Keï Khosrou

Piran demande grâce à Afrasiab pour la vie de Bijen

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Dieu eut pitié de la jeunesse de Bijen et confondit son ennemi.

Pendant que les ouvriers creusaient un trou pour y planter le gibet, le hasard voulut que Piran fils de Wiseh parût au loin ; quand il fut plus près, qu’il trouva la route couverte de Turcs armés, qu’il vit dresser un grand poteau d’où pendait un lacet roulé, il dit aux Touraniens :

Qu’est-ce que ce gibet ?

La porte du roi est-elle une place convenable pour une potence ?

Guersiwez lui répondit :

C’est pour Bijen, le pire des ennemis du roi.

Piran poussa son cheval et s’approcha de Bijen, qu’il trouva abattu et dépouillé de ses vêtements ;

Ses deux mains étaient fortement liées derrière le dos, sa bouche était sèche et son visage avait perdu son éclat et ses couleurs.

Il lui demanda :

Comment es-tu arrivé ici ?

Es-tu donc venu de l’Iran pour chercher la mort ?

Bijen lui raconta toute son aventure et comment son méchant compagnon l’y avait jeté.

Piran fils de Wiseh eut compassion de lui et les larmes de ses yeux inondèrent ses joues.

Ensuite, il donna l’ordre qu’on suspendît l’exécution et il dit à Bijen :

Attends ici jusqu’à ce que j’aie pu voir le roi et lui montrer, l’étoile de la route du bien.

Il donna un coup à son cheval et partit et se hâta d’arriver auprès du roi du Touran.

Il entra dans le palais humblement comme un esclave et se présenta devant Afrasiab les mains croisées sur la poitrine ;

Il courut jusqu’au-près du trône et invoqua sur le roi les grâces de Dieu ;

Ensuite, il se tint debout devant lui comme il convient à un Destour vertueux et de bon conseil.

Le maître du monde vit que le noble Piran se tenait debout parce qu’il avait quelque chose à demander ; il sourit et lui dit :

Que désires-tu ?

Parle !

Il n’y a personne que j’honore autant que toi.

Si tu veux de l’or ou des joyaux, si tu veux un gouvernement ou une armée, je ne serai pas avare envers toi de mes trésors ;

Car sans cela, comment supporterais-tu pour moi tant de fatigues ?

À ces paroles Piran le serviteur du roi baisa la terre et il dit en se redressant :

Puisses-tu occuper à jamais le trône !

Puisse le bonheur ne choisir d’autre demeure que ton trône !

Tous les rois de la terre célèbrent tes louanges et le soleil brillant te rend hommage.

Je possède, par l’effet de ta fortune, tout ce que je désire en hommes, en trésors et en pouvoir.

Ce n’est pas là ce que j’ai à te demander, car aucun de tes sujets n’est réduit à mendier ;

il suffit à mon bonheur de te voir régner et les grands illustres sont mon appui.

Mais, ô roi digne du trône, j’ai un souci qui n’a pour objet ni les trésors, ni les armées, ni les diadèmes.

Ensuite, il reprit :

Ô roi vainqueur des lions, accepte de moi un bon conseil : ne mets pas à mort l’illustre Bijen ;

Car il a pour le venger un roi homme de sens et de prudence.

Tu ferais renaître la haine qu’excita le meurtre de Siawusch, tu attirerais sur le Touran une autre guerre et une nouvelle vengeance.

J’ai autrefois donné au roi quelques conseils ;

Mais comme il ne les a jamais suivis, j’ai fini par m’abstenir de lui en donner.

Je t’ai prié de ne pas t’attirer l’inimitié de Rustem et de Thous en faisant mourir le fils de Kaous, Siawusch le descendant des Keïanides, qui avait pris les armes pour toi.

Je t’ai prédit que les Iraniens nous fouleraient aux pieds de leurs éléphants, qu’ils briseraient les liens qui nous unissent.

Je t’ai prédit combien d’hommes ils tueraient ; combien ils en feraient descendre dans la tombe ; combien de femmes se désoleraient de la perte de leurs maris ; combien d’hommes au cœur de lion disparaîtraient devant eux.

Mais tu as fait périr Siawusch follement, tu as mêlé du poison avec ton miel.

As-tu donc déjà oublié Guiv et le chef des Pehlewans, le vaillant Rustem ?

N’as-tu pas vu le mal que les Iraniens ont fait dans le pays de Touran ?

Les sabots de leurs destriers ont foulé les deux tiers du Touran et notre fortune s’est éclipsée et l’épée de Destan fils de Sam n’est jamais restée dans le fourreau ;

Rustem la prendra et fera tomber les têtes et rejaillir le sang jusqu’au soleil.

Pourquoi, au milieu de la paix, réveiller les combats ?

Pourquoi flairer, dans ta folie, la rose vénéneuse ?

Si tu verses le sang de Bijen, la poussière de la destruction s’élèvera du pays de Touran.

Tu es un roi plein de sagesse et je ne suis qu’un sujet ;

Mais ouvre les yeux de la sagesse et regarde ;

Songe à ce que tu as souffert de la vengeance du roi de l’Iran que tu as provoquée et maintenant tu en recherches une nouvelle, tu veux faire porter du fruit à l’arbre du malheur.

Nous ne pourrons pas résister à une seconde guerre, ô Pehlewan maître du monde.

Personne ne connaît mieux que toi Guiv et le vaillant Rustem le terrible crocodile et Gouderz fils de Keschwad,à la main d’acier, qui viendra combattre pour venger son petit-fils.

C’est ainsi qu’il essaya de jeter de l’eau sur cette flamme ardente ;

Mais Afrasiab répondit :

Ne sais-tu donc pas ce que Bijen a fait contre moi et comment il m’a couvert de honte devant l’Iran et le Touran ?

Ne vois-tu pas comment ma fille éhontée a déshonoré ma vieille tête ?

Bijen a répandu parmi la foule les noms de toutes les femmes voilées du palais, de sorte que mes troupes et mes sujets riront toujours en passant devant ma porte.

Si je lui fais grâce de la vie, il s’élèvera contre moi des clameurs de tous côtés, je resterai toujours sous le coup de la honte et mes yeux s’épuiseront à verser des larmes de fiel.

Piran le couvrit de bénédictions et dit :

Ô roi à l’étoile fortunée, aux paroles droites, ce que tu dis est vrai et tu ne cherches qu’à sauver ton honneur.

Néanmoins, je prie mon maître à l’esprit profond de réfléchir sur mon prudent conseil, qui est de charger Bijen de chaînes si lourdes qu’il préfèrera le gibet et la mort.

Alors, il servira d’exemple aux Iraniens et ils n’oseront plus se ceindre pour nous faire du mal ;

Car quiconque reste enchaîné dans ta prison, on n’en demande plus le nom même aux Divs.

Le roi fit ce que Piran lui conseillait, car il vit que ses paroles étaient sincères.

Un Destour vertueux et de bon conseil fait briller le trône et la majesté des rois.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021