Lorsque les Turcs furent arrivés auprès de Piran, ils lui racontèrent les hauts faits de ce jeune homme et parlèrent longuement de sa bravoure, de leur combat et de tout ce qui le regardait, disant :
C’est un vaillant lion qui ne se lasse pas de combattre quoiqu’il soit à pied.
Piran demanda :
Qui est donc cet homme et quel est son nom parmi les grands de l’Iran ?
Un des Turcs répondit :
C’est Bahram le vainqueur des lions, en qui toute son armée met sa confiance.
Piran dit alors à Rouïn :
Pars !
Bahram ne peut pas nous échapper.
Si tu parviens à le prendre vivant, le monde pourra se reposer de ses dissensions.
Emmène avec toi autant d’hommes qu’il t’en faut, car c’est un cavalier illustre et avide de combats.
Rouïn écouta ces paroles et partit à l’instant sans faire beaucoup de cas de cet adversaire.
Quand le lion Bahram vit s’avancer contre lui une nouvelle troupe qui obscurcissait le soleil et la lune, il s’assit sur les flèches qu’il avait amassées et se couvrit la tête de son bouclier, à l’abri duquel il tira de l’arc ;
Il lança sur ses ennemis une grêle de flèches qui interceptaient les rayons de la lune.
Rouïn voyant cela, s’enfuit ;
Ses braves semblaient avoir perdu l’usage de leurs membres ;
Ils revinrent auprès du Pehlewan fatigués, soucieux et accablés de tristesse et lui dirent :
jamais homme n’a combattu comme Bahram et nous n’avons jamais trouvé dans aucune rivière un crocodile aussi vaillant que lui.
Piran écouta leurs paroles et en fut affligé, il trembla comme une branche de tremble ;
Il monta sur un cheval ardent et partit suivi de beaucoup de guerriers ;
Il s’approcha de Bahram et lui dit :
Ô illustre héros !
Pourquoi as-tu engagé un combat étant à pied ?
Tu n’accompagnais pas Siawusch dans le Touran ;
Et cependant tu as lutté contre les lions de ce pays.
Mangeons ensemble du pain et du sel ;
Asseyons-nous au banquet et contractons amitié.
Il ne faut pas qu’on jette dans la poussière la tête d’un homme de si haute naissance, d’un lion et d’un brave comme toi ;
Il ne faut pas que ta famille et ton pays aient à te pleurer.
Viens, pour que nous fassions avec serment un traité, tel que ton cœur l’approuvera, ensuite je conclurai avec toi une alliance ;
Et quand tu seras entré dans ma famille, je ferai de toi un homme puissant.
Tu ne peux pas résister seul et à pied à toute une armée de héros, ne sacrifie donc pas ta vie.
Bahram lui répondit :
Ô Pehlewan à l’esprit clairvoyant, brillant et sage !
Je combats depuis trois jours et trois nuits sans que mes lèvres aient touché de nourriture.
Il faut ou que je recommence la lutte, ou que tu me donnes un cheval pour me porter auprès de mes nobles compagnons et du vieux Gouderz fils de Keschwad.
Piran lui dit :
Ô glorieux héros !
Ne comprends-tu pas que c’est impossible ?
Ce que je t’ai proposé valait mieux pour toi ;
tu es un brave et tu ne t’obstineras pas follement.
Crois-tu donc que les cavaliers de cette armée supporteront cette honte ?
Trop d’hommes d’illustre naissance, trop de princes et de guerriers ont été blessés par tes flèches dans ce combat inattendu ;
Et qui de nous passera dorénavant la frontière de l’Iran sans que sa tête et son sang bouillonnent ?
Et pourtant si je ne craignais la colère d’Afrasiab, que cela remplirait de courroux, je te donnerais un cheval, ô jeune homme, pour te porter auprès du Pehlewan.
Piran dit, partit et s’en retourna le cœur plein de tendresse pour Bahram, mais la tête remplie de prudence.
Il rencontra près du camp Tejaou, qui s’avança vers lui, avide de vengeance et de combats et lui demanda ce qu’il avait fait.
Il lui répondit :
Bahram n’a pas son égal parmi les braves ;
Je lui ai donné par amitié beaucoup de bons conseils, je lui ai indiqué la route à suivre et offert un traité avantageux ;
Mais mes paroles n’ont fait aucune impression sur lui et il se propose de rentrer dans le camp iranien.
Le vaillant Tejaou dit à Piran :
Ton âme est tendre, mais elle n’est pas forte ;
Je marche contre lui et quand même il me faudrait le combattre à pied, je l’aurai bientôt mis dans son tombeau.
Tejaou courut en toute hâte vers le champ de bataille, où il trouva le héros Bahram sans cortège.
Aussitôt qu’il l’aperçut une lance en main, il poussa un cri comme un éléphant furieux et lui dit :
Tu ne survivras pas au combat que va te livrer cette armée couverte de gloire ;
Tu voudrais retourner dans l’Iran ;
Tu voudrais de nouveau porter haut la tête ;
Tu as tué nos chefs et il faut que tu restes ici, car ton heure va venir.
Il ordonna alors à ses compagnons de l’attaquer, de le frapper à coups de flèches, de javelots et de massue ;
Une grande troupe, toute composée des chefs de l’armée, entoura Bahram ;
Il banda son arc et lança tant de flèches qu’il en obscurcit le monde ;
Quand ses traits furent épuisés, il saisit sa lance et la montagne et la plaine devinrent une mer de sang.
Lorsque sa lance ne fut plus qu’un tronçon, il prit son épée et sa massue et fit pleuvoir du sang comme un nuage qui verse de la pluie.
Au milieu de cette lutte, le Pehlewan fut blessé ; et Tejaou le voyant privé de force et hors d’état de résister, s’approcha de lui par derrière et le frappa d’un coup d’épée sur l’épaule.
Le vaillant Bahram tomba le visage contre terre, son bras qui tenait l’épée était abattu, il ne pouvait plus combattre et tout était fini pour lui.
Son cruel ennemi lui-même en eut pitié et sa joue se couvrit de rougeur comme d’une flamme subite ; il détourna la tête, affligé et honteux et son sang échauffé bouillonnait dans son cœur.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021