Keï Khosrou

Djerireh se tue elle même

...

Lorsque Firoud, le fils de Siawusch, qui n’avait pas atteint son but et la gloire qu’il cherchait, eut quitté ce monde qui ne lui avait pas tenu ses promesses, ses esclaves montèrent sur le portail du château et se précipitèrent en bas.

Djerireh alluma un grand feu et y brûla tous ses trésors ;

Elle saisit une épée, ferma la porte des écuries des chevaux arabes, leur ouvrit le ventre et leur coupa les pieds en inondant ses joues de sang et de sueur.

Ensuite elle se rendit à la couche du noble Firoud, à coté duquel elle trouva un poignard brillant, elle appuya sa joue sur le visage de son fils, s’ouvrit le ventre et expira à coté de Firoud.

Pendant ce temps, les Iraniens arrachèrent de ses gonds la porte du château et se mirent à tout dévaster.

Bahram s’approcha des remparts, l’âme déchirée de douleur ;

Il s’approcha de la couche de Firoud, la joue inondée de larmes, l’âme pleine d’angoisses et dit aux Iraniens :

Voici un homme dont le sort est beaucoup plus triste et plus déplorable que n’a été celui de son père.

Siawusch n’a pas demandé à ses esclaves de mourir avec lui et sa mère ne s’est pas tuée sur sa couche ;

Il n’a pas vu brûler autour de lui son palais, détruire et dévorer par les flammes sa maison et tout ce qu’il possédait.

Mais le ciel a la main assez longue pour atteindre et punir le crime et il ne tourne pas avec tendresse au-dessus de l’injuste.

Ne serez-vous pas honteux maintenant de paraître devant Khosrou, après tout ce qu’il a dit à Thous avec tant d’insistance ?

Il vous a envoyés pour venger Siawusch, il vous a donné beaucoup de conseils et d’avis !

Mais quand il aura connaissance du meurtre de son frère, sa tendresse et sa faveur vous manqueront et Rehham et l’irascible Bijen n’auront plus un seul jour heureux dans leur vie.

Dans ce moment le Sipehdar Thous se mit en marche vers Kelat, avec ses timbales et accompagné de Gouderz et de Guiv, les puissants chefs de l’armée et d’un grand cortège de braves de l’Iran.

Il se dirigea vers le mont Siped ; il s’avança rapidement et le cœur libre de tout souci.

Mais lorsqu’il se trouva devant la couche de cet homme si déplorablement tué, qu’il le vit lui et sa mère étendus morts sur ce trône, qu’il aperçut d’un côté Bahram pleurant, assis à coté de la couche de Firoud et rempli de colère et de l’autre côté Zengueh fils de Schaweran et les grands qui l’entouraient, qu’il regarda ce héros, semblable à un arbre, placé sur son trône d’ivoire, beau comme la lune, grand comme un platane, il crut voir Siawusch revêtu de sa cuirasse et de sa ceinture, tenant son épée et ses flèches et dormant sur son trône d’or.

Gouderz, Guiv, tous les grands et tous les héros versaient des larmes amères et Thous lui-même inonda ses joues du sang de son cœur, en regrettant la mort de Firoud et en pleurant son propre fils.

Gouderz adressa la parole à Thous, vers lequel se tournaient, en soupirant et en versant des larmes, Guiv, Kustehem, Gourguin et tous les braves, pendant que Gouderz lui parlait ainsi :

La violence porte pour fruit le regret ;

Ne sème donc jamais dans le jardin de la vie la semence de la colère, car la précipitation ne convient pas au chef d’une armée et un homme emporté n’est pas propre au commandement.

Ta colère et ta précipitation ont livré à la mort ce beau jeune homme de la race des Keïanides, majestueux, fort, svelte, élancé, elles ont fait tomber le Sipehdar Zerasp petit-fils de Newder et entraîné la perte de Rivniz.

Jamais on n’a vu de pareils malheurs.

La bravoure et l’intelligence sont dans l’âme d’un homme en colère comme une épée que ronge la rouille.

À ces paroles Thous versa des larmes et répondit en oubliant son courroux et sa violence :

La mauvaise fortune accable les hommes de peines et de malheurs.

Ensuite, il fit construire un mausolée royal sur le sommet de la montagne ;

On y plaça Firoud assis sur son trône d’or, vêtu de brocart d’or, ceint d’une ceinture royale, paré de ses insignes de roi ;

On demanda de l’eau de rose, du musc, du camphre et du vin ;

On embauma la tête avec du camphre et le corps avec du gui, de l’eau de rose et du musc.

L’ayant placé ainsi sur son trône, ils se retirèrent et tout fut fini pour cet homme au cœur de lion, qui avait porté si haut la tête.

Ensuite on déposa l’orgueilleux Zerasp et Rivniz dans des tombeaux à côté de celui du prince et Thous versa de ses yeux des gouttes de sang sur sa barbe blanche comme le camphre.

Tel est notre sort, quelle que soit la durée de notre vie ; et ni le puissant éléphant ni le lion ne vivent toujours.

La pierre et l’enclume ont à craindre la destruction et le fruit et la feuille n’y échappent pas.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021