Keï Khosrou

Gourguin s'en retourne dans l'Iran et fait des mensonges sur Bijen

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Gourguin resta sept jours sur la route et voyant que Bijen ne reparaissait pas, il se mit à le chercher de tous côtés en inondant ses joues de larmes de sang.

Il commença à se repentir de ce qu’il avait fait et du malheur qu’il avait attiré sur la tête de son compagnon.

Il alla en toute hâte à la prairie des fêtes et y chercha son ami ; il traversa toute la forêt et n’y trouva personne et n’y entendit pas même le chant d’un oiseau.

Mais tout à coup il vit de loin le cheval de Bijen qui venait du bord du ruisseau ; sa bride était déchirée, sa selle traînait par terre, sa lèvre pendait et il montrait des signes de colère.

Alors Gourguin reconnut que Bijen était perdu et qu’il ne reviendrait plus dans l’Iran, qu’il lui était arrivé du mal de la part d’Afrasiab, soit qu’on l’eût pendu à un gibet, soit qu’on l’eût enchaîné et jeté dans une fosse.

Il laissa tomber son lacet et détourna la tête ; il se repentait de son crime et souhaitait revoir son compagnon.

Il emmena de la prairie le cheval de Bijen, le conduisit à sa tente et s’y arrêta un jour ; ensuite il se dirigea vers le pays d’Iran en se faisant des reproches ; mais comme il ne pouvait percer le secret de l’avenir, il resta nuit et jour sans dormir et sans manger et en répétant :

Quand je serai arrivé, que dirai-je ?

Comment oserai-je regarder le visage du roi ? »

Le roi ayant appris que Gourguin arrivait, mais sans être accompagné de Bijen, n’en dit rien à Guiv pour avoir le temps d’interroger Gourguin.

Mais Guiv reçut en même temps que lui la nouvelle que Bijen son vaillant fils avait disparu.

Il sortit de son palais et courut dans la rue le cœur blessé, le visage inondé de larmes et disant :

Bijen ne viendra-t-il donc pas ?

Je ne sais pourquoi il reste chez les Irmaniens. »

Il ordonna qu’on mît la selle de peau de léopard au destrier de Keschwad, dont il se servait quand il allait au secours de quelqu’un.

Guiv, le cœur rempli de rage comme un crocodile, monta à l’instant à cheval et partit connue le vent pour aller à la rencontre de Gourguin et pour lui demander où était resté Bijen et ce qui s’était passé.

Il se dit en lui-même :

Je crains que Gourguin n’ait commis un crime à l’improviste et secrètement ; et si je le vois arriver sans mon fils Bijen, je lui trancherai aussitôt la tête. »

Lorsque Gourguin le vit s’approcher, il mit pied à terre et courut au-devant de lui ; il se roula dans la poussière tête nue et déchirant ses joues avec ses ongles.

Ensuite, il demanda à Guiv :

Ô élu des héros, chef de l’armée de l’Iran, gardien du trône, pourquoi es-tu venu au-devant de moi ?

Pourquoi es-tu venu les yeux remplis de sang ?

Mon pauvre cœur était déjà assez affligé et maintenant il va être encore plus malheureux ; mes yeux sont honteux de te regarder et mon visage est inondé de n brûlantes larmes de sang.

Mais ne sois pas inquiet, car il est en vie et je vais t’indiquer ses traces. »

Quand Guiv vit le cheval de son fils conduit par Gourguin, couvert de poussière et trébuchant comme s’il était ivre, quand son oreille fut frappée des paroles de Gourguin, il tomba de cheval et perdit la raison ; il enfonça sa tête dans la poussière, déchira ses vêtements de Pehlewan, s’arracha les cheveux et la barbe et répandit de la poussière sur sa tête en poussant des cris.

Puis, il dit :

Ô créateur du ciel, : tu as mis dans mon cœur de la raison et de la tenrr dresse.

Puisque mon fils m’est enlevé, je désire que tu brises les liens de ma vie et que tu portes mon âme dans le séjour des bons ; car tu connais les douleurs de mon cœur.

Je n’avais dans le monde qu’un seul fils, qui était pour moi un consolateur et un soutien ; maintenant le malheur me l’a ravi et je me trouve dans la gueule du dragon. »

Ensuite, il se retourna vers Gourguin et lui demanda :

Que s’est-il passé depuis votre départ ?

Le sort l’a-t-il enlevé tout à coup, ou l’as-tu seulement perdu de vue ?

Dis-moi quel malheur lui est arrivé et qui l’a chargé des chaînes que le ciel lui avait destinées ?

