Lorsque le drapeau blanc du soleil se leva de la mer et que les astres désespéraient de la durée des ténèbres, les tambours partirent des deux enceintes des tentes des chefs, avec les éléphants et les clairons.
Le bruit des clairons, des trompettes et des timbales d’airain placées Sur le dos des éléphants était tel qu’on aurait dit que les plaines et les r0»
Chers en tremblaient et la face du soleil devint comme le plumage du corbeau.
Quand les Iraniens eurent formé leurs lignes, tenant tous en main des lances et des épées indiennes, on aurait dit que la terre entière n’était que cuirasses et que les astres empruntaient leur lustre aux pointes des lances., Khosrou aligna le centre de la ligne et toute l’armée fut pleine de cœur.
Le chef de l’aile droite était Guerdouî, un homme vaillant, brave et ambitieux ; à l’aile gauche était un illustre arménien couvert d’une cuirasse et tenant une épée digne d’Ahriman.
Les champions de l’armée étaient Schapour et Endian, qui resserraient leurs ceintures pour ce combat.
Gustehem se tenait à côté du roi, qu’il devait protéger contre l’ennemi.
Lorsque Bahram le héros ne vit pas les Roumis, il s’arrêta hésitant et garda le silence ; puis il ordonna de lier les timbales sur le dos des éléphants et la face du monde devint agitée comme les flots du Nil.
Il monta sur le dos d’un éléphant blanc et ses compagnons dans le combat désespérèrent de sa fortune. il poussa son éléphant jusqu’à l’aile droite et dit à Schapour :
Ô misérable traître !
N’as-tu pas promis dans ta lettre que tu viendrais à moi sur cette plaine de sang ?
Ce n’est pas une conduite digne d’un Perse et tu livres gratuitement ton corps à la destruction. »
Schapour lui dit :
Ô face de Div !
Est-ce que tu as perdu la tête dans l’esclaclavage ?
Qu’est-ce que cette lettre dont tu parles devant les grands et quelle trace y en a-t-il ? »
Le puissant Khosrou dit à Schapour :
Cette lettre était conforme aux intentions de cet homme ; et par suite tu seras récompensé par moi, de même que les autres grands de ma cour ; quand il en sera temps, je le l’expliquerai et je réfuterai les soupçons qui pourraient s’attacher à toi. »
Bahram entendit ces paroles de Khosrou et il comprit la ruse dont on avait usé envers lui.
Il fut troublé par cette affaire et en fut honteux, et, étant irrité, il se détermina à commencer la bataille.
L’usurpateur, monté sur son éléphant, se dirigea rapidement tout seul vers le centre de l’armée de Khosrou.
Le roi voyant cela, dit à Endian :
Ô vail-. celant et terrible lion !
Faites pleuvoir des traits sur cet éléphant, convertissez vos arcs en nuages du printemps. »
Tous les Iraniens, que favorisait la fortune ,
. bandèrent leurs arcs et la trompe de l’éléphant lut tellement couverte de flèches qu’on aurait dit que de ses blessures s’écoulait un Nil de sang.
Bahram demanda à l’instant un cheval de main, il demanda un casque, qui aurait fait la parure d’un roi, mais on recommença à faire pleuvoir la pluie de traits sur le destrier de l’orgueilleux Bahram.
Cet homme, avide de combat, mit pied à terre, fit entrer le pan de sa cotte de mailles dans sa ceinture, protégea sa tête avec son bouclier et son épée tranchante porta la mort dans les rangs des combattants, qui s’enfuirent à pied devant Bahram et jetèrent leurs arcs On amena dans ce moment un destrier, sur lequel de Djadj. le Sipehbed Bahram monta rapidement ; il s’élança en rugissant sur le centre de l’armée des Perses, à la place où se trouvait le roi à la tête des troupes. il dispersa tout le centre de l’armée et le drapeau du maître du monde disparut.
De là il se dirigea vers l’aile droite, où les bagages se trouvaient placés derrière la ligne des Perses.
