Gau regarda ce champ de bataille, il vit l’air strié comme le dos d’un vaillant léopard, toutes les bouches remplies de poussière, toute la plaine couverte de sang et les lances montrant le chemin au milieu de la poussière.
Son âme brûlait de peur Thalhend et sa raison ferma la bouche à sa passion.
Il choisit un homme-éloquent, le premier parmi les grands qui l’entouraient et lui dit :
Va auprès de Thalhend et dis-lui :
Ne cherche pas une lutte in : juste contre ton frère.
Tu serais responsable de tout le sang qu’on verserait dans ce combat ; ouvre ton oreille aux conseils de Gau, ne te laisse pas égarer par les paroles des méchants, car il ne faut pas que cette lutte laisse dans le monde un blâme comme souvenir de nous et que le pays de l’Inde devienne par elle un désert, un repaire de léopards et de lions.
Renonce à ce combat et à ces attaques, renonce à verser injustement du sang, réjouis mon cœur par la paix, décharge ton cou du poids que
Fait peser sur toi la dette de la raison.
Nous ferons un traité par lequel tu prendras d’ici à la frontière de la Chine autant de pays que tu voudras.
Soyons amis de cœur et je poserai sur ta tête un diadème ; divisons le royaume comme nous avons divisé le trésor, car ce trône et ce diadème ne valent pas tant de peine.
Mais si tu préfères le combat et l’injustice, si tu disperses le troupeau qui a été réuni, on te blâmera dans ce monde et quand tu seras allé dans l’autre, on t’en demandera compte.
Grains le maître du soleil et de la lune, car tu t’es certainement égaré sur cette route ténébreuse.
Ne te laisse pas aller à l’iniquité, ô mon frère, car l’injustice ne peut pas tenir devant la justice un Le messager se rendit auprès de Thalhend, porteur du message et des conseils du prince, mais Thalhend répondit :
Dis à Gau : Ne cherche pas ce tant d’excuses pour éviter le combat.
Je ne veux de toi ni pour frère ni pour ami ; tu n’es des miens ni par la moelle ni par la peau.
Tu feras un désert de ce royaume, si tu te prépares à attaquer ces hommes de cœur.
Tous les méchants sont auprès de toi, ils sont tes soutiens au jour de Bahram ; tu es un pécheur aux yeux de Dieu, car tu es mal famé, de mauvaise race, de mauvaise nature ; tu seras maudit pour le sang qui va être versé dans ce combat et moi je serai béni.
Ensuite tu proposes que nous partagions la couronne, ce pays glorieux et le trône d’ivoire ; mais le pouvoir, le trône et la royauté sont à moi ; tout, depuis le soleil jusqu’au dos du poisson sur lequel repose le monde, est à moi et j’aimerais mieux que mon âme quittât mon corps que de jeter un regard sur cette couronne et ce trône tant que tu prétendras être roi, me donner un pays et être mon ami.
Maintenant que j’ai formé les rangs de mon armée et que l’air est devenu comme du brocart brodé d’or, il y aura tant de flèches, de javelots et de pointes de lances que Gau ne distinguera plus les étriers des rênes ; j’irai sur le champ de bataille faire tomber des têtes, je ferai pousser des cris de douleur à toute son armée, je mènerai mes troupes au combat de façon à décourager les plus vaillants léopards ; je vais emmener Gau, les mains liées ; ses armées verront la poussière de la défaite et aucun des prisonniers, jusqu’au prince, ne revêtira plus la cuirasse de combat. »
Le messager intelligent écouta cette réponse et revint la rendre point pour point à Gau, qui à ces paroles, s’affligea de voir que Thalhend était dépourvu de toute raison ; il appela, plein de soucis, son précepteur, lui parla longuement de cette réponse et lui dit :
Ô toi qui recherches tout savoir, indique-moi un moyen d’arranger cette affaire.
Toute la plaine est couverte de sang et de têtes sans corps, tous les esprits et tous les cœurs sont en peine.
Il ne faut pas qu’à la fin cette lutte amène sur nous les malheurs du sort. »
Le sage lui dit :
Ô roi !
Tu n’as pas besoin des conseils d’un maître ; mais puisque tu me demandes encore mon avis, ne mets pas de l’âpreté dans ta lutte avec ton frère.
Envoie auprès de lui un homme de haut rang, sage et ayant la parole douce, avec un message qui pourrait le calmer dans cette querelle.
Donne-lui tous les trésors dont tu a hérité sans avoir la peine de les amasser, car il faut préférer à des trésors la vie d’un frère ; pourvu que tu gardes la couronne et l’anneau royal, ne te dispute pas avec lui pour l’or.
