keï Kaous, disant :
Je bois à la santé du roi du monde.
Il dit, but et baisa la terre.
Puis, il prit de nouveau la coupe, baisa de nouveau la terre et dit :
Je bois à Thous !
Les grands qui étaient les maîtres du monde se levèrent et prièrent le Pehlewan de les épargner, disant :
Nous ne pouvons plus vider cette coupe de vin ; Iblis même ne pourrait lutter contre toi en buvant.
Dans les banquets, comme avec la massue de Sam sur le champ de bataille, tu es le maître de tous.
Rustem remplit de nouveau la coupe de vin rouge du Zaboulistan et la vida en buvant à Zewareh, qui la prit aussi dans sa main, prononça le nom du roi glorieux, but et baisa la terre.
Rustem le couvrit de bénédictions en disant :
C'est au frère à boire dans la coupe de son frère.
Il n’y a qu’un lion qui osât prendre cette coupe.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021