Quel Div s’est élancé sur lui dans la prairie, a mis fin à sa vie et l’a anéanti ?

Ô brave, comment as-tu trouvé ce cheval et quand t’es-tu séparé de Bijen ? »

Gourguin répondit :

Reprends tes sens, écoute mes paroles et ouvre l’oreille.

Apprends, ô Pehlewan et sache ce qui est arrivé et ce que nous avons fait et comment nous avons combattu les sangliers dans la forêt.

Puisses-tu rendre brillant à jamais le trône du roi !

Nous sommes partis d’ici pour aller combattre les sangliers dans la forêt.

Arrivés chez les Irmaniens, nous avons vu une forêt nue comme un désert ; les arbres en avaient été coupés et c’était devenu une prairie ; on ne voyait que tanières de sangliers ; tout le pays en était dans la désolation.

Nous avons élevé nos lances pour le combat, nous avons poussé des cris dans la forêt ; les sangliers sont arrivés semblables à des montagnes, non pas l’un après l’autre, mais de tous les côtés et en troupeaux.

Nous avons combattu comme des lions ; et lorsque le jour a baissé, nous n’étions pas las de la lutte.

Nous les avons renversés comme eussent fait des éléphants, nous leur avons arraché les défenses avec des clous ; ensuite nous nous sommes remis en marche pour l’Iran, en nous amusant sur la route et en chassant.

Alors un onagre s’est avancé vers nous dans la prairie ; il était plus beau que tout ce qu’on peut voir en peinture : sa robe ressemblait à celle de Gulgoun le cheval de Gouderz, sa tête à celle de Kheng-i-schebaheng le cheval gris de Ferhad ; ses jambes étaient rapides comme les ailes du Simourgh ; ses sabots étaient d’acier ; et de la tête, des pieds et de la queue il ressemblait à Schebreng le destrier de Bijen ; son cou était comme le cou d’un lion, sa course vite comme le vent ; tu aurais dit que Raksch l’avait engendré.

Il s’avança vers Bijen, semblable à un puissant éléphant ; celui-ci lui jeta sur la tête le lacet ondulant ; au même moment l’onagre partit en courant et Bijen s’élança derrière lui.

La course de l’onagre et la poussière que soulevait le cheval de Bijen répandirent comme une fumée sur la prairie ; la terre bouillonnait comme une mer ; et le héros qui avait jeté le lacet et l’onagre disparurent à mes yeux.

Je les suivis à travers la plaine et la montagne, jusqu’à ce que mon cheval fût fatigué de la course ; mais je ne trouvai aucune trace de Bijen, excepté ce cheval et la selle qu’il traînait derrière lui.

Mon cœur était en feu par l’effet de mon inquiétude : que s’était-il passé dans ce combat entre lui et l’onagre ?

Je m’arrêtai longtemps dans cette prairie, je cherchai partout Bijen.

À la fin je partis désespéré et convaincu que cet onagre féroce était le Div blanc. »

En entendant ce discours artificieux, Guiv sentit que tout était fini ; il vit que la parole de Gourguin était embarrassée et que ses yeux se troublaient quand il le regardait ; que sa joue était pâle par la crainte du roi, que son corps tremblait et que son cœur se sentait coupable.

Lorsque Guiv reconnut que son fils avait disparu, quand il comprit combien Gourguin lui en imposait, Ahriman ébranla son cœur et lui donna envie de fouler aux pieds ce brave, pour se venger sur lui de la mort de son fils chéri, dût-il se déshonorer par cet acte.

Mais il se mit à penser et à réfléchir ; il ne vit pas jour à cette affaire et il se dit :

À quoi me servira ce meurtre, si ce n’est à faire la volonté de l’infâme Ahriman ?

De quelle utilité pourrait être à Bijen la mort de Gourguin ?

Il faut que je trouve un autre remède à mon malheur.

Il me serait facile de me venger, car il n’y a pas de muraille devant ma lance ; mais il vaut mieux que je me rende auprès de Khosrou, pour que les paroles de Gourguin le convainquent de son crime. »

Al :

Alors, il dit à Gourguin d’une voix de tonnerre :

Ô vil et méchant homme, souillé de crimes, lu m’as enlevé mon soleil et ma lune, mon fils, l’élu des cavaliers et mon roi.

Tu m’as jeté dans l’angoisse, tu me forces de faire le tour du monde pour chercher un remède à mon malheur.

Comment trouverais-je du repos, du sommeil et de la patience au milieu de tes fraudes, de tes ruses et de tes mensonges ?

Je ne te laisserai pas libre avant que j’aie vu le roi ; ensuite je me vengerai de toi, je vengerai mon fils chéri.a

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021