Ensuite Afrasiab apprit que la frontière du Touran était couverte de flots d’hommes, qu’une armée s’approchait du Kasehroud et que le monde était obscurci par la vengeance de Siawusch.
Il dit à Piran, le chef de son armée :
Khosrou a dévoilé ses secrets et à moins que nous ne voulions nous soumettre, il faut que nous partions tous avec les étendards et les tambours ;
Sinon l’armée de l’Iran arrivera et nous ne verrons plus briller ni le soleil ni la lune.
Va, rassemble des troupes de toutes parts et ne perdons pas le temps en discours.
Cependant un vent violent s’éleva du côté du Touran, un vent tel qu’aucun Iranien n’avait souvenir d’un pareil ; d’épais nuages enveloppèrent la terre et le froid congelait l’eau.
Les tentes se couvrirent de glace et la neige étendit son tapis sur les montagnes.
Tout le pays disparut sous la neige et pendant sept jours personne ne vit le sol de la plaine ; on manquait de nourriture, on ne dormait pas, on n’avait pas une place où se reposer : tu aurais dit que la surface de la terre était un rocher.
Personne ne songeait plus au jour où il faudrait combattre ;
On tuait les chevaux de bataille pour les manger.
Beaucoup d’hommes et d’animaux périrent et les mains des braves étaient engourdies.
Le huitième jour le soleil parut dans toute sa force et convertit la terre en une mer.
Thous convoqua les chefs de l’armée et leur parla longuement des chances qui les attendaient s’ils livraient bataille :
Notre armée a trop souffert de la famine et il faudrait quitter ce camp.
Maudit soit ce pays !
Maudits soient Kelat, le mont Siped et le Kasehroud !
Bahram, le plus fier d’entre les héros, lui répondit :
Il ne faut pas que je cache la vérité au Sipehdar.
Tu veux toujours nous réduire au silence par tes paroles ;
Tu pousses la folie jusqu’à tuer le fils de Siawusch.
Je t’avais averti de ne pas le faire, parce que ce n’était pas juste.
Souviens-toi des désastres qui en sont déjà résultés ; et quels malheurs ne vont-ils pas encore t’atteindre car cette affaire ne fait que commencer.
Thous lui dit :
Aderguschasp n’est pas plus glorieux que n’était le vaillant Zerasp et Firoud n’a pas été tué innocemment.
C’était écrit et ce qui est fait est fait.
Jette les yeux sur l’armée ; y vois-tu un homme égal à Rivniz en bravoure, en beauté et en qualités de toute espèce ?
Il a toujours rempli de vin et de lait la coupe de ma vie.
C’était un jeune homme par sa stature, mais sa parole était celle d’un vieillard.
Ne parlons pas du passé ;
Que Firoud ait été tué justement ou injustement, Guiv a accepté du roi un présent, à condition de brûler cette montagne de bois qui barre notre chemin.
Voici le moment de le faire et d’éclairer toute une sphère du ciel par cet incendie, qui ouvrira un passage à l’armée et lui permettra d’avancer.
Guiv dit :
Cette entreprise n’est pas difficile et quand même elle le serait, elle n’est pas sans récompense.
Bijen fut attristé de ces paroles et dit :
Je n’y consentirai pas.
Tu m’as élevé pour les fatigues et les dangers et tu n’as jamais eu à m’adresser de reproches ;
Or il n’est pas convenable que moi, qui suis jeune, je me repose pendant que tu te ceindras les reins dans ta vieillesse.
Guiv lui répondit :
C’est moi qui l’ai voulu, je me suis offert à remplir ce devoir et c’est maintenant le moment de m’y préparer et non de penser à mon âge et à mon repos.
N’aie aucune inquiétude sur mon sort, car mon souffle fondrait un roc.
Guiv passa le Kasehroud avec peine, car tout était couvert de glaces et de neiges.
Lorsqu’il eut atteint la montagne de bois, il ne put en mesurer ni la hauteur ni la largeur ;
Il alluma du feu à l’aide de la pointe d’une flèche et le jeta dans cet amas de bois qu’il embrasa.
Pendant trois semaines on ne put traverser ce brasier, à cause du vent, de la fumée et de l’ardeur des flammes ;
Mais la quatrième semaine l’armée commença à passer lorsque l’eau eut baissé et que le feu fut éteint.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021