Le roi ne cessait de grandir en pouvoir ; il dépassa la vingt-huitième année de son règne ; tout le monde faisait fortune à sa cour et la renommée un arriva à Barbed.
Chacun lui disait :
Le roi du. monde préfère les musiciens aux grands et si l’on te place en face de Serguisch, tu seras élevé au-dessus de lui. »
Lorsque Barbed entendit ces discours,
Son ambition devint ardente, quoiqu’il ne fût nullement daus le besoin.
Il quitta son pays, se rendit à la cour et se mit à observer les musiciens du roi.
Serguisch l’entendit chanter et son âme fut troublée par Iejeu de Ëarbed ; il alla auprès du chef des chambellans, lui fit une offrande d’or et d’argent et lui dit :
Il y a à la porte du palais un chanteur qui a l’avantage sur moi en âge et en talent ; il ne faut pas qu’il trouve accès près de Khosrou, car je suis usé et il serait, lui, une nouveauté. »
Le gardien de la porte du roi écouta ce discours et refusa l’entrée au musicien à l’esprit simple et Barbed avait beau venir à lui, il s’y prenait mal et n’en retirait aucun fruit ; le chambellan lui refusait la porte et personne n’intervenait en sa faveur.
Barbed désespéra de son entrée à la cour et alla avec son luth vers un jardin du roi, où il y avait un gardien du nom de Mardouï et la vue de Mardouï réjouissait Barbed.
C’était le jardin où le roi se rendait au nouvel an et il restait deux semaines dans ce lieu de fêtes.
Barbed alla en toute hâte chez Mardouï et devint ce jour-là son ami de cœur.
Il dit au gardien du jardin :
On dirait que tu es l’âme et que je suis le corps.
Maintenant j’ai à te demander un service que tu peux me rendre bien facilement.
Quand le roi du monde viendra dans ce jardin, laisse-moi entrer pour que je puisse le voir secrètement ; puisque c’est ici le lieu de plaisance 2. du roi. je pourrai, tout en restant caché. contempler pour une fois son visage. »
Mardouï répondit :
Je ferai cela et par amour pour toi je ferai taire mes scrupules. »
Lorsque le roi eut décidé qu’il irait au ardin, le cœur du jardinier devint comme une lampe brillante ; il alla chez Barbed et lui dit que le roi allait se rendre dans ce lieu de fêtes.
Barbed revêtit des habits tout verts, prit son luth et prépara des chants de gloire et de combat.
Il alla jusqu’à l’endroit où le roi devait se tenir, car tous les printemps le roi choisit une nouvelle place.
Il y avait là un cyprès vert avec un feuillage abondant et un branchage épais comme la mêlée sur le champ de bataille de Pesclien.
Barbed monta sur ce cyprès et, le luth appuyé sur sa poitrine, il s’y tint caché jusqu’à ce que le roi fût arrivé de son palais à ce lieu de plaisance et que le jardinier eût préparé la place pour Khosrou.
Un échanson à visage de Péri s’approcha du roi, une coupe en main ; le maître du monde prit le vin des mains du jeune homme et le vin rouge rendait invisible le cristal de la coupe.
Mais lorsque le soleil se mit à pâlir et qu’il languit jusqu’à ce que la nuit couleur de lapis-lazuli arrivât, le musicien, caché dans le cyprès, commença à jouer et à chanter l’air de Pehlewan qu’il avait préparé.
Il chanta dans son arbre une belle ballade, dont le roi à la fortune éveillée fut étonné ; il chanta d’une voix douce sur l’air que l’on appelle aujourd’hui encore Dad-âferid.
Toute l’assemblée restait en admiration et l’on se faisait mutuellement des questions ; Serguisch devint comme fou de cette touche du luth ; il savait bien à qui elle appartenait ; mais il se tut ; il savait que nul autre que Barbed ne pouvait frapper ainsi les cordes ni chanter cet air de Pehlewan.
