Rustem, de son côté, convoqua les héros, comme Thous et Rehham, Gouderz et Guiv, Feribourz et Gustehem les nobles guerriers, Gourguin le cavalier expérimenté et Bijen qui brillait dans le combat et il leur adressa des paroles convenables, disant :
Ô hommes sages et prudents ! ô Mobeds prévoyants !
C’est à celui à qui Dieu accorde la bonne fortune que sont dus les trésors et les trônes ;
Il sera le maître du monde, il sera victorieux dans les combats ;
Mais il ne faut pas que sa main commette d’injustice.
Vouons tous notre vie à Dieu ;
Car pourquoi sommes-nous sur cette terre sombre ?
Il faut détourner nos pensées du mal, il faut suivre la voie de Dieu et la raison ;
Car le monde à la fin du compte ne restera à personne, il ne faut pas s’y attacher.
Pratiquons l’humanité et la droiture, car les voies tortueuses ne mènent qu’à la ruine.
Lorsque Piran est accouru vers moi, il m’a raconté longuement, le cœur brisé, ce qu’il a fait par tendresse pour Siawusch, les douleurs et les soucis qu’il a éprouvés et comment, par ses paroles et ses actions, Ferenguis et Khosrou furent sauvés de la gueule du dragon.
J’ai néanmoins le pressentiment que Piran sera un des premiers qui tomberont dans cette guerre et que devant lui périront son frère, son fils et un grand nombre de ses nobles et illustres alliés.
Afrasiab sera tué par la main de Keï Khosrou, c’est ainsi que je l’ai vu en songe et aucun des coupables ne restera en vie ;
Ils seront tués et foulés aux pieds.
Mais je ne désire pas que ce soit de ma main que périsse Piran le chef de l’armée ;
Car il n’y a en lui que droiture et les mauvaises pensées ne trouvent pas le chemin de son cœur.
Si donc il remplit sa promesse, il faut oublier les anciens méfaits ;
S’il nous livre ceux qui ont fait le mal et tous les trésors de Siawusch, il faut renoncer à la vengeance et je n’aurai plus de motif pour faire la guerre ; car rien n’est préférable à la droiture.
Si les grands, ces maîtres des trônes et des éléphants, si cette armée nombreuse comme les flots de l’Indus nous envoient des tributs, je ne leur livrerai pas bataille ;
S’ils nous envoient leurs trônes et leurs trésors, vous n’aurez plus besoin de vous fatiguer, nous n’aurons plus à jouer dans le monde le rôle de destructeurs : c’est là mon avis et la seule voie à suivre.
Le monde est rempli de trésors, de couronnes et de trônes et tout cela sera le partage de celui à qui la fortune sourit.
À ces mots Gouderz se leva et lui dit :
Ô lion plein de justice et de droiture, tu es le pilier de l’armée et l’ornement de la cour ;
C’est par toi que brillent le trône, la couronne et le diadème ;
Tu disposes des âmes et des intelligences et ton esprit se nourrit de sagesse.
Sans doute la concorde vaut ce mieux que la guerre, mais observe que le taureau est encore dans sa peau.
Je te raconterai ce qui s’est passé ;
Mais écoute d’abord le vieux proverbe qui dit que l’âme des méchants se refuse à la paix comme le cou se refuse à un trop lourd fardeau.
Si Piran, dans son embarras, t’a fait une promesse, il tâchera d’éluder ce qu’il a justement promis.
Dieu en le créant lui a refusé la droiture ;
Ne l’écoute donc pas et alors tu n’auras pas à souffrir de sa malice.
Nous aussi, quand nous étions prêts pour la première bataille, nous avons eu des pourparlers avec lui et avons agi en conséquence.
Piran envoya un messager pour nous faire dire qu’il voyait avec horreur cette guerre et ce champ de bataille, qu’il était l’esclave de Khosrou et qu’il renonçait à ses terres et à ses tentes.
Il écouta nos conseils et nos demandes et répondit :
Je dirai aux miens ce qui nous menace.
Je possède un trône, des trésors et des troupeaux ;
Je ne les laisserai pas dans le Touran et je viendrai auprès de vous ;
Je me retirerai dans quelque coin, pour que le roi n’entends jamais dire que j’aie fait du mal.
