Khosrou, le roi toujours victorieux, apprit qu’une armée touranienne était entrée dans l’Iran ; que le cruel Afrasiab, issu d’une race méchante, avait renoncé au repos et au sommeil pour se venger ; qu’il voulait effacer sa honte ; qu’il faisait de tous côtés des préparatifs de guerre ; qu’il frottait avec du poison le fer de ses lances, sans doute pour tourner la bride de son cheval vers l’Iran ; qu’il voulait faire passer le Djihoun à trois cent mille cavaliers du Touran, armée qui, au moment où il faudrait combattre pour la gloire, ferait monter jusqu’au firmament l’écume des eaux du Djihoun ; que le bruit des tambours privait de sommeil les grands de sa cour ; que le son des clairons et le tintement des clochettes faisait bondir tous les cœurs dans le Touran ; que les lions les plus courageux n’oseraient se montrer, si cette armée arrivait dans l’Iran pour livrer bataille ; qu’Afrasiab avait confié la garde de la frontière du Touran à Piran et avait fait partir avec lui des troupes nombreuses ; enfin qu’il avait envoyé sur la frontière du Kharezm cinquante mille hommes décidés à se battre, sous le commandement de Schideh au cœur de lion, dont l’épée frappait les flammes de terreur, armée semblable à des éléphants furieux dont le poids aplatirait les montagnes.
Le roi du monde ayant écouté les rapports de ses espions, s’assit et médita ; ensuite il dit :
Ô homme de sens, j’ai entendu dire par les Mobeds que la lune du Touran, au moment où elle se montrerait dans sa puissance, serait vaincue par le soleil de l’Iran.
Frappe le serpent noir quand il lève la tête et de son trou il viendra ramper devant ton bâton.
Quand un roi plante l’arbre de l’injustice, il livre à la destruction son empire et son trône. »
Il appela devant lui tous les Mobeds et leur communiqua tout ce qu’il avait appris.
Les grands et les vaillants conseillers du roi, comme Destan, Rustem, Gouderz et Guiv, Schidousch, Rehham et F erhad le brave, Bijen fils de Guiv et Gustehem, Gourguin, Zengueh et Guejdehem, Thous l’orgueilleux fils de Newder, Feribourz le noble fils de Kaous et tous les chefs de l’armée, qui entouraient le roi du monde, s’assirent avec lui en secret.
Le roi dit aux Pehlewans :
Les Turcs veulent s’emparer de ma couronne et de mon trône ; et puisque nos ennemis ont réuni une armée et aiguisé leurs griffes, il ne faut pas que nous perdions du temps à nous préparer à la lutte. »
Il fit sonner des trompettes sous la porte de son palais et lier les timbales d’airain sur le dos des éléphants ; il se rendit du palais sur la place publique ; on placa son trône sur un éléphant ; le roi y monta et donna le signal du départ en jetant la boule dans la coupe : tu aurais dit qu’à l’instant le monde se couvrait d’une couche d’indigo ;
H l’air devint noir ; la terre revêtit des couleurs de toute espèce ; les braves de l’armée parurent, semblables à des léopards, la massue en main, la tête remplie d’ardeur pour le combat ; et la terre ployait sous les pas des braves, comme la mer qui jette des vagues.
Une voix qui sortait du palais s’écria :
Ô Pehlewans de l’armée de l’Iran, quiconque sait se servir de la bride et de l’étrier ne doit pas rester dans sa maison. »
Khosrou ordonna que l’on appelât du Roum et de l’Inde des cavaliers braves et vaillants, de l’Arabie des héros portant haut la tête et prêts à combattre le lion féroce et trois cent mille hommes du désert des cavaliers armés de lances, en annonçant que quiconque ne paraîtrait pas devant le roi dans un délai de quarante jours ne recevrait pas de diadème.
On envoya partout des cavaliers portant dans leurs mains la lettre du roi et deux semaines après tout l’empire retentissait, comme le roi l’avait voulu, du bruit des armées, toutes les provinces étaient en émoi et un bruit immense s’élevait de la terre.
Un matin, à l’heure où le coq chante, on entendit de tous côtés le son des timbales, les grands de tous les pays formèrent leurs troupes en ligne devant le château du roi ; Khosrou ouvrit ses trésors antiques et se mit à distribuer de l’argent à l’armée ; et tous les braves, enrichit : par les trésors et l’or du roi, se couvrirent de diadèmes d’or et avec leurs cuirasses et les caparaçons de leurs chevaux ils présentaient une masse de fer épaisse comme une montagne.
