Keï Khosrou

Keï Khosrou organise son armée

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Lorsque le soleil, dans sa splendeur, se fut levé derrière les montagnes et que les chanteurs furent fatigués, on entendit sous la porte royale le bruit des tambours et l’armée forma ses rangs devant le palais.

On suspendit au dos des éléphants les timbales d’airain, on sonna de la trompette, on dressa sur un éléphant le trône du roi et ce rejeton de l’arbre impérial commença de porter du fruit.

Khosrou parut et monta sur son éléphant, la tête couverte d’un diadème de pierreries, ayant au cou une chaîne de pierres fines dignes d’un roi, tenant dans la main une massue à tête de bœuf, portant aux oreilles deux boucles incrustées de perles et de rubis, aux bras, deux bracelets de rubis et d’or et ceint d’une ceinture de perles, d’or et d’émeraudes.

Il fit avancer jusqu’au centre de l’armée son éléphant couvert de caparaçons et de clochettes d’or.

Il tenait dans sa main une coupe dans laquelle se trouvait une balle et le bruit de l’armée s’élevait jusqu’à Saturne.

Le roi ayant posé la coupe sur le dos de son éléphant de guerre, jeta la balle dedans et le monde se couvrit de flots d’hommes, semblables aux flots bleus de la mer ;

La terre devint noire et le ciel s’obscurcit sous cette masse d’épées, de massues, de timbales et de poussière : on aurait dit que le soleil était pris dans un lacet, ou que la voûte du ciel était couverte d’eau.

L’œil du spectateur distinguait les rênes brillantes des chevaux et le ciel et les étoiles voyaient de près les pointes des lances ;

Quand l’armée défila, escadron par escadron, tu aurais dit que c’étaient des vagues que jetait la mer.

On porta, du palais dans la plaine, les tentes du roi et la voûte du ciel fut ébranlée par le bruit des armes.

Du moment où le roi illustre, assis sur son éléphant, eut jeté la balle dans la coupe et qu’il se fut ceint pour le départ, aucun prince dans le monde n’aurait osé s’asseoir autre part qu’au seuil de la porte impériale.

Voici donc comment l’illustre Khosrou, entouré des grands de l’empire, commença son règne.

Il se tenait dans la large plaine, assis sur son éléphant, pour faire défiler devant lui son armée.

Le premier qui parut et qui passa devant le nouveau maître du monde fut Feribourz, tenant une épée et une massue, portant des bottines d’or et suivi d’un drapeau à figure de soleil.

Il était assis sur un destrier couleur isabelle et avait roulé son lacet autour du crochet de la selle.

Lorsque ce prince, fort de membres, haut de stature et d’un maintien royal, passa devant Khosrou avec ses troupes couvertes d’or et d’argent, le roi du monde le salua, disant :

Puisses-tu conserver la puissance et la dignité qui sont l’apanage des grands !

Puisse ta fortune être toujours victorieuse !

Puisse chaque jour de ta vie être une fête de Nourouz !

Puisses-tu partir en bonne santé et revenir sans fatigue auprès de nous !

Gouderz fils de Keschwad, dont la sagesse faisait prospérer le monde, suivit Feribourz.

On portait derrière lui un drapeau orné d’une figure de lion dont les griffes s’appuyaient sur une massue et sur une épée.

À sa gauche marchait le vaillant Rehham, à sa droite le fier Guiv et derrière lui Schidousch, lequel tenait ce drapeau à figure de lion qui jetait sur la terre une teinte violette et était suivi par des milliers de braves à cheval et armés de longues lances.

On portait derrière Guiv un drapeau noir et à figure de loup, que ses troupes entouraient.

Le drapeau de l’ambitieux Rehham, dont la pointe s’élevait jusqu’aux nues, se distinguait par une figure de tigre.

Gouderz avait soixante et dix-huit fils ou petits-fils qui couvraient la plaine ; chacun d’eux était suivi par un drapeau différent et tous étaient des hommes de cœur, armés d’épées et portant des bottines d’or : on aurait dit que Gouderz était le maître de la terre, que la tête des grands était soumise à son épée.

Lorsqu’il s’approcha du roi, il bénit plusieurs fois son trône et sa couronne et le roi le salua, lui, Guiv et son armée.

Après Gouderz vint Kustehem, le fils du prudent Guejdehem, qui tenait dans la bataille une lance en main, que son arc et sa flèche de bois de peuplier ne trahissaient jamais et dont le bras faisait voler des flèches qui perçaient des rochers et des enclumes.

Il s’avançait à la tête d’une troupe nombreuse, choisie, armée de massues et d’épées et couverte d’ornements précieux ; il marchait sous une bannière à figure de lune, dont la pointe brillante touchait les nues.

Il offrit ses hommages au roi et Khosrou le regarda avec plaisir.

Après Kustehem défila Aschkesch à l’esprit pénétrant, au cœur sage, à l’âme tendre ; c’était un héros de la famille de Kobad, fier, calme et noble ; il était accompagné des braves de Cutch et du Beloudjistan, qui sont avides de combats comme des béliers, qu’on n’a jamais vus fuir et qui sont toujours armés jusqu’au bout des doigts.

Ils portaient haut dans l’air un drapeau orné d’une figure de tigre, qui semblait faire pleuvoir des coups de griffe.

Aschkesch félicita le roi sur l’heureux changement de son sort et Khosrou le regarda du haut de son éléphant, lui et son armée, dont les rangs couvraient un espace de deux milles, il le reçut fort gracieusement et bénit ce favori du sort et son pays fortuné.

Après lui vint Ferhad l’illustre, qui était l’ordonnateur de l’armée de Khosrou et qui, semblable à un père nourricier, la conduisait partout à la bataille.

