Guschtasp

Combat de Rustem et Isfendiar

...

Lorsqu’il fit jour, Rustem revêtit une cotte de mailles par-dessus laquelle il mit sa cuirasse de peau de léopard pour protéger son corps, il attacha le lacet au crochet de la selle, et monta sur son destrier, qui ressemblait à un éléphant.

Ensuite il fit venir auprès de lui Zewareh, lui parla longuement de son armée et termina ainsi:

Va, mets en ordre les troupes et place-les sur cette colline de sable.

Zewareh alla réunir les troupes sur la place du palais pour les conduire sur le champ de bataille.

Tehemten partit, la lance en main; hors du palais il monta à cheval, et son armée le reçut par des acclamations:

Puisses-tu ne jamais manquer à ta massue, à ton cheval et à ta selle!

Rustem s’avança, suivi de Zewareh, qui était le soutien principal de sa royauté; il alla ainsi jusqu’aux bords du Hirmend, la bouche pleine de confiance, mais le cœur rempli de soucis.

Là il laissa l’armée et son frère, puis continua son chemin vers le camp du roi d’Iran, après avoir dit tristement à Zewareh:

Je vais essayer de détourner de ce combat cet homme malveillant et haineux, et de rendre la sérénité à son esprit.

Mais je crains qu’il ne faille en arriver aux coups, et je ne sais quel malheur en sortira.

Maintiens l’armée à cette place, je pars pour voir ce que le sort amènera.

Si je trouve Isfendiar aussi colère qu’auparavant, je n’appellerai pas les chefs du Zaboulistan, je combattrai en personne et seul;

Je ne veux pas qu’un homme de mon armée en souffre.

Celui dont le cœur est toujours rempli de justice peut compter tranquillement sur la fortune victorieuse.

Rustem passa le fleuve et monta sur une hauteur; il y resta quelque temps, absorbé dans ses pensées sur le monde; à la fin il cria:

Ô fortuné Isfendiar! celui qui doit te combattre est arrivé;

Prépare-toi!

Isfendiar entendit ces paroles du vieux lion plein d’ardeur pour la lutte; il sourit et dit:

Me voici!

Je me suis apprêté depuis le moment de mon réveil.

Il se fit apporter sa cuirasse, son casque, sa massue et sa lance de combat;

Il couvrit de la cuirasse sa poitrine brillante, plaça sur sa tête son casque de Keïanide, fit seller et amener devant lui son cheval noir.

Quand le héros vit son destrier, il posa la hampe de sa lance par terre et sauta de la terre noire en selle, par un effort de la force et de la vaillance dont il était doué, semblable à un léopard qui saute sur le dos d’un onagre et le terrifie.

Son armée en resta confondue et éclata en bénédictions sur lui.

Arrivé près de Tehemten, il l’aperçut seul sur la colline, et dit du haut de son cheval à Beschouten:

Je n’ai pas besoin d’aide et de compagnon pour le vaincre; puisqu’il est seul, j’irai seul; je vais gravir cette raide montée.

C’est ainsi que ces deux hommes allèrent se combattre: on aurait dit qu’il n’y aurait plus de fête dans le monde.

Lorsque le vieillard et le jeune homme, ces deux Pehlewans, ces deux lions pleins de fierté, s’approchèrent l’un de l’autre, leurs chevaux se mirent à hennir;

On aurait cru que le champ de bataille se fendait.

Rustem dit avec une forte voix:

Ô homme au cœur joyeux, favori de la fortune! ne sois pas si obstiné et ne t’emporte pas tant; ouvre une fois ton oreille à la parole d’un sage.

Si tu désires un combat et du sang versé, des détresses et des attaques, permets que j’amène mes cavaliers du Zaboulistan, couverts de leurs cottes de mailles et armés de leurs épées de Kaboul;

Toi, de ton coté, ordonne aux Iraniens d’avancer, pour que l’on voie ce qui est joyau et ce qui est fausse monnaie.

Nous les amènerons sur ce champ de bataille pour qu’ils se battent, et nous nous tiendrons tranquilles pendant quelque temps;

Il y aura du sang versé selon ton désir, et tu verras le tumulte et la mêlée.

Isfendiar répondit:

Tout ce discours est insensé!

Tu es parti de ton palais avec ton épée, tu m’as appelé sur cette hauteur;

Pourquoi veux-tu me tromper maintenant, ou sens-tu que ta chute est prochaine?

A quoi me servirait une guerre contre le Zaboulistan, ou entre l’Iran et Kaboul!

Plaise à Dieu que jamais je n’agisse ainsi! car il n’est pas conforme à ma foi que je livre à la mort les Iraniens pendant que je place la couronne sur ma tête.

Lorsque j’ai à combattre, je marche le premier, même quand je dois affronter les griffes d’un léopard.

S’il te faut un protecteur, amène-le; moi je n’en ai jamais besoin; c’est Dieu qui me protège dans les combats, et la fortune sourit à mes entreprises.

Tu es avide de combats, et moi je désire la lutte, ainsi battons-nous sans nos armées, et nous verrons si le cheval d’Isfendiar arrivera à l’écurie sans cavalier, ou si le destrier de Rustem, le glorieux héros, s’en retournera sans maître au palais de Zal.

Alors les deux héros convinrent que personne ne les aiderait dans cette lutte. Ils s’attaquèrent maintes fois avec les lances, ils firent tomber les attaches de leurs cuirasses; à la fin les pointes de leurs lances se brisèrent, et ils furent forcés de saisir leurs épées;

Ils levèrent les épées tranchantes, s’attaquèrent à droite et à gauche, mais la force des héros et les coups des cavaliers ébréchèrent ces épées.

Ils se redressèrent, détachèrent des selles leurs massues et firent tomber l’un sur l’autre des coups comme des pierres qui se détachent du haut d’un rocher;

Ils se démenaient avec fureur, semblables à deux lions sauvages, se frappaient sur tous les membres, et leurs mains ne s’arrêtèrent que lorsque les manches des massues furent brisés.

Alors ils saisirent les lanières des lacets, et les deux chevaux ardents volèrent.

Isfendiar avait pris dans le lacet une des têtes des combattants, et l’autre était prise par le héros illustre, et ces deux braves pleins de fierté, ces deux hommes au corps d’éléphant, tirèrent de toutes leurs forces; ils firent de puissants efforts l’un contre l’autre, mais aucun de ces lions ne fut ébranlé sur le dos de son cheval.

Les deux cavaliers étaient épuisés, leurs chevaux étaient fatigués par ce terrible combat, l’écume dans leur bouche était du sang et de la poussière, les cottes de mailles des hommes et les caparaçons des chevaux étaient mis en pièces.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021