Ainsi senpassa quelque temps ; tout le peuple de l’Iran lut emmené et dispersé et le Kaïsar tenait Schapour à Roum, ne le laissant libre ni jour ni nuit ; la jeune fille gardienne de Schapour était malheureuse à cause de lui, car elle était de race iranienne ; elle pleurait jour et nuit sur la torture qu’il éprouvait dans cette peau et son cœur brûlait de pitié pour lui.
Un jour elle lui dit :
Ô beau jeune homme !
Qui es-tu ?
Ne crains rien, dis-le-moi, car ton corps plein de grâces est enfermé dans une peau d’âne, v.
Il !
Et tu ne jouis ni de sommeil ni de repos.
Tu étais comme un cyprès surmonté par une lune, couverte elle-même dc’ boucles de »musc noir ; maintenant ta taille de cyprès forme un cercle et ton corps d’éléphant est courbé comme un roseau.
Mon cœur ’l’fbrûle de pitié pour toi, mes deux yeux pleurent jour et nuit.
Que penses-tu donc, dans cette position misérable, pour ne pas me dire ton secret ? »
Schapour lui dit :
Ô fille au beau’ visage !
Si tu es émue d’un peu de tendresse pour moi, je te demande le serment, que tu ne violeras jamais dans le moindre point, de ne pas dévoiler à mes ennemis mon secret et de te rappeler toujours mes douleurs et mon dépérissement ; alors je te dirai ce que tu m’as demandé et mes paroles feront connaître la vérité. »
La jeune fille jura :
Par Dieu le juste, par la ceinture aux septante-deux tours des prêtres, par ’âme du Messie et le deuil de la croix. par le maître de l’Iran et l’amour et la terreur qu’il inspire, je ne dirai à personne ton secret et ne chercherai pas à en tirer avantagent Alors Schapour lui confia tous ses secrets, ne la laissant ignorer rien de cette affaire, ni le bien ni le mal.
Puis, il ajouta :
Si tu exécutes mes ordres,-si ton cœur m’est garant de mon secret, j’élèveraita tête plus haut que celle des reines, je mettrai le monde sous tes pieds.
Apporte à l’heure du dîner du lait chaud, mets-toi à l’œuvre mène cette affaire doucement, tout doucement ; amollis avec le lait’cette peau d’âne, qui deviendra un objet de récits dans le monde et bien des années après ma mort, tout homme intelligent les répétera encore. »
La jeune fille demanda alors du lait chaud, en se cachant de tout le monde et en parlant tout bas ; à son retour dam sa chambre, elle prit une coupe et la plaça sur un feu ardent, puis elle la porta en secret chez Schapour, sans en dire un mot à personne.
Le ciel ayant tourné là-dessus pendant deux semaines, la peau d’âne fut a la fin amollie et Schapour en sortit, le cœur plein de douleur, le corps couvert de sang.
Il dit en secret à la jeune fille :
Ô toi qui es pure, prévoyante et bienfaisante !
Il faut maintenant, en appliquant toute ton intelligence, trouver un moyen de nous faire sortir du pays de Roum, que la malédiction soit sur lui la La jeune fille répondit :
Demain, à l’aube du jour, tous les grands iront à un lieu où il y a une fête ; ce sera une fête dans le Roum qui fera sortir les hommes, les femmes et les enfants.
Quand la femme du Kaiser aura quitté la ville, quand elle sera dans la plaine, à cette fête délicieuse, le palais sera abandonné ; je préparerai un moyen sans avoir à craindre un malheur ; je t’amènerai joyeusement deux chevaux et apporterai deux massues, des flèches et des arcs. »
À ces paroles, Schapour bénit la vaillante et prévoyante jeune fille. ’
3 La jeune fille réfléchit profondément, puis elle choisit dans les écuries deux nobles chevaux, des épées, des massues, des harnais, des cuirasses et des casques de Pehlewan.
C’est par la réflexion qu’elle fortifiait son cœur et elle prenait sa raison pour guide.
Lorsque le soleil disparut au couchant et que la nuit déploya sur sa tête son voile couleur de poix, l’âme de Schapour fut pleine d’anxiété sur ce que la jeune fille allait faire dans la matinée du lendemain.
Mais quand le soleil parut dans le signe du Lion, quand le jour prit le dessus et que le sommeil disparut, tout ce qui se trouvait dans la ville sortit pour la fête ; heureux ceux qui pouvaienty prendre part !
La jeune fille se dirigea vers le palais avec les précautions qu’on prend quand on cherche un moyen de salut ; se voyant seule et maîtresse du palais, elle se sentit un cœur de lion et des griffes de léopard ; elle emmena des écuries les deux nobles chevaux, emporta les armures de cavaliers qu’elle avait choisies et prit autant d’or qu’il lui fallait et des perles, des grenats et des joyaux de toute espèce.
Quand tout fut prêt pour le départ, la nuit étant venue, ils prirent la résolution defuir ensemble.
Mais deux hommes qui étaient de garde s’aperçurent du départ du roi ; tous deux coururent à pied vers l’homme et vers cette femme illustre et saisirent les rênes du cheval du roi.
Schapour bondit sur la selle, prit de ses mains ces deux hommes par la tête et les lança vivement contre le sol, comme des choses viles ; ils tombèrent évanouis et le roi et sa compagne partirent rapidement.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021