Ils se séparèrent, l’air devint sombre, le firmament fut étonné à l’aspect de Sohrab.
Tu aurais dit que le ciel l’avait pétri de guerre, qu’il ne cesserait jamais d’attaquer, que son cheval était d’acier, son corps d’airain et que son esprit était une merveille.
Il revint à son camp dans la nuit profonde, les reins brisés du combat, mais la poitrine ferme comme du fer.
Il dit à Houman :
Il s’est élevé au-.jourd’hui un brouillard et le monde s’est rempli de luttes et de discorde.
Que vous a dit ce brave cavalier aux bras de héros, aux griffes de lion ?
Qu’est-il venu faire contre mon armée entière, lui à qui je ne connais point d’égal dans le monde ?
Qu’a-t-il dit à mes braves et que leur a-t-il fait avec son bras, lui qui m’a résisté dans le combat ?
C’est un vieillard semblable à un lion et la lutte et les batailles ne le fatiguent pas.
Je ne connais dans le monde aucun homme qui se ceigne pour le combat comme lui. »
Houman lui répondit :
Ton ordre était que l’armée ne s’avançât pas.
Nous étions encore mal préparés et ne faisions que d’arriver sur le champ de bataille, lorsqu’un homme s’est présenté, plein d’ardeur guerrière, se dirigeant vers cette armée nombreuse ; tu aurais dit qu’il venait de sortir ivre d’un banquet pour commencer tout seul une telle attaque.
Il a fait voler de tous côtés la poussière du combat et a tué un grand nombre des nôtres ; ensuite il s’est tourné vers les siens et est parti au galop. »
Du moins, répondit Sohrab, il n’a pas tué un seul héros de mon armée, pendant que j’ai tué beaucoup d’Iraniens, j’ai coloré la terre de leur sang comme une rose.
Vous n’avez fait que regarder et cependant personne n’est venu me combattre ; à quoi d’ailleurs cela aurait-il servi ?
Car si un lion
Venait à ma rencontre, sache que, sans aucun. doute, il ne se relèverait pas d’un coup de ma lourde massue.
Qu’est devant moi un tigre, un léopard, un lion ?
Je ferai descendre sur la terre le feu du ciel avec le fer de ma lance.
Quand mes ennemis verront mon front courroucé, leurs cottes de mailles se fendront sur leur corps.
Le jour de demain sera un grand jour, où l’on verra à la fin qui est loup et qui est brebis.
Je jure par le nom du Créateur, du maître unique, de ne pas laisser en vie un seul de mes ennemis.
Maintenant, il faut préparer des tables ce et du vin et dissiper avec les coupes les soucis du cœur. »
Rustem de son côté, inspecta son armée et s’entretint avec Guiv, en disant :
Comment Sohrab le guerrier éprouvé s’est-il aujourd’hui comporté dans le combat ? »
Guiv le brave lui répondit :
Jamais nous n’avons vu un héros comme lui.
Il s’est élancé jusqu’au milieu de l’armée et a choisi Thous pour le combattre.
Celui-ci était à pied et la lance en main et voyant arriver Sohrab semblable à un loup, il est monté à cheval.
Sohrab l’ayant aperçu avec sa lance, est arrivé sur lui en bondissant comme un lion furieux, l’a frappé sur la poitrine avec sa massue courbée, lui a fait tomber-,de la tête son casque par la force du coup et Thous ne pouvant lui résister, s’est enfui.
Un grand nombre de nos braves ont été tués ; aucun de nous ne vaut
KEl nous " Sohrab, il n’y a que toi qui sois de la même étoffe que lui.
Cependant, nous avons observé la coutume de nos ancêtres et nous n’avons pas lancé toute une troupe contre ce jeune homme imberbe ; et personne ne voulant le combattre corps à corps, nous lui avons laissé le champ de bataille.
Aucun cavalier ne se présentant pour le combat singulier, il a parcouru notre ligne du centre jusqu’à l’aile droite.
Il s’est élancé de tous côtés en fureur, son cheval bondissant sous luis : Rustem devint soucieux à ce récit et se dirigea vers le roi Kaous.
Aussitôt que le roi aperçut le Pehlewan, il le fit asseoir devant lui et tout près de sa personne.