Guerdouî commandait cette aile de l’armée, un homme vaillant et ambitieux, qui, reconnaissant le visage de son frère Bahram, monta son arc et tendit la corde.
Ces deux hommes, avides de sang, s’attaquèrent ; on aurait dit qu’ils se confondaient l’un avec l’autre et il se passa ainsi un temps long pendant lequel ils ne se quittèrent pas-Bahram dit à Guerdouî :
Ô toi qui n’as pas de ce père !
Tu as donc bandé ton arc pour tuer ton frère ?
N Guerdouî répondit :
Ô loup des bois !
N’as-tu pas entendu cette grande parole, que quiconque a un frère ami est heureux, mais qu’il vaudrait mieux n’avoir ni pied ni peau que d’avoir un frère ennemi ?
Tu es un homme avide de sang, méchant et vil, tu es dans ton cœur ennemi du Créateur.
Un frère ne vient pas attaquer un frère, s’il respecte son nom et son honneur. »
Lorsque Bahram eut entendu ces paroles, il quitta Guerdouî et suivit avec une mine sombre l’avis que lui donnait son fière.
Guerdouî courut auprès de Khosrou, rempli d’horreur et son visage guerrier tout noir.
Le roi le bénit all’ectuensement, disant :
Que le ciel qui tourne te récompense. »
Puis Khosrou se rendit sur le front de la ligne au centre de l’armée, et, voyant que ses braves commençaient à plier, il envoya quelqu’un à Schapour et lui fit dire :
Soutiens Mausil, luttez et appuyez-vous l’un l’autre, peut-être saisirez-vous la fortune brillantent Ensuite le roi dit à Gustehem :
Si un seul Roumi se battait et si le vaillant Bahram était tué ou était seulement blessé dans la bataille, tous ces Roumis lèveraient la tête jusqu’à la voûte du ciel et se vanteraient outre mesure ; mais je ne veux pas qu’ils lèvent la tête et se donnent des airs en face de nous pour ce combat. l’ai été témoin de tous leurs hauts faits : ils sont vu. [Il LE une pas sors. comme un troupeau dans un jour de bourrasque.
Il vaut mieux que j’attaque Djoubineh une bonne fois avec un petit cortège et je ne veux, en cette affaire, de l’aide de personne ; mon refuge est Dieu le secourable. »
Gustehem lui répondit :
Ô roi, ne conspire pas contre ta douce vie, mais si ta résolution est prise, choisis des hommes et ne te fais pas tuer sur ce champ de la vengeance. »
Khosrou lui répondit :
Ce que tu dis est juste ; choisis maintenant des amis dans l’armée. »
Gustehem désigna parmi les cavaliers de l’Iran quatorze hommes illustres qui portaient haut la tête.
D’abord il écrivit son propre nom et le mit à la tête de la liste des braves, ensuite il choisit le vaillant Schapour et Endian, Bendouî et Guerdouî, le soutien des rois ; Aderguschasp et Schirzil, Zengouî, qui bravait les lions et les éléphants ; Tokhareh, un homme sûr dans les combats et qui portait à Yelan Sineh une haine féroce ; Farrukhzad et le fier Khosrou, Aschtad, fils de Pirouz, devant lequel les ennemis se fondaient comme devant du feu,Khourschid le fortuné et Ormuzd, pour qui des ennemis n’étaient que des herbes croupissantes.
Ayant choisi de cette façon quatorze hommes, il les fit àcl’instant sortir des rangs de l’armée et les réunit et Khosrou dit à ces grands :
Ô vous, mes serviteurs qui portez haut la tête, prenez votre appui en Dieu, que l3l votre cœur soit joyeux et souriant ; rien n’arrive que selon l’ordre de Dieu ; il en a été ainsi depuis que la vieille voûte du ciel existe.
Il vaut mieux être tué dans la bataille que de souffrir qu’un esclave devienne notre maître.