Il marchait sous une bannière à figure d’antilope, dont l’ombre tombait sur sa tête.

Ses braves avaient tous des épées indiennes, des cuirasses du Soghd et des selles du Touran ; c’étaient tous des princes de la famille de Kobad, que la grâce de Dieu et leur droiture protégeaient.

Leurs joues resplendissaient comme la lune, ils brillaient sur le champ de bataille comme le soleil.

Quand Ferhad aperçut le trône brillant, il rendit hommage au jeune roi.

Derrière Ferhad s’avança en bondissant un brave et illustre cavalier qui ressemblait à un lion mâle, Gourazeh, le chef de la race de Guiv, avide de combats.

Il avait une bannière à figure de sanglier et conduisait une troupe adroite à manier le lacet et prête à combattre.

Il arriva à l’endroit de la large plaine où le roi se tenait, salua Khosrou et passa.

Le roi le regarda avec bienveillance et vit avec approbation les lacets enroulés et suspendus aux selles.

Après Gourazeh vint le terrible Zengueh fils de Schaweran, à la tête de ses braves pleins d’arrogance.

On portait derrière lui un drapeau à figure d’aigle royal.

Il s’avança, semblable à une montagne de fer et bénit le roi et sa haute stature, son épée et son sceau.

Tous les braves qui venaient du pays de Baghdad et qui tous étaient armés de lances et d’épées d’acier, défilèrent sous le drapeau à l’aigle royal et devant le roi, assis sur son éléphant.

Après lui vint le vaillant Faramourz, armé d’une massue, plein de dignité et de noblesse : il était accompagné d’éléphants, de timbales et de guerriers nombreux, tous avides de combats et pleins de fierté, qui venaient du Kaschmir, du Kaboul et du Nimrouz, qui portaient haut la tête et remplissaient le monde de leur gloire.

Il avait un drapeau pareil à celui de son père Rustem, le plus glorieux des héros et portant une figure de dragon à sept têtes : on aurait dit un dragon qui venait de rompre ses liens.

Faramourz s’avança, semblable à un arbre chargé de fruits et rendit hommage au roi, dont le cœur se réjouit à son aspect et qui lui donna beaucoup de conseils, en disant :

Celui que le héros au corps d’éléphant a élevé doit porter haut la tête, quelle que soit l’assemblée où il se trouve.

Tu es fils de Rustem à l’esprit vigilant, tu es de la famille de Zal, de Sam et de Neriman ;

l’Inde t’appartient et depuis Kanoudj jusqu’au Seïstan, tout est à toi.

N’afflige ni ne persécute ceux qui ne t’attaquent pas ;

sois toujours l’ami des pauvres ;

sois toujours généreux envers les tiens ;

examine bien qui est ton véritable ami, qui est sage et qui peut dissiper les soucis.

Répands les trésors et sois actif et ne dis pas : Demain !

Car le jour de demain pourrait te porter malheur.

Je t’ai confié ce pouvoir, exerce-le, mais ne combats jamais sans nécessité.

Ne sois pas avide de richesses dans ta jeunesse et ne lèse jamais celui qui ne t’a pas lésé.

Ne te fie pas à ce monde trompeur ; il est tantôt couleur de sandaraque, tantôt couleur d’ébène.

Songe à laisser après toi un nom glorieux, prends garde que ton cœur ne se déprave au contact des hommes.

Mes jours et les tiens finiront et le ciel qui tourne compte tes respirations.

Aie soin de maintenir ton âme en paix, ton corps en bonne santé et ne perds jamais de vue le vrai but de la vie !

Puisse Dieu le créateur t’accorder sa grâce !

Puisse la tête de tes ennemis se remplir de fumée !

Faramourz ayant écouté les conseils du nouveau maître du monde, descendit de son destrier ardent et offrit au jeune roi ses hommages, disant :

Puisses-tu croître comme la nouvelle lune !

Il baisa la terre en se prosternant devant le roi, ensuite il partit pour sa destination lointaine.

Rustem, dont l’âme se consumait de douleur à cause de son départ, l’accompagna l’espace de deux farsangs, lui donnant des conseils sur les guerres et les fêtes et sur sa conduite et exprimant l’espoir que le sort lui serait favorable ; ensuite il le quitta tout soucieux et s’en retourna du désert vers ses tentes.

Le roi, pendant ce temps, était descendu de son éléphant de guerre, était monté sur un cheval rapide et rentré dans son camp, le cœur plein de bienveillance, la tête pleine de pensées sages ;

Lorsque Rustem s’approcha, Khosrou fit apporter du vin, vida une grande coupe et lui dit :

Le sage ne parle jamais du lendemain.

Tu as encore beaucoup de moyens d’être heureux.

Où est maintenant Tour ?

Où sont Selm et Feridoun ?

Ils ont disparu et la poussière les couvre.

Pourquoi courir, travailler, amasser des richesses et étouffer dans notre cœur tout autre désir ?

À la fin il ne nous reviendra de tout cela que le tombeau, auquel personne ne peut échapper.

Égayons la sombre nuit avec nos coupes et quand le jour brillant sera venu, il comptera nos pas.

Causons jusqu’à ce que Thous fasse sonner des trompettes et battre les tambours et les timbales.

Nous verrons à qui le ciel qui tourne tendra, dans cette lutte, sa main secourable.

L’homme fait des efforts, mais à quoi servent-ils ?

Car il ne peut arriver que ce qui a été décrété dès le commencement.

Le bonheur et le malheur passent sur notre tête ; mais pourquoi le sage s’en inquiéterait-il ?

Si Dieu le créateur nous est en aide, nous vengerons le sang de mon père.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021