Guiv adressa alors au Pehlewan ces paroles :
Ô toi qui fais la gloire du roi et des braves !
Je pars pour couper le chemin à Afrasiab et ne veux pas attendre qu’il ait traversé le fleuve.
J’occuperai la tête du pont pour la défendre contre ce méchant ; je l’arrêterai pendant quelque temps sur l’autre rive du fleuve, afin que les braves puissent se revêtir de leurs armes ; car le temps du plaisir et des propos joyeux est passé pour nous.
Il courut vers le pont, après avoir assujetti à la corde les deux bouts de l’arc.
Mais, arrivé près du pont, il aperçut les étendards du roi injuste ; car les Touraniens avaient déjà traversé le fleuve, Afrasiab à leur tête.
Rustem revêtit sa cuirasse de peau de léopard et monta sur Raksch, qui était pareil à un éléphant indomptable.
Il s’avança vers le roi du Touran pour le combattre ; il rugit comme un crocodile en fureur ; et quand Afrasiab le vit assis sur son cheval, tu aurais dit que son âme abandonnait son corps, tant il fut effrayé des mains et de la poitrine, des bras et des cuisses de Rustem et de cette terrible massue qu’il tenait sur son épaule.
Thous et Gouderz armés de lances, Gourguin et Guiv les braves cavaliers, Bahram et Zengueh fils de Schaweran, Ferhad et Berzin les héros vaillants et avec eux leurs compagnons qui levaient haut la tête dans les combats, tous armés de lances et d’épées indiennes, s’élancèrent ensemble et se rangèrent en bataille, semblables à des crocodiles.
Guiv se précipita dans la mêlée comme un lion qui manque de proie ; devant et derrière lui et de tous côtés il fit plier la haute taille d’un grand nombre de braves sous les coups de sa massue et de son épée.
Beaucoup de chefs des Touraniens furent tués et la fortune se détourna des guerriers renommés.
Les braves de la Chine se dispersèrent devant Guiv et le roi du Touran fut consterné.
Mais tout à coup il se jeta vivement dans le fort de la bataille, plein de colère et poussant des cris d’attaque.
Rustem le vit, plaça sur l’épaule sa lourde massue et serra Raksch entre ses jambes.
Il courut bravement au-devant des ennemis, en rugissant comme un lion furieux et suivi par le fils de Keschwad armé d’une cuirasse et d’une massue d’acier, ainsi que par les cavaliers et les braves du pays d’Iran tenant en main des massues, des flèches et des arcs.
Tandis que les yeux des Touraniens s’obscurcissaient et que Rustem élevait son casque jusqu’au ciel, le roi Afrasiab dit à Piran fils de Wiseh :
Ô mon sage et puissant ami !
Tu es célèbre parmi les lions du Touran ; tu ambitionnes la possession du monde ; tu as vu maint et maint combat.
Tourne encore une fois avec vigueur les rênes de ton cheval contre les Iraniens ; va et délivre d’eux ce pays.
Si tu peux les vaincre, l’Iran t’appartiendra ; car tu as le corps d’un éléphant et la griffe d’un lion.
Piran, à ces paroles d’Afrasiab, s’élança du milieu des grands, tel qu’un ouragan.
Il secoua les rênes de son cheval, lui et dix mille guerriers turcs, hommes de cœur et armés d’épées et il s’élança comme une flamme vers Rustem au corps d’éléphant, de qui dépendait la victoire ou la défaite de l’armée.
Rustem, l’écume sur les lèvres et brillant comme s’il avait ravi au soleil son éclat, poussa son cheval et l’on entendit un bruit comme quand la mer s’élève en mugissant.
Tenant le bouclier au-dessus de sa tête et une épée indienne dans sa main, il tua la moitié de ces braves.
Afrasiab l’observait de loin et il dit à ses guerriers de grand renom :
Si ce combat, entre les héros qui portent haut la tête, continue de cette manière jusqu’à la nuit, pas un de nos cavaliers ne restera en vie.
C’est un combat qu’il ne fallait pas engager.
Nous sommes venus lutter contre les braves du pays d’Iran ; quand nous avons délibéré, nous nous sommes crus des lions ; mais maintenant, voyant que nous sommes trop faibles, il faut nous confier aux ruses du renard.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021