Quand Rustem arriva à l’enceinte des tentes d’Isfendiar, il resta pendant quelque temps debout devant la porte, et adressa la parole à cette toile en disant:
Ô demeure de l’espoir! c’étaient des jours heureux que ceux où Djemschid t’habitait;
Tu étais glorieuse du temps de Keï Kaous, et aux jours de Keï Khosrou, dont le pied laissait une trace fortunée;
Mais maintenant le prince indigne qui occupe ton trône a fermé la porte de ta gloire.
Le vaillant Isfendiar entendit ces paroles et s’avança à pied vers le héros illustre, et lui dit:
Ô homme de bon conseil! pourquoi te mets-tu en colère contre cette enceinte?
Faut-il donc que les sages donnent au Zaboulistan le nom du pays des brouillons?
Quand un hôte est fatigué du maître de la maison, est-ce qu’il injurie, dans sa colère, le jardinier?
Il ajouta:
L’enceinte de ces tentes a vu un temps où elle contenait Djemschid, qui a abandonné les voies de Dieu, maître du monde, et qui n’a plus vu des jours heureux, ni le gai paradis.
Ensuite il y avait un temps où elle servait de retraite à Kaous et donnait de l’ombre à son armée, à Kaous, qui a voulu pénétrer le secret de Dieu et voir de près les astres, qui a rempli le monde de trouble, de dévastation, d’épées et de flèches;
Mais maintenant elle a un maître comme Guschtasp, auprès duquel est un Destour comme Djamasp;
D’un côté du roi est assis Zerdouscht 1, qui est venu droit du ciel avec le Zendavesta , et de l’autre Beschouten, le héros vertueux, qui ne cherche dans le monde ni la prospérité ni l’adversité.
Devant lui se tient l’heureux Isfendiar, qui a rempli de joie la fortune instable, qui a fait revivre le cœur des braves, et a réduit à la servitude les méchants par la terreur de son épée.
Cependant le vaillant Pehlewan avait atteint la porte, Isfendiar le regardait partir, et quand il l’eut quitté, il dit à Beschouten:
Il ne faut pas nier la bravoure et la valeur des autres.
Jamais je n’ai vu ni un cheval ni un homme pareils, et je ne sais comment il se tirera de ce combat.
C’est un éléphant furieux, assis sur la montagne de Gangue, quand il arrive au combat couvert de son armure;
Il est encore plus grand par sa noblesse et sa grâce que par sa stature, mais je crains que demain il ne fasse une chute.
Mon cœur est ému de la majesté de ses traits, mais je ne dévierai pas des ordres du maître de la justice, et quand il se présentera demain sur le champ de bataille, je rendrai noir devant lui le jour brillant.
Beschouten répondit:
écoute-moi, mon frère, quand je te prie de t’abstenir.
Je te l’ai déjà dit, et je le répète, car je ne puis dépouiller mon cœur de sa droiture, n’humilie personne, car un homme libre ne se soumet pas à l’humiliation et à la douleur.
Dors cette nuit, et demain de grand matin va sans escorte dans son palais où nous serons heureux pendant un jour, où nous répondrons à toutes les questions qui nous seront faites.
Le monde entier a prospéré par Rustem, parmi les petits et parmi les grands;
Jamais il ne voudra se soustraire à tes ordres, et je vois que son cœur est plein de loyauté envers toi.
Pourquoi le combats-tu avec haine et colère?
Écarte de ton cœur la haine et de tes yeux la colère!
Isfendiar reprit:
Il y a une épine dans mon jardin de roses.
Ensuite il ajouta:
Il ne sied pas à un homme qui a la vraie foi de parler ainsi.
Toi qui est le Destour de l’Iran, qui es le cœur, l’oreille et l’œil des héros, tu approuves donc cette voie, cette prudence et cette manière de blesser le roi?
Toutes mes peines et tous mes soucis seraient devenus du vent, et la religion de Zerdouscht aurait perdu sa vérité?
Car elle dit que quiconque désobéit au roi aura sa place dans l’enfer.
Tu m’exhortes sans cesse à commettre ce péché, à mépriser les paroles de Guschtasp.
C’est là ce que tu me dis; mais comment le ferais-je, pourquoi résisterais-je à son avis et à son ordre?
Si tu crains pour ma vie, je vais à l’instant te rassurer;
Car sache que personne ne meurt dans le monde sans la volonté du destin, et que celui-là ne meurt pas qui emporte avec lui une grande gloire.
Tu verras demain ce que je ferai sur le champ de bataille contre les griffes du dragon.
Beschouten lui dit:
Ô roi! tu ne cesses de parler de bataille.
Avant que tu fusses venu ici avec ta massue et ton arc, Iblis n’avait pas tant de pouvoir sur toi;
Mais maintenant tu as livré ton âme au Div et tu ne veux plus écouter les conseils de ton guide.
Je vois ton cœur follement attaché à ce combat, et je déchire les vêtements sur mon corps;
Comment pourrais-je délivrer tout d’un coup mon âme de ses craintes?
Vous êtes deux braves, deux lions, deux héros, sais-je lequel de vous succombera?
Le prince ne lui répondit plus: son cœur était blessé, sa tête pleine de vent.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021