Lorsque les troupes furent entièrement équipées, Khosrou, délivré de ce souci, choisit d’abord parmi cette armée illustre trente mille cavaliers prêts à frapper de l’épée et les confia à Rustem, en disant :
Ô glorieux héros, prends la route du Seistan et conduis ces troupes ; va dans l’Inde combattre mes ennemis et avance de Ghaznin jusqu’à la route du nord : tu acquerras une couronne, un trône et un sceau.
Confie à Faramourz le diadème et le sceau du Nimrouz, laisse-lui des troupes choisies comme il le désire ; il fera fleurir ton royaume et le léopard et les troupeaux iront s’abreuver ensemble.
Fais battre les timbales d’airain et sonner les clairons et les trompettes et ne t’arrête pas dans le Kaschmir ni dans le Kaboul ; car la guerre contre Afrasiab ne me laissera prendre ni nourriture, ni repos, ni sommeil»
Il assigna ensuite à Lohrasp le pays des Alains et Ghartcheh, en lui disant :
Ô vaillant fils de Khosrou, pars avec une armée qui ressemble à une montagne ; choisis des troupes parmi les héros de l’Iran ; emmène les cavaliers propres aux combats, pour que tu puisses détruire mes ennemis»
Il ordonna à Aschkesch de conduire dans le Kharezm trente mille lions bondissants, armés de lances et précédés de grandes timbales, armée de loups races BOIS. ’ puces et de combattre Schideh, qui désirait le combat et avait assis son camp dans le pays de Kharezm.
Enfin il mit Gouderz-à la tête d’une quatrième armée, lui adressa beaucoup de conseils et d’exhortations et lui dit :
Pars avec les grands de l’Iran, avec Gourguin, Zengueh et Gustehem, Feribourz fils de Kaous, Ferhad et Guiv, le Sipehdar Gourazeh et le vaillant Schapour. »
Il leur ordonna de se ceindre pour le combat et de partir sans délai pour le Touran.
Le Sipehdar Gouderz fils de Keschwad, les Pehlewans et les nobles montèrent à cheval selon l’ordre du roi et Gouderz se mit à la tête de ses troupes.
Khosrou lui dit :
Tu .pars, préparé à la guerre : garde-toi de commettre la moindre injustice ; ne dévaste jamais ce qui est cultivé ; n’ouvre jamais la main pour une chose injuste et pense à ton origine, à ton nom et à ton honneur.
Que quiconque ne s’est pas armé contre toi ne souffre point par toi de dommage, car Dieu réprouve le mal que nous commettons ; ce monde n’est qu’un séjour sans durée et nous ne faisons qu’y passer.
Quand tu conduiras ton armée dans le Touran, ne livre pas ton cœur aux emportements et ta tête au feu de la colère ; ne l’emporte pas, comme a fait Thous ; ne place pas à tout moment les timbales sur le dos des éléphants ; sois juste toujours et en, vers tous ; souviens-toi de Dieu le distributeur de tout bien ; envoie un homme qui ait de l’expérience
un Knosaou. auprès de l’iran, un homme prudent et qui n’oublie rien ; fais entendre à Piran de sages conseils et revêts pour lui la robe de l’amitié. »
Le chef de l’armée répondit au roi :
Tes ordres sont plus sublimes que la sphère de la lune.
Je marcherai comme tu me l’ordonnes ; tu es le roi maître du monde et je suis ton esclave. »
Soixante éléphants précédèrent l’armée et la terre se courbait sous leur poids ; on caparaçonna, comme on eût fait pour le roi, quatre de ces furieux éléphants de guerre ; on plaça sur leur dos un trône d’or, un siégé royal avec une couronne et les emv blêmes de la royauté et Khosrou commanda à Gouderz de monter sur ce trône d’or que portaient les éléphants furieux ; ensuite il donna ordre qu’on fît partir les éléphants et tira un heureux présage de la poussière que soulevaient leurs pieds, en disant :
Nous réduirons le palais de Piran en une pouss sière semblable à celle que font lever les pieds de ces éléphants. »
L’armée se mit en mouvement selon les ordres du roi et marcha d’étape en étape sans trouver d’obstacle.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021