Il y avait à Djehrem un homme de la famille des Keïanides et du nom de Mihrek, fils de Nouschzad.
Lorsqu’il apprit le départ d’Ardeschir, son séjour sur le bord du lac et la détresse dans son camp, où les vivres n’arrivaient plus, il sortit de Djehrem et se porta avec une armée innombrable, ramassée de tous côtés, contre le palais d’Ardeschir, livra au pillage tous ses trésors et distribua à ses troupes des couronnes et de l’or.
Cette nouvelle remplit d’anxiété le roi, qui était encore sur le bord du lac et il se dit :
Pourquoi suis-je allé combattre un étranger sans prendre soin de ma propre maison ? »
Il appela auprès de lui les grands de l’armée et leur parla longuement de Mihrek.
Que pensez-vous, dit-il, ô chefs de l’armée, de cette impuissance à laquelle nous sommes réduits ?
J’ai goûté de bien des amertumes du sort, mais je ne comptais pas ce sur cette injure de la part de Mihrek. »
Ils s’écrièrent tous d’une commune voix :
Ô roi, puisse ton œil ne jamais voir la mauvaise fortune !
Qu’un Mihrek soit en secret ton ennemi, il ne faut pas pour cela te désoler.
Tu es puissant, le mande est à toi, nous tous sommes tes esclaves et le commandement t’appartient. »
Il fit dresser des tables, apporter du vin et des coupes et amener des musiciens ; on plaça sur les tables quelques agneaux et ils se mirent tous à dî-ner.
Au moment où Ardeschir commença à manger, une flèche pointue arriva, se planta dans l’agneau »
à belle graisse devant le roi et y disparut tout entière.
Les grands, ses savants conseillers et ses vaillants guerriers retirèrent à l’instant les mains des mets et l’inquiétude leur fit saigner le cœur.
L’un d’eux ayant extrait la flèche de l’agneau, on vit qu’il y avait de l’écriture sur la flèche pointue.
Le plus lettré parmi les grands lut ce qui y était écrit en langue pehlewi : Q roi plein de savoir, puisses-tu entendre !
Cette flèche est partie de la terrasse de ce château dont la sécurité est garantie par la fortune du ver ; si j’avais lancé cette flèche contre Ardescbir, elle l’aurait traversé de part en part ; il ne faut donc pas qu’un roi comme toi veuille combattre le ver pendant notre vie. »
Lorsque le lecteur eut lu à Ardeschir ce qui était écrit sur le bois de la flèche, le cœur des grands se resserra, car il y avait une distance de deux farsangs entre eux et le château et tous se mirent à implorer les grâces de Dieu, le tout-puissant, sur le roi Ardeschir.
Le roi passa la nuit plein d’inquiétude sur le ver et lorsque le soleil eut pris la place de la lune, il
2, partit avec son armée du bord du lac et marcha rapidement vers le pays de Fars.
L’armée ennemie suivit Ardeschir, lui coupa la route de tous côtés et tua tous les hommes illustres parmi les siens.
Le roi s’enfuit en toute hâte, accompagné de ses intimes ; ils entendirent derrière eux le cri :
Puisse la fortune du verlaire briller son trône ! »
Et chacun dit :
Quelle chose étonnante !
Jamais on ne pourra la com--prendre. »
Il continua sa fuite. le cœur oppressé ; il traversa des montagnes et des vallées ; à la fin il vit une grande ville, une ville immense et les chevaux redoublèrent de vitësse, courant comme des loups.