Il faut que vous me protégiez dans la bataille, il faut ne pas tarder quand il est temps de s’élancer. »
Tous à l’unisson lui rendirent hommage, l’appelèrent roi de la terre et jurèrent qu’aucun d’eux n’abandonnerait le roi dans cette journée.
Le maître de l’armée les écouta ctfut tranquillisé ; il était heureux de ce que ses sujets répondaient à son attente.
Il remit le commandement de l’armée au fortuné Bahram et partit avec ses quatorze vaillants compagnons.
Dans ce moment on entendit la voix des guetteurs qui annonçaient à Djoubineh qu’une troupe arrivait.
Cet homme ambitieux et au cœur éveillé monta à cheval, un lacet au crochet de la selle, une épée en main.
Quand il vit du haut de son destrier cette poignée d’hommes, il choisit quelques-uns de ses braves et dit à Yelan Sineh :
Cet homme de mauvaise race a fait preuve de sa valeur dans le combat et je sais maintenant qu’il n’y a que lui qui oserait s’avancer sur ce champ de la vengeance.
Il vient nous combattre avec cette poignée d’hommes, mais il se met peut-être devant la gueule du crocodile.
Il n’a pas plus de vingt guerriers avec lui et je n’en connais aucun. »
Puis, il dit à Ized.
Guschasp et à Yelan Sineh :
Il ne faut pas que des hommes cachent leur bravoure.
Quatre de nous, c’est assez contre vingt des leurs et si nous reculions devant eux, nous serions déshonorés.
Il n’est pas nécessaire que nous soyons plus de quatre, car la fortune m’est plus favorable qu’à Khosrou»
Il y avait un homme dont le nom était Djanfironz, qui préférait la nuit sombre au jour.
Bahram lui confia son armée et partit lui-même et avec lui s’élancèrent ses trois compagnons pleins de vie.
Lorsque Khosrou le vit sur la route, il dit aux Iraniens :
Voici une troupe qui arrive.
Maintenant soutenez votre courage, car le moment du danger est arrivé pour moi.
Moi et ma massue nous nous chargeons de Djoubineh, le mal famé ; vous, combattez ces rebelles.
Vous êtes quatorze amis, ils ne sont que trois ; à Dieu ne plaise que nous soyons jamais battus. »
Neïathous et tous les Roumis revêtirent leurs armures, embarrassés de leur rôle.
Ils se rendirent du champ de bataille sur la montagne d’où l’on voyait les deux armées et chacun dit :
Pourquoi le noble roi vend-il sa vie pour une couronne ?
Pourquoi laisse-t-il sur cette plaine tant de cavaliers et va-t-il follement se battre tout seul ? »
Tous levèrent les mains vers le ciel, car ils le croyaient perdu.
Lorsque le vaillant Bahram, Yelan Sineh et Ized !
Guschasp lancèrent leurs chevaux, tous les compagnons de Khosrou l’abandonnèrent ; ils étaient comme un troupeau et Bahram comme un loup.
Il ne resta que Gustehem, Bendouî et Guerdouî et le héros qui portait la couronne invoqua le nom de Dieu.
Le maître du monde tourna à regret son cheval et Ized Guschasp s’élança sur ses traces.
Le roi dit à Gustehem :
Le sort me serre étroitement ; à quoi a servi cette tuerie insensée, puisqu’on m’a vu fuir et montrer mon des ? »
Gustehem lui dit :
Les cavaliers sont partis, tu es resté seul, comment te battrais-tu ? »
Khosrou regarda derrière lui et vit que Bahram devançait ses trois compagnons ; il tâcha d’échapper à ses ennemis et coupa les caparaçons de son cheval noir pour l’alléger ; les trois cavaliers qui étaient avec lui restèrent en arrière, mais ses ennemis, avides de vengeance, le poursuivirent.
Devant lui se trouvait une fente étroite dans la montagne ; trois vaillants ennemis le suivaient comme des léopards. le bout de la fente était fermé par le rocher et le maître du monde y restait loin de son armée.