Rustem lui parla de Sohrab et lui raconta combien il était fort et haut de stature, en disant :
Personne au monde n’a vu un enfant tout jeune doué d’un tel courage de lion et d’une telle bravoure.
Sa tête froisse les astres et la terre ne peut porter le poids de son corps ; ses bras et ses cuisses sont comme les cuisses d’un dromadaire et plus forts encore.
Nous avons essayé longtemps l’un contre l’autre toutes les armes, l’épée et les flèches, la massue et le lacet.
À la fin je me suis rappelé combien de braves j’avais autrefois enlevés de selle, j’ai saisi les courroies de sa ceinture, j’en ai serré fortement le nœud, j’ai voulu le soulever de selle et le jeter par terre comme j’ai souvent fait à d’autres ; mais quand le vent ébranlera les montagnes, alors j’ébranlerai ce brave dans sa selle.
Quand il s’est fait tard, je l’ai quitté ; car la nuit était obscure et la lune ne luisait pas.
Nous sommes convenus de nous revoir demain et de lutter un peu.
J’y emploierai toutes mes forces, je verrai qui sera victorieux et nous saurons quelle est la volonté de Dieu ; car la victoire et la puissance viennent de lui, qui est le créateur du soleil et de la lune. »
Kaous lui dit :
Dieu le saint brisera le corps de ton ennemi.
Je passerai cette nuit devant le créateur du monde ; je ne cesserai de frotter mon front contre la terre pour qu’il t’accorde son aide contre ce Turc insensé notre ennemi, pour qu’il fasse refleurir ton espoir flétri et qu’il porte la gloire jusqu’au soleil. »
Rustem répondit :
Par la grâce du roi, tout ce que désirent ceux qui lui sont dévoués sera accompli. »
Ensuite, il partit pour son camp, l’âme remplie de soucis, la tête pleine du désir de la vengeance.
Zewareh s’approche de lui, le cœur déchiré, pour savoir comment le sort avait traité le Pehlewan dans cette journée.
Rustem lui demanda avant tout de la nourriture, puis il déchargea son cœur de ses soucis.
Il parla ainsi à son frère :
Sois prudent et garde ton sang-froid.
Demain matin, quand je me rendrai sur le champ de bataille, quand j’irai au-de-vaut de ce Turc avide de combats, amène mon armée, apporte mon étendard, mon trône et mes bottines d’or et trouve-toi devant mes tentes aussitôt que le soleil brillant paraîtra.
Si je suis victorieux, je ne resterai pas longtemps sur le champ de bataille ; mais si le sort en décide autrement, ne t’afflige pas, ne t’attriste pas.
Qu’alors personne de vous n’aille sur le champ de bataille, que personne ne recherche le chemin du combat, que tous s’en retournent dans le Zaboulistan et se rendent d’ici auprès de Zal.
Console le cœur de ma mère du sort que Dieu aura fait passer sur ma tête.
Dis-lui de ne pas attacher son cœur à moi, de ne pas s’affliger éternellement de ma mort.
Personne ne reste à jamais dans ce monde et je n’ai point à me plaindre du ciel.
Beaucoup de lions et de Divs, de léopards et de crocodiles sont morts de ma main à l’heure du combat, maint bastion de forteresse a été abattu par moi et personne ne m’a jamais vaincu.
Quiconque met le pied à l’étrier et fait bondir son cheval, frappe à la porte de la mort ; et vécût-il plus de mille ans, telle serait sa route, tel serait son sort.
Pense à Djemschid le puissant roi et à Thahmouras le vainqueur des Divs : jamais le monde n’a eu des rois comme eux, mais à la fin ils sont allés auprès de Dieu ; et puisque le monde ne leur est pas resté et les a abandonnés, il faudra bien que moi aussi je passe par ce chemin.
Quand tu auras consolé ma mère, tu diras à Zal : Reste fidèle au roi du monde, n’hésite pas quand li.
il se prépare pour la guerre et obéis à ses ordres.
Jeunes et vieux, nous appartenons tous à la mort et personne ne demeure pour toujours sur la terre. »
Ainsi parla Rustem au sujet de Sohrab pendant la moitié de la nuit et il donna l’autre moitié au repos et au sommeil.
Dernière mise à jour : 28 déc. 2021