Bahram fils de Gouderz dit au Sipehdar :
J’éclaircirai cette affaire.
Je vais partir et exécuter tes ordres ; je vais monter sur la crête de la montagne.
Il sortit des rangs de l’armée et assis sur son destrier, se dirigea tout soucieux vers la montagne.
Le prince, en le voyant, dit à Tokhareh :
Qui est-ce qui s’avance là si insolemment ?
Est-ce qu’il ne tient pas compte de moi et veut-il monter ici de force ?
Il a sous lui un cheval isabelle et au crochet de sa selle pend un lacet.
Le prudent conseiller de Firoud lui répondit :
Il ne faut pas le rudoyer ;
Je ne sais pas son nom et ne reconnais pas les marques qui le distinguent ; mais je crois que c’est un des fils de Gouderz.
Lorsque Khosrou partit du Touran pour aller dans l’ Iran, il emporta un casque royal et je crois que la tête de ce cavalier en est couverte et que sa noble poitrine est revêtue du haubert qui appartient à ce casque.
Il est sans doute de la famille de Gouderz ;
Puissent les traces de son pied porter bonheur à ce pays !
Lorsque Bahram fut près du sommet, il éleva sa voix qui ressemblait au tonnerre, en criant :
Qui estu, toi qui te places sur la hauteur et observes cette armée innombrable ?
N’as-tu pas entendu le son des clairons et des timbales ?
N’as-tu aucune crainte de Thous le sage Sipehdar ?
Firoud lui répondit :
Ne médite pas des affronts, car tu n’en as pas essuyé.
Parle doucement, ô homme expérimenté !
Et ne blesse pas tes lèvres par des paroles glacées.
Tu n’es pas un lion irrésistible et je ne suis pas un onagre du désert ; n’essaye donc pas de nous traiter ainsi avec mépris.
Tu ne m’es supérieur en rien, ni en bravoure, ni en courage, ni en forces.
Regarde-moi pour voir si j’ai une tête et des pieds, un cerveau, un cœur, des mains, une intelligence, une langue éloquente, des yeux et des oreilles ; et si je les ai, garde-toi de me menacer follement.
Je vais t’adresser des questions, si tu veux me répondre ; et je serai heureux si tu veux écouter les conseils de la raison.
Bahram lui répondit :
Parle !
Tu es dans le ciel et moi sur la terre.
Firoud lui demanda qui était le chef de cette armée et qui il venait combattre.
Bahram répondit :
Notre chef est Thous, le maître du drapeau de Kaweh et des timbales ; les héros qui l’accompagnent sont Gouderz, Rehham, Guiv, Schidousch, Gourguin et le vaillant Ferhad, Kustehem, Zengueh fils de Schaweran et Gourazeh, le chef d’une race de braves.
Firoud lui dit alors :
Pourquoi n’as-tu pas nommé Bahram ?
Pourquoi as-tu commis l’inconvenance de l’omettre ?
C’est de tous les fils de Gouderz celui que nous verrions avec le plus de plaisir ; pourquoi n’as-tu pas prononcé son nom ?
Bahram répondit :
Ô homme au cœur de lion !
Qui t’a parlé si honorablement de Bahram ?
Qui t’a fait connaître Gouderz et Guiv ?
Puisses-tu être à jamais heureux et puisse la grâce de Dieu reposer sur toi !
Firoud lui répliqua :
C’est ma mère qui m’en a parlé et qui m’a dit que si une armée se présentait, je devais aller au-devant d’elle et m’informer si Bahram y était ; que lui et un autre héros d’entre les grands, dont le nom est Zengueh fils de Schaweran, sont frères de lait de mon père et que je devais demander de leurs nouvelles.
Bahram dit :
Ô toi que la fortune favorise !
Tu es donc un fruit de cet arbre royal, tu es Firoud !
Ô jeune roi, puisses-tu vivre heureux à jamais !
Firoud répondit :
Oui, je suis Firoud, je suis un rejeton de ce cyprès qu’on a abattu.
