Pendant que Kaous demandait ainsi à Dieu grâce pour ses péchés, son armée le cherchait de tous côtés.
À la fin, Rustem, Guiv et Thous reçurent des nouvelles de lui et partirent avec une armée, des éléphants et des timbales.
Le vieux Gouderz dit à Rustem :
Depuis que ma mère m’a nourri de lait, j’ai vu dans le monde beaucoup de couronnes et de trônes, de rois et de grands sur lesquels veillait la fortune ; mais jamais je n’ai vu ni parmi les petits, ni parmi les grands, un homme aussi obstiné que Kaous.
Il n’a ni sens, ni sagesse, ni prudence ; il n’a ni l’esprit droit ni le cœur à sa place.
Tu dirais qu’il n’y a pas de cervelle dans sa tête et pas une seule de ses pensées n’est bonne.
Jamais aucun des grands des temps passés n’a fait une entreprise contre le ciel.
Mais Kaous est comme un possédé, sans direction et sans raison et chaque vent qui souffle l’emporte.
Ensuite les Pehlewans arrivèrent auprès de lui, pleins d’amertume et de colère ; ils lui firent des reproches et Gouderz lui dit :
Un hôpital serait une place plus convenable pour toi qu’un palais.
À tout moment, tu abandonnes ton trône à tes ennemis, sans jamais confier à personne tes plans insensés.
Trois fois, tu es tombé dans le malheur et dans l’infortune, sans que ton esprit soit devenu plus sage par ces épreuves.
Tu as mené ton armée dans le Mazenderan ; Ne te souviens-tu pas des malheurs que tu as provoqués ?
Une autre fois, tu t’es fait l’hôte de ton ennemi et de son idole, tu es devenu son serviteur.
Il ne restait plus dans le monde que Dieu le tout pur qui ne demandât pas son investiture à ton épée ; tu avais parcouru la terre pour la soumettre et maintenant tu te mets en hostilité contre le ciel.
Si tu t’élèves de la largeur d’une main plus haut que tu ne dois, tu es entièrement rebelle envers Dieu.
Tu as toujours trouvé moyen de te tirer de malheur ; mais après ta mort on se racontera qu’il y a eu un roi qui a voulu monter au ciel pour voir la lune et le soleil et pour compter les étoiles une à une.
Fais comme les rois sensés, bons et pieux ; ne tends de toutes les forces qu’à la soumission envers Dieu et soit dans le bonheur, soit dans le malheur, n’implore que lui.
Kaous resta confondu et dévora la honte dont les grands et les braves le couvrirent.
À la fin il répondit :
La justice ne saurait souffrir de ce qui est vrai ; tout ce que vous avez dit est vrai et juste et mon âme est captive dans vos lacets.
Il versa de ses yeux des larmes de fiel et adressa beaucoup de prières au Créateur ; ensuite il se revêtit de ses armes et entra dans une litière, accablé de repentir et de douleur.
Arrivé à son palais et devant son trône élevé, il resta sous le poids de ce qui s’était passé ; pendant quarante jours il se tint devant Dieu respectueusement, mesurant la terre de son corps et laissant vide son trône ; dans sa honte, il n’osait sortir de son palais ; tu aurais dit qu’il userait toute sa peau.
Il versait des larmes de sang en priant et en demandant pardon à Dieu le guide.
Son orgueil était courbé par la honte qu’il éprouvait devant les braves ; il s’abstenait des fêtes et tenait fermée la porte de l’audience.
Il se repentait et s’abandonnait à sa douleur et à ses soucis, il distribuait ses grands trésors accumulés et frottait sa joue contre la terre noire en implorant Dieu le tout pur.
Ayant passé ainsi quelque temps dans les larmes, il obtint son pardon du Créateur ; et de tous côtés les guerriers qui s’étaient dispersés revinrent auprès de son trône.
Alors, il resplendit de nouveau par la grâce de Dieu ; il comprit que ses peines étaient finies ; il s’assit sur le trône d’or, la couronne sur la tête et ouvrit pour l’armée la porte d’un trésor.
Il rajeunit le monde entier, brillant lui-même au-dessus des grands et des petits ; tu aurais dit que par l’effet de sa justice la terre était devenue du brocart et le roi des rois était assis majestueusement sur son trône.
De chaque province vint un grand de haut renom, portant sur sa tête une couronne puissante ; ils se rendirent à la cour de Kaous, renoncèrent à la révolte et rentrèrent dans la voie de l’obéissance.
Le monde redevint ce qu’il avait été auparavant et le roi lava son visage avec l’eau de la sincérité.
Tous les grands lui rendirent hommage, tous furent ses serviteurs et ses esclaves ; et Kaous s’assit sur son trône incrusté de pierreries, la couronne sur le front et la massue à tête de bœuf dans la main.
J’ai raconté cette histoire telle que je l’ai apprise et jamais personne n’a entendu rien de pareil.
Telle était la conduite du roi, telle la manière d’agir du chef des Pehlewans ; le roi n’était que le distributeur de la justice ; il n’avait pas besoin de défenseurs.
Il faisait en tout ce qu’il fallait, il appréciait tout à sa valeur, car il ne regardait ce monde que comme un souffle qui passe.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021