Le roi répondit à son fils:
Quiconque s’écarte de la droiture s’égare de la vraie route.
Tu as fait plus que tu ne dis; puisse le Créateur du monde être ton soutien !
Je ne vois plus d’ennemi dans le monde, ni au grand jour ni en secret, car quiconque entend ton nom ne se met-il pas à trembler?
Que dis-je, trembler! c’est plutôt mourir de frayeur.
Je ne connais personne dans le monde qui soit ton égal, si ce n’est Rustem l’insensé, le fils de Zal, à qui de tout temps a appartenu le Zaboulistan, Bost, Ghaznin et le Kaboul.
Sa bravoure l’élève au-dessus du ciel, et il ne se reconnaît le sujet de personne.
Il se tenait devant Kaous le Keïanide comme un esclave; il a vécu par la grâce de Keï Khosrou;
Mais il parle de la royauté de Guschtasp en disant que la couronne de Guschtasp est nouvelle et la sienne ancienne.
Il n’y a personne dans le monde qui puisse te résister, ni parmi les Roumains, ni parmi les Touraniens, ni parmi les nobles Perses.
Pars donc pour le Séistan, et emploies-y la ruse, la force et les stratagèmes;
Tire ton épée, brandis ta massue, amène prisonnier Rustem, fils de Zal, avec Zewareh et Faramourz, et ne permets à aucun d’eux de monter à cheval.
Je jure par le Maître du monde, le distributeur de la justice, de qui vient toute force, qui a allumé les astres, la lune et le soleil, que, quand tu auras accompli tout cela, je ne te disputerai-plus rien, que je te donnerai le trésor, le trône et l’armée, que je te placerai sur le trône la couronne sur la tête.
Isfendiar répondit:
Ô vaillant et illustre roi ! tu t’écartes de la coutume des anciens, toi qui devrais garder de la mesure dans tes paroles.
Fais la guerre au roi de la Chine, détruis son pays et Khallakh, mais pourquoi en veux-tu à un vieillard que Kaous déjà a appelé le vainqueur des lions, qui, depuis Minoutchehr et Keï Kobad, a protégé tout le pays d’Iran, que l’on appelle le maître de Raksch, le conquérant du monde, le vainqueur des lions, le distributeur des couronnes?
Ce n’est pas un jeune ambitieux c’est un homme puissant, qui a eu un traité avec Keï Khosrou.
Or, si les traités des rois ne doivent pas être observés, il était inutile qu’il te demandât une investiture.
Le roi répondit à Isfendiar:
Ô prince au cœur de lion, plein de valeur!
Quand un homme oublie la foi qu’il doit à Dieu, la foi qui lui est due devient du vent.
Tu sais sans doute que le roi Kaous s’est égaré de la vraie voie par l’instigation d’ Iblis, qu’il est monté au ciel porté par des aigles et qu’il est tombé misérablement dans l’eau à Sari;
Ensuite qu’il a amené du Hamaveran une fille de Div, à laquelle il a livré l’appartement des femmes des rois, et que cette femme, par ses persécutions, a détruit Siawusch et fait périr toute cette famille.
Quand un homme oublie son devoir envers Dieu, il faut se garder de passer devant sa porte.
Prends donc la route du Séistan, accompagné d’une armée, si tu désires le trône et la couronne, et quand tu seras arrivé, lie les mains à Rustem et amène-le en tenant suspendu à ton bras le lacet qui l’enchaine;
Empêche Zewareh, Faramourz et Destan fils de Sam de te tendre un piège;
Amène-les à pied à ma cour, ô prince illustre!
Et alors personne ne se révoltera plus contre nous, si puissant et si riche qu’il soit.
Le Sipehbed Isfendiar fronça les sourcils et dit au roi du monde:
Ne t’écarte pas de la foi.
Il ne s’agit pas pour toi de Destan et de Rustem, tu ne cherches qu’un moyen de te débarrasser d’Isfendiar.
Tu ne peux te résoudre à m’abandonner le trône royal, et tu désires que je quitte le monde.
Que la couronne et le trône des rois te restent, il y a bien des coins dans le monde qui me suffiraient;
Mais je ne suis qu’un de tes esclaves, et je me soumets à tes ordres et à ta volonté.
Son père lui répondit:
N’agis pas imprudemment; mais si tu veux acquérir du pouvoir, n’agis pas timidement.
Choisis dans l’armée des cavaliers nombreux, des hommes qui ont de l’expérience et sont propres au combat.
Mes armes et mes troupes sont entièrement à toi, et c’est à l’âme de tes ennemis à trembler.
A quoi me serviraient sans toi des trésors et des armées, le trône de la royauté et la couronne d’or?
Isfendiar répondit:
Je n’ai point besoin de troupes, car, quand le moment de la mort est arrivé, le plus puissant roi ne peut le retarder avec une armée.
Il quitta la présence du roi et se retira, tout enflammé des paroles de son père et du désir d’acquérir la couronne; il rentra dans son palais, déchiré de sentiments contradictoires, la bouche pleine de folles paroles, le cœur plein de soucis.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021