Quand Rustem fut arrivé dans son palais, il regarda pendant quelques instants ses amis;
Zewareh s’approcha de lui et vit que son cœur était troublé, que son visage était pâle.
Rustem lui dit:
Va, et apporte-moi mon épée indienne, une lance et un casqua de combat;
Apporte mon arc, les caparaçons de mon cheval et une cotte de mailles;
Apporte un lacet, ma lourde massue et ma cuirasse de peau de léopard.
Zewareh ordonna au trésorier de tirer de ses réserves tout ce que Rustem avait demandé.
Quand Rustem vit ses armes de combat, il laissa tomber sa tête et poussa un soupir, disant:
Ô cuirasse de combat, tu t’es reposée des guerres depuis si longtemps;
Maintenant que tu auras à livrer bataille, sois forte, sois en tout lieu pour moi une tunique de bonheur, car il s’agit d’un champ de bataille où deux héros se combattront comme deux lions rugissants.
Nous verrons à présent ce que fera Isfendiar, comment il jouera ce jeu de la bataille.
Quand Destan entendit ces paroles de Rustem, l’âme du vieillard se remplit d’inquiétude;
Il dit:
Ô illustre Pehlewan!
Quelles paroles as-tu prononcées?
Des paroles qui troublent mon âme!
Depuis le moment où tu as monté sur un cheval de guerre, tu as toujours été un homme au cœur pur et bon, tu t’es glorifié d’obéir aux ordres du roi, tu as supporté patiemment toutes les fatigues;
Mais je crains que ton jour ne baisse, que ton astre ne se couche, alors ils détruiront jusqu’à la racine toute la famille de Destan;
Ils jetteront dans la poussière les femmes et les enfants.
Si tu meurs dans le combat de la main d’un jeune homme comme Isfendiar, il ne restera plus dans le Zaboulistan ni de l’eau ni de la terre, et ce qui était haut dans ce pays deviendra bas;
Si c’est Isfendiar qui périt, la gloire périra de même, et tous ceux qui raconteront des histoires déchireront ton nom illustre, et diront que tu as tué un roi d’Iran, que tu as tué un vaillant cavalier, un des lions de la race des Keïanides.
Va plutôt auprès de lui à pied, et si tu ne veux pas, quitte ces lieux, retire-toi dans un coin, loin des grands, de sorte que personne dans le monde n’entende plus prononcer ton nom, car ce malheur troublera ton esprit;
Evite donc ce jeune roi.
Apaise cette affaire par des trésors, sans ménager tes peines, et ne préfère pas la hache d’armes au brocart de Chine.
Distribue à son armée des présents, et rachète de lui ta vie par quoi que ce soit.
Quand il aura quitté le bord du Hirmend, monte sur Raksch, ton puissant cheval, et lorsque tu seras hors de l’atteinte d’ Isfendiar, prie Dieu sur la route pour qu’il te permette de voir le visage du roi;
Quand tu seras en sa présence, comment te ferait-il du mal?
Une mauvaise action siérait-elle à un roi?
Rustem lui dit:
Ô vieillard! ne parle pas de tout cela si légèrement.
Voici bien des années que je suis arrivé à l’âge d’homme, et beaucoup de bonheur et de malheur a passé sur ma tête;
Je suis allé chez les Divs du Mazenderan, j’ai combattu les cavaliers du Hamaveran, j’ai lutté contre Kamous et le Khakan de la Chine, sous le cheval duquel la terre tremblait.
Si je fuyais devant Isfendiar, tu n’aurais qu’à abandonner ton palais et tes jardins du Séistan.
Quand je me couvre, au jour de la bataille, avec ma cuirasse en peau de léopard, j’abaisse dans la poussière la sphère de la lune.
Les supplications dont tu parles, je les ai faites abondamment, je me suis reconnu son vassal;
Mais il dédaigne mes paroles, il se détourne de la sagesse et de mes conseils;
S’il voulait ne pas tenir sa tête dans la sphère de Saturne, si sa fierté lui permettait de me saluer, je lui prodiguerais avec plaisir des trésors, des joyaux, des massues, des cottes de mailles, des masses d’armes, des épées.
Je le lui ai dit longuement, mais il n’a pas été ébranlé, et toutes mes paroles ne m’ont laissé dans la main que du vent.
Mais ne crains pas pour sa vie: s’il vient demain me combattre, je ne prendrai pas une épée tranchante, je ne veux pas blesser son noble corps;
Je manierai mon cheval dans notre lutte, mais il ne sera frappé ni de ma massue ni de la pointe de ma lance: je lui couperai la retraite, je saisirai de toute ma force sa ceinture, je l’enlèverai de la selle en l’étreignant dans mes bras, et le reconnaîtrai comme roi à la place de Guschtasp.
Je l’amènerai ici, je le ferai asseoir sur ce beau trône et j’ouvrirai la porte de mes trésors;
Quand il aura été mon hôte pendant trois jours, aussitôt que le quatrième jour aura repoussé de la sphère qui illumine le monde le voile sombre de la nuit, et que la coupe de rubis aura paru, nous mettrons nos armures et nous nous rendrons auprès de Guschtasp.
Là je le placerai sur l’illustre trône d’ivoire, je mettrai sur sa tête la couronne qui ravit les cœurs, je me tiendrai devant lui ceint comme un esclave, et ne le quitterai plus.
Tu sais quels actes de bravoure j’ai faits devant le trône de Kobad, si ta mémoire les a retenus, et maintenant tu me demandes de me cacher ou de me laisser enchainer sur l’ordre du roi!
Zal-Zer sourit en l’écoutant: il secoua pendant un instant la tête en réfléchissant, puis il reprit:
Ô mon fils! ce que tu dis n’a pas de sens;
Si des fous t’entendaient, ils ne croiraient pas à ces paroles absurdes.
Kobad était en détresse sur une montagne, sans trône, ni couronne, ni trésor, ni argent;
Mais ne te place pas en face d’un roi de l’Iran qui a une armée et du sens et des trésors longuement accumulés, en face d’un homme comme Isfendiar, dont le nom est gravé sur le sceau du Faghfour de la Chine.
Tu dis que tu l’enlèveras de dessus son cheval, que tu le porteras dans tes bras jusqu’au palais de Zal;
Mais un vieillard ne parlerait pas ainsi;
Ne te laisse pas aller au manque de respect envers les rois.
Je t’ai donné mon avis, et tu le connais maintenant, ô lune de l’assemblée des grands.
Lorsqu’ils eurent ainsi parlé, Zal se prosterna le front contre terre et implora le Créateur, disant:
Ô juge et maître suprême, écarte de nous le mauvais sort!
Sa langue ne cessa de proférer des lamentations, jusqu’à ce que le soleil eût paru au-dessus des montagnes.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021