Bahram lui dit :
Découvre ton corps, montre-moi la marque que tu tiens de Siawusch.
Firoud montra à Bahram son bras, sur lequel on voyait une marque brune comme une tache d’ambre sur une rose et telle qu’aucun peintre dans le monde n’aurait pu l’imiter à l’aide d’un compas chinois.
Bahram alors fut assuré que Firoud était de la famille de Kobad et de Siawusch et lui rendit hommage en se prosternant contre terre ; ensuite il monta sur la crête escarpée de la montagne.
Le jeune prince descendit de cheval, s’assit sur le roc, l’âme en joie et dit à Bahram :
Ô héros, maître du monde, ô sage, qui es un lion dans les combats !
Si je voyais de mes yeux mon père vivant, je n’en serais pas plus heureux que je le suis de te voir si content, si joyeux, si prudent, si clairvoyant et si brave.
Je suis venu sur la crête de cette montagne pour adresser à Tokhareh des questions touchant les grands de l’armée de l’Iran et pour apprendre qui est leur chef, qui est le glorieux héros qui les conduit à la bataille.
Je vais apprêter une fête aussi belle que je pourrai ; je contemplerai avec transport le visage du Pehlewan ; je distribuerai des chevaux sans nombre et des épées, des massues, des ceintures et tout ce que j’ai ;
Ensuite je partirai fièrement à la tête de l’armée pour le Touran, car mon cœur blessé a soif de vengeance ; et je suis digne de la chercher, car dans la bataille et assis sur mon cheval, je suis une flamme dévorante.
Veux-tu prier le Pehlewan de me faire la grâce de venir me voir sur ma montagne ?
Nous y passerons sept jours à parler de toutes choses, grandes et petites ; et le huitième, le Sipehdar Thous montera à cheval, lorsque les timbales se feront entendre, je me ceindrai pour venger mon père, je livrerai, dans la douleur de mon cœur, des combats qui feront connaître le lion des batailles, qui montreront ce que peuvent ses flèches empennées de plumes d’aigle, car jamais brave n’a été aussi déterminé à se venger.
Bahram lui répondit :
Ô roi, jeune, prudent, brave et bon cavalier !
Je répéterai à Thous tes paroles, je baiserai sa main pour obtenir ce que tu désires ; mais le Sipehbed n’est pas un homme de sens et sa tête ne s’abandonne pas facilement aux bons conseils.
Il est vaillant, riche et de noble naissance, mais il n’a pas de raison.
Gouderz et Khosrou ont eu à lutter contre lui, à cause de Feribourz et de la couronne et il répète toujours qu’il est fils de Newder et digne d’occuper le trône.
Il se peut qu’il refuse de faire ce que je lui demanderai, qu’il se prenne violemment de querelle avec moi.
Si donc un autre que moi s’avançait vers toi, ne lui laisse pas apercevoir ta tête et ton casque.
Thous m’avait dit :
Va voir qui est sur cette montagne et quand tu l’auras atteint, ne lui demande pas pourquoi il est là, ne lui parle qu’avec la massue et le poignard ; comment laisserions-nous quelqu’un se placer aujourd’hui sur cette hauteur ?
Si donc Thous s’adoucit, je reviendrai avec cette bonne nouvelle et te conduirai avec joie à notre camp ;
Mais si c’est un autre que tu vois venir, ne te fie pas beaucoup à lui.
Dans tous les cas il ne viendrait qu’un seul cavalier pour te combattre, telle est la règle de notre chef.
Maintenant sois circonspect et prudent, rentre au château et quitte ce lieu.
En ce moment Firoud tira de sa ceinture une massue dont la poignée était d’or et incrustée de turquoises et la lui donna en disant :
Prendsla comme un souvenir de moi ; elle te servira ; et si le Sipehdar Thous vient chez moi dans des dispositions amicales, nous serons heureux et pleins de joie et je distribuerai des présents plus précieux, des chevaux, des selles, des diadèmes d’or, des sceaux dignes d’un roi.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021