Je lui répondis :
Tu fais bien de quitter ce pays ;
Tu trouveras dans l’Iran un trône, des trésors et une réception amicale.
Cela étant convenu, il partit, se ligua dans la nuit avec le Div et envoya un messager monté sur un dromadaire, pour avertir Afrasiab de se tenir prêt, parce qu’une armée ennemie était arrivée.
Tu aurais dit qu’il n’avait été question de rien entre nous et l’on ne comprenait plus rien à cette affaire ;
Mais le dixième jour il amena une armée dans la plaine et déploya les troupes réunies du monde entier.
Maintenant, ô Pehlewan de l’armée, il emploie avec toi un nouveau moyen ;
Il ne connaît que le mensonge et la ruse et ne sait que semer des paroles calculées.
Il a été effrayé de ton lacet, il était naturel qu’il eût peur de ce qu’il voyait.
Toute la confiance des Touraniens reposait sur Kamous et sur les Sipehbeds Manschour et Ferthous.
Piran voyant que la fortune de Kamous était passée et qu’il avait péri dans le nœud du lacet, frappe à la porte de la paix et n’ose plus rester sur cette plaine ;
Sentant que sa chute approche, il use d’artifices, de ruses et de trahisons.
Il a promis de te livrer les meurtriers et les trésors de Siawusch ;
Mais tu verras qu’aussitôt qu’on battra les timbales et que Feribourz et Thous marcheront à l’ennemi, Piran se mettra à la tête de son armée pour nous livrer de nouveaux combats.
Toutes ses paroles ne sont que mensonges et Ahriman seul devrait être son compagnon.
Si tu ne veux pas écouter mes conseils, réfléchis au sort de mon fils Bahram, que Piran a flatté de la même manière pendant qu’il préparait un cimetière pour tous les miens ;
De sorte que jusqu’à ma mort je verserai des larmes de sang et qu’il ne me reste, pour guérir mes maux, que mon épée indienne.
Rustem écouta Gouderz et lui répondit :
Puissent tes paroles être toujours sages !
Piran est tel que tu viens de le dépeindre et cela n’est pas un secret ;
Et pourtant je ne veux pas être sévère envers lui, à cause du bien qu’il a fait.
Pense donc à ce qu’il a fait pour le roi de l’Iran et à ce qu’il a souffert pour Siawusch.
Mais s’il revient sur ses promesses, s’il se présente devant nous pour nous livrer bataille, j’attacherai au crochet de la selle le lacet avec lequel je prends les éléphants de guerre.
Je commencerai par lui montrer de la confiance, car j’espère encore que nous n’aurons pas à combattre et à lutter ;
Mais s’il recule devant l’accomplissement de ses propres paroles, il ne trouvera chez nous ni regrets ni pitié.
Gouderz et Thous offrirent leurs hommages à Rustem, disant :
Le soleil ne cessera jamais de luire sur toi ;
Les ruses, les artifices et les paroles mensongères de Piran ne parviendront pas à t’éblouir.
Puisse le monde n’être jamais privé du trône du roi dont tu fus toujours le soutien !
Rustem dit :
Il se fait nuit et nos têtes sont fatiguées de cette discussion.
Allons !
Buvons du vin pendant la moitié de la nuit et passons l’autre à nous occuper de l’armée.
Nous verrons quel secret nous dévoilera demain le Créateur du monde.
Ensuite, il se tourna vers les Iraniens, disant :
Je jetterai cette nuit un sort fortuné en buvant du vin et demain matin j’élèverai sur mon épaule cette massue de Sam le cavalier, dont je me suis servi dans la guerre du Mazenderan et je me jetterai dans la mêlée, là où le crocodile nous résistera.
Si je suis forcé de combattre, je prendrai les tentes, les diadèmes, les massues, les couronnes, les éléphants de guerre et le trône d’ivoire et je les donnerai aux Iraniens.
Les grands dévoués à Khosrou remplirent de leurs cris la salle de l’assemblée et à la fin, ils se retirèrent dans leurs tentes, accablés de sommeil et du besoin de se reposer.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021