Le noble jeune homme descendit de son cheval et grimpa rapidement sur le rocher.
Mais il se trouvait l’a à pied, le chemin était fermé devant lui et le cœur du roi illustre était en détresse ; il ne pouvait ni s’arrêter ni choisir un chemin pour s’enfuir et derrière lui arrivait le terrible Bahram, qui criait à Khosrou :
O
. fourbe !
Voici l’abîme qui s’ouvre devant la grandeur.
Comment as-tu pu me livrer ton sort ?
Comment. en as-tu chargé tes propres épaules ? »
La position du roi étant devenue désespérée, avec une épée derrière et le rocher devant lui ; il s’adressa à Dieu, disant :
Ô Créateur !
Tu es au-dessus de la rotation du sort ; dans ce lieu de détresse tu es mon sauveur et je ne prierai ni Saturne ni Mercure. »
Aussitôt que ce cri fut sorti de la montagne apparut le bienheureux Serosch, vêtu d’une robe verte et monté sur un cheval blanc et sa vue rendit le courage à Khosrou.
Lorsqu’il fut près de lui, le.
Serosch saisit la main de Khosrou (il ne faut pas s’étonner de cela de la part de Dieu le tout-saint), l’enleva de devant son ennemi, l’emporta sans effort et puis le lâcha.
Khosrou, tantôt parlant, tantôt pleurant, lui demanda son nom ; l’ange répondit :
Mon nom est Serosch.
Puisque tu es en sûreté, cesse de le lamenter.
Tu seras dorénavant le roi du monde, garde-toi de te conduire autrement que les hommes purs. »
Il dit et disparut devant ses yeux ; jamais on n’a vu chose plus étonnante.
Bahram, à cette vue, resta confondu ; il invoqua à plusieurs reprises le nom de Dieu, Créateur du monde et dit :
À Dieu ne plaise que mon courage faiblisse lorsque mes ennemis sont des hommes, x mais maintenant que j’ai a me battre contre des Péris, il faut pleurer sur ma fortune, qui s’obsncursitm Bahram partit de là, le cœur rempli de douleur et se repentant de tout ce qu’il avait entrepris.
Neïathous, sur le haut de la montagne, implorait de son côté la grâce de Dieu, le distributeur de la justice et Mariam déchirait avec ses ongles ses deux joues, dans son inquiétude sur son mari, le maître du monde.
L’armée était placée sur la plaine et sur la montagne et le cœur des Roumis était rempli de douleurs cuisantes.
Quand Neïathous ne vit plus Khosrou, il fit placer à l’écart la litière d’or et dit à Mariam :
Reste là, j’ai peur que le roi du pays d’Iran n’ait péri. »
Dans ce moment Khosrou reparut de l’autre côté de la montagne, sur la route et loin de la foule et toute cette illustre armée fut remplie de joie et le cœur de Mariam fut délivré, de sa peine.
Quand Khosrou fut arrivé près de Mariam, il lui raconta la chose merveilleuse qui lui était arrivée, disant :
Ô lune, fille du Kaisar, le Seigneur, dispensateur de la justice, m’a justifié.
Ce n’est pas par lâcheté ni par manque de cœur qùe je me suis rayai, car il n’y a que le méchant qui soit lâche dans le combat.
Dans cette fente où j’étais abandonné sans compagnon, j’ai invoqué dans ma douleur le Créateur et le Seigneur, qui tient. cachées les affaires du monde, a dévoilé le secret devant son serviteur.
Jamais ni le Fortuné Feridoua, ni Tour, ni Slem, ni Afrasiab n’ont vu en songe une chose pareille, un présage de victoire et de pouvoir royal, tel que je l’ai vu aujourd’hui.
Ô vous qui portez haut la tête !
Maintenant ranimez votre colère pour recommencer le combat et souve-nez-vous de Khosrou au milieu de la bataille. »
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021