Le roi ordonna aux grands de fouiller tous les coins de ce lieu de plaisance ; ils cherchèrent longtemps, puis ils revinrent et se rassirent auprès du roi.
Le rusé Serguisch prit la parole et dit :
Il n’est pas étonnant que, par la fortune du roi, les roses et le cyprès deviennent ses musiciens ; puissent sa tête et son diadème être éternels ! »
L’échanson apporta une nouvelle coupe de vin et lorsque le roi la prit des mains de ce jeune homme au beau visage, le musicien préluda à un autre chant et commença subitement une nouvelle mélodie, qu’on appelle Peïkarigurd de combat du brave). Ce nom a été donné à ce chant à cause des paroles de l’air.
Le musicien chanta et le roi écouta en buvant une coupe de vin aux sons de cette voix, puis il ordonna qu’on lui amenât le chanteur et qu’on visitât toutes les parties du jardin.
On chercha longtemps et partout, on porta des flambeaux sous tous les arbres, mais on ne vit que des trembles, des cyprès et des faisans courant sous les rosiers.
Le roi demanda une autre coupe et releva la tête dans l’attente de cette voix et les sons de l’instrument et les accords d’une autre mélodie se firent entendre ; c’était l’air que l’on appelle aujourd’hui Sebz der sebz (vert sur vert) et dont on se sert pour les incantations et la magie.
Lorsque Parviz I’entendit, il se leva vivement, demanda une coupe de vin digne d’être bu dans un parterre de roses et vida d’un trait cette coupe, qui contenait un Man (sept livres) de vin brillant, s’écriant :
Sans doute c’est un ange, qui doit être composé de musc et d’ambre ; si c’était un Div, il n’aurait pas chanté, il n’aurait pas su frapper les cordes.
Cherchez dans le jardin pour voir où est cet homme, fouillez le jardin et
’ les bosquets de roses à droite et à gauche.
Je remplirai de pierreries sa bouche et le pli de sa tunique, je le mettrai à la tête des musiciens. »
Lorsque le chanteur entendit cette voix et ces paroles douces et amicales, il descendit de sa branche de cyprès, accourut joyeux et tout glorieux et frotta son visage dans la poussière.
Le roi lui dit :
Qui es-tu ?
Parlel»
Il répondit :
Ô roi !
Je suis ton esclave ; je ne vis dans le monde que par ton renom. »
Il raconta tout ce qui s’était passé et qui avait agi en ami envers lui.
Le roi, en le regardant, était joyeux comme un jardin de roses au printemps.
Il dit à Serguisch :
Ô homme sans talent !
Tu es comme la coloquinte et Barbed comme le sucre.
Pourquoi l’as-tu tenu loin de moi ?
Dorénavant tu ne chanteras plus devant cette assemblée. »
Il continua à boire joyeusement aux sons de la voix de Barbed et à vider les coupes de rubis liquide ; il continua ainsi jusqu’à ce que le sommeil envahît sa tête et alors il remplit de perles de belle eau la bouche du chanteur.
Barbed devint le roi des chanteurs : il était un personnage parmi les grands.
L’histoire de Barbed est terminée.
Puisses-tu n’être jamais malheureux !
La vie passe sur les grands et les petits ; pourquoi l’homme de sens s’en afflige-gerait-il ?
Bien de plus grands et de plus petits que moi m’ont précédé et je voudrais ne plus me réveiller du sommeil, car un vieillard n’est plus heureux quand il a dépassé soixante-six ans.
Mais quand ce glorieux poème sera terminé, tout le pays sera plein de mon nom ; alors je ne mourrai plus, je vivrai toujours, car j’aurai répandu la semence de la parole et quiconque a du sens, de l’âme et de la s foi me célébrera après ma mort. »
Maintenant je commence un nouveau récit sur Madaïn, je raconterai l’histoire du palais de Khosrou.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021