J’ai entendu raconter que les suites malheureuses de ses passions jetèrent le roi des Turcs dans une grande tristesse.
En revenant de ce champ de bataille où Rustem avait rendu le monde noir devant lui, il courut sans prendre de repos jusqu’à Khallakh ; il était honteux et n’osait se montrer aux rois.
Il entra dans son palais l’âme navrée, de douleur, avec les grands expérimentés et prudents.
Il ouvrit son cœur à Piran, à Guersiwez son conseiller, à Karakhan, à Schideh et à Kersioun ; il leur cammuniqua tous ses secrets et discuta avec eux ce qui s’était passé, disant :
Depuis que j’ai posé sur mon front le diadème de la royauté, le soleil et la lune ont brillé sur moi ; je dominais les plus puissants et personne ne secouait la bride que je lui imposais.
Du temps même du roi Minoutchehr l’Iran ne prévalait pas sur le Touran : mais aujourd’hui les Iraniens osent menacer ma vie dans mon propre palais, par une surprise de nuit ; cet homme qui n’était pas un brave a pris courage et l’élan est venu défier le lion jusque dans sa tanière.
Il faut nous préparer à une prompte vengeance, ou nous résigner à voir ce pays livré à la destruction.
Mon intention est d’envoyer des messagers dans toutes f). (J les parties de mon royaume, de cerner l’armée de l’Iran avec mille fois mille cavaliers du pays des Turcs et de la Chine ceints pour le combat et de livrer partout des batailles. »
Tous les Mobeds donnèrent leur sage avis sur les paroles du roi, disant :
Il nous faut passer le Djihoun, battre les timbales des rois sur cette large plaine, rassembler l’armée dans la ville d’Amoui et nous hâter sans nous lasser ni jour ni nuit ; car c’est là qu’il faut combattre et verser le sang, qu’il faut se jeter sur Guiv et sur Rustem, ces héros orgueilleux, conquérants de villes, qui ont trempé dans le poison la pointe de leurs lances de combat. »
Afrasiab, à ces paroles, devint brillant de joie sur son trône ; il bénit à la manière des rois les Pehlewans et les Mobeds ; il appela un secrétaire et lui dit tout ce qu’il fallait ; il choisit dans l’assemblée des messagers pour les envoyer au Faghfour et au roi de Khoteu ; il expédia des lettres dans toutes les provinces et à chacun des grands et des princes, demandant partout des troupes, car il ne pensait qu’à la guerre et le souvenir de Rustem lui serrait le cœur.
Deux semaines s’étant écoulées, les armées arrivèrent de la Chine, de Khoten et des frontières du pays des Turcs ; la terre était agitée comme la mer qui s’émeut ; la surface de la plaine disparaissait sous les hommes.
Afrasiab fit venir dans la ville tous les troupeaux de chevaux qui erraient durasses pâturages,
Ruai il ouvrit les trésors que les rois depuis Tour s’étaient transmis en secret de père en fils et se mit à’lever les couvercles des caisses et à distribuer de l’argent jour et nuit.
Quand l’armée fut entièrement équipée, quand elle ne manqua plus de rien de ce qu’elle pouvait désirer, Afrasiab choisit cinquante mille braves, tous ardents pour le combat et préparés à la guerre ; et il dit à Schideh son vaillant fils, qui por tait la tête plus haut que les lions les plus courageux : Je le confie cette armée prête à livrer bataille ; va faire la guerre dans le Kharezm ; garde la frontière de ce pays et sois toujours ceint pour le combat. »
Ensuite, il ordonna à Piran de choisir cinquante autres mille hommes d’entre les braves de la Chine et il lui dit :
Avance-toi jusqu’à la capitale de l’Iran et empare-toi du trône de ce jeune roi.
N’ouvre sous aucune condition la porte de la paix ; ne parle à Khosrou qu’en ennemi ; car qui veut mêler l’eau avec le feu, fait violence à l’un et à l’autre. »
Les deux nobles et prudents Pehlewans, dont l’un était un vieux sage et l’autre un jeune homme, partirent éclairés par les conseils d’A- frasiab, le vieillard avec calme, le jeune homme avec précipitation, tous deux pourvus de timbales d’or, de massues et d’épées et accompagnés d’un bruit d’armes qui ressemblait au tonnerre.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021