Arrivé tout près, le roi aperçut une maison sous la porte de laquelle étaient deux jeunes gens qui lui étaient inconnus ; le roi et les siens s’arrêterent un instant devant la porte et les deux jeunes gens intelligents lui demandèrent : D’où venez-vous à cette heure indue, couverts de la poussière de la route et tout en désordre ? »
Le roi répondit :
C’est par ici qu’a passé Ardeschir et nous sommes restés en arrière dans la confusion, car il s’est enfui devant le ver et Heftwad et devant la vile armée de cet homme de basse naissances Les deux jeunes gens tremblèrent à ces paroles ; ils en étaient affligés et attristés ; ils firent descendre de cheval Ardeschir et le couvrirent de bénédictions ; ils arrangèrent une chambre gaie, dressèrent une table convenable, firent asseoir le roi et ses braves et se mirent à les servir ; ensuite ils dirent d’une commune voix :
Ô toi qui portes haut la tête !
Ni le chagrin ni la joie ne durent.
Regarde ce que Zohak, l’injuste, a emporté de son trône royal et Afrasiab, le malveillant, quia affligé le cœur des rois et lslrender, qui est venu de notre temps et a tué tous les rois de la terre ; ils sont tous partis ; il n’en reste qu’un nom infâme et ils n’entreront pas dansle gai paradis ; de même le monde ne restera pas à Heitwad et se soustraira à la fin à cet homme de race vile. »
Le cœur du roi s’épanouit sous leurs paroles comme une rose au printemps ; les discours de ces hommes pleins de grâce le rendirent heureux et il leur dévoila son secret, disant :
Je suis Ardeschir, fils de Sasan et j’ai besoin d’un conseil qui soulage mon cœur.
Que faire contre le ver et contre Heftwad ?
Puissent son nom et sa race disparaître du monde la.
Aussitôt que le roi de l’Iran eut dévoilé son secret, les deux jeunes gens lui rendirent hommage, disant :
Puisses-tu vivre éternellement, puisse le malheur rester toujours loin de toi !
Que nos âmes et nos corps soient tes esclaves, que ton ,âme ne fléchisse jamais !
Nous allons répondre à ta question, pour que tu puisses préparer un moyen sûr de salut.
Tu ne suffiras pas à la lutte contre le ver et Heftwad si tu n’emploies pas une fraude.
Il y a un lieu sur la crête de la montagne où se trouvent le ver, le trésor et une foule d’hommes ; d’un côté il y a une ville, de l’autre des eaux et le château est en haut de la montagne et difficile d’accès.
Et ce ver, qui est de l’essence d’Ahriman et un ennemi du Créateur, on l’appelle un ver, mais dans sa peau se trouve un Div avide de combats, qui aime à verser le sang. »
Lorsque Ardeschir eut entendu ces paroles qui provoquaient l’amitié et plaisaient au cœur, il dit :
C’est bien, je me repose sur vous de tout mal ou bien qui peut m’arriver de la. »
Les jeunes gens lui firent une réponse qui charma son esprit plein de sagesse, ils dirent :
Nous sommes tes esclaves ; debout devant toi, nous serons toujours tes guides vers le bonheur. »
Le roi fut heureux de leurs paroles et partit en toute hâte et le cœur plein du désir de la vengeance.
Lorsque le maître du monde quitta ce lieu, les jeunes gens l’accompagnèrent et il continua sa route, l’âme sereine, pensif et portant haut la tête, jusqu’à ce qu’il arrivât à Kharreh-i-Ardeschir, où ses troupes et ses grands, pleins de sagesse et de bons conseils, se réunirent autour de lui.
S’étant reposé pendant quelque temps, il paya la solde et marcha contre Mihrelr fils de Nouschzad.
Celui-ci n’osa le combattre, le monde devint noir et étroit pour lui et quand Ardeschir arriva près de Djehrem, le traître Mihrek se cacha de lui ; mais le cœur du roi était implacable et il resta jusqu’à ce que Mihrek fût pris ; il le frappa au cou avec une épée indienne et jeta dans le feu son corps sans tète.
Quiconque de la race de Mihrek lui tomba dans la main périt à l’instant par l’épée et il n’y a qu’une de ses filles qui parvint à se soustraire à toutes ses recherches, qui mirent en vain toute la ville en émoi.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021