J’ai observé la rotation du ciel et j’ai vu que sa vie se terminera promptement, car parmi les sept astres qui tournent dans le ciel, il n’y en avait pas un qui lui fût favorable.
Il périra sur ce champ de bataille, mais il ne faut pas aider à le mettre en détresse.
Ne lui donne pas le sceau de la royauté, le trône et le diadème, pour qu’on ne t’appelle pas le roi lâche ; mais tout ce qu’il demandera de chevaux et de trésors, donne-le-lui pour que tu n’aies pas à te reprocher sa mort.
Tu es le roi, les astres te sont favorables, tu es plus savant dans les voies du ciel. »
Le roi écouta ce discours de son précepteur et il se décida à faire un nouvel essai.
Le visage inondé de larmes, à cause de la peine que lui faisait son frère, il choisit un homme à l’étoile fortunée, à la parole douce ; il lui dit :
Va auprès de Thalhend et dis-lui :
Gau est plein de chagrin et de peine, son cœur est affligé, son esprit attristé, son corps en angoisse, son âme en douleur de cette rotation du ciel et de cette lutte et il prie le Créateur, maître de la justice, qu’il fasse naître dans ton âme la raison et la tendresse, pour que tu renonces à combattre ton frère.
Le précepteur qui est auprès de toi a perverti ton âme ténébreuse.
Demande aux douze (signes du Zodiaque) et aux sept (planètes) comment cette œuvre d’injustice finira.
Si violent ce et si vaillant que tu sois, tu ne peux te soustraire à la rotation du ciel.
Nous sommes partout entourés d’ennemis ; le monde est plein d’hommes malfaisants et si nous nous battons entre nous, je suis inquiet à cause du roi de Kachmir, du Faghfour de la Chine, qui nous enserrent de tous les côtés et des griffes des lions de l’Iran.
De ces trois côtés nous serons traités avec mépris ; les grands, avides de combats, nous blâmeront ; ils diront : Pourquoi n Thalhend et Gau se livrent-ils des batailles pour le trône et la couronne ?
Ne sont-ils pas nés de la même famille, ne sont-ils pas de race pure par leurs pères ?
Et maintenant ces frères s’entretuent, entraînés par les discours d’un conseiller au mauvais cœur.
Si tu veux quitter tes troupes et venir à moi, tu répandras la lumière sur mon âme assombrie ; je te donnerai de l’or, du brocart, des chevaux et des trésors et ne veux pas te faire du chagrin ; tu recevras de ma main un pays, un sceau, une couronne, des bracelets et un trône d’ivoire ; il n’y a pas de honte pour toi d’accepter cela d’un frère aîné, qui n’a aucune envie de te combattre.
Mais si tu ne suis pas de point en point mes avis tu te repentiras à la fin de ce que tu fais. »
Le messager se rendit, comme l’eau qui court, auprès de Thalhend à l’âme sombre ; il lui répéta les paroles de Gau et s’étendit sur la royauté, les trésors, l’or et les richesses qu’il promettait.
Thalhend écouta ces discours pleins de raison et de prudence prévoyante ; mais le secret du ciel était contraire et Thalhend ne céda pas aux avis de son frère ; il répondit :
Dis à Gau : Tu ne seras jamais qu’un intrigant.
Ta langue sera coupée par l’épée du malheur, ton corps sera brûlé dans le feu du Hirbed.
J’ai écouté tous ces messages vains que tu m’envoies, mais je vois que ton intention n’est que !
D’employer des ruses.
Comment me donnerais-tu un trésor et un royaume et qui es-tu donc parmi cette grande foule ?
Le pouvoir, le trésor et la royauté sont à moi ; tout, depuis le soleil jusqu’au dos du poisson sur lequel repose le monda.
Évidemment ta fin est proche, puisque tu te livres à de si longues réflexions.
Voici une armée occupant une ligne de deux milles sur le champ de bataille des n cavaliers .et des éléphants ; amène donc tes troupes ’ ce et commence le combat ; tu es venu pour te battre, ce pourquoi tant tarder ?
Je vais te montrer ma puisssance, qui est telle que les astres devront compter tes jours.
Quand tu vois que l’abîme est devant toi, ce tu ne sais que ruser, tromper et user d’artifices ; tu ce ne sais pas réfléchir, tu es loin du trône et de la couronne et l’homme sage ne dira pas que la fortune t’a favorisé. »
Le messager revint la bouche pleine de soupirs et rapporta toutes les paroles du prince ; et c’est ainsi que les messages s’échangeaient de l’un à l’autre, jusqu’à ce que la nuit sombre montra sa face.
Les princes mirent pied à terre sur le champ de bataille et firent creuser un grand fossé autour des armées ; on envoya des rondes qui parcouraient la plaine.
La nuit se passa ainsi.
Dernière mise à jour : 19 déc. 2021