De là Rustem se mit en route, prêt à combattre et la tête remplie de haine et d’ardeur guerrière.
Il prit Aulad avec lui et lança Raksch aussi rapidement que le vent.
Quand Raksch fut arrivé dans les sept montagnes et auprès de ces troupes de Divs courageux, Rustem s’approcha de la caverne sans fond et vit tout autour l’armée du Div.
Il dit à Aulad :
Dans tout ce que je t’ai demandé, je t’ai toujours trouvé sur la voie de la vérité ; maintenant que le temps d’aller au combat est arrivé, montre-moi le chemin et dévoile-moi le mystère.
Aulad lui répondit :
Quand le soleil répandra sa chaleur, les Divs iront dormir et alors tu pourras les vaincre dans le combat ; mais maintenant il faut que tu attendes un peu.
Plus tard tu ne verras plus assis aucun des Divs, si ce n’est quelques magiciens qui feront la garde ; c’est à ce moment que tu pourras les vaincre, si le maître de la victoire t’est en aide.
Rustem ne se hâta pas de se mettre en marche avant que le soleil eût pris de la force ; il lia Aulad de la tête aux pieds et s’assit sur les nœuds du lacet ; puis tirant du fourreau son épée de combat, il poussa un cri semblable au bruit du tonnerre et proclamant son nom, se jeta comme la foudre au milieu des Divs et fit voler leurs têtes avec son épée.
Aucun ne lui résista dans le combat, aucun n’eut envie d’aller chercher auprès de lui de la gloire et un nom.
De là il se dirigea vers le Div blanc, pareil au soleil resplendissant ; il aperçut une caverne semblable à l’enfer et dont le fond était caché dans l’obscurité ; il y resta quelque temps l’épée en main.
Ce n’était pas un lieu où l’on pût désirer de combattre et d’où l’on pût espérer de s’enfuir.
S’étant frotté les sourcils et lavé les yeux, il chercha pendant longtemps dans la caverne obscure et vit à la fin, dans les ténèbres, une masse qui obstruait toute la caverne ; elle était de couleur noire et avait une crinière comme celle d’un lion ; sa hauteur et sa largeur remplissaient le monde.
Ce fut ainsi que Rustem aperçut le Div endormi, mais il ne se hâta pas de le tuer ; il poussa un cri comme le cri du tigre et le Div s’étant réveillé, s’avança pour combattre Rustem, semblable à une montagne noire ; ses brassards étaient de fer et de fer son casque.
Il arracha une pierre grande comme une meule et courut vers Rustem comme la fumée qui vole.
Le cœur de Rustem trembla devant le Div et le héros crut sa perte imminente.
Il se mit en colère comme un lion sauvage, donna au Div un coup de son épée tranchante sur le milieu du corps et détacha de ce grand corps, par la force de son bras, un pied et une cuisse.
Le blessé se rua sur lui comme un éléphant énorme, comme un lion en fureur ; appuyé sur un seul pied, il lutta contre le héros, bouleversant toute la caverne et saisit le Pehlewan par la poitrine et par le bras, espérant le terrasser ; ils s’arrachèrent l’un à l’autre des morceaux de chair, de sorte que le sol tout autour d’eux fut pétri de leur sang.
Rustem dit en lui-même :
Si je sauve ma vie aujourd’hui, je vivrai éternellement.
Et le Div dit de même dans son cœur :
Je désespère de ma douce vie ; et quand même je me délivrerais des griffes de ce dragon, après avoir perdu un pied et ayant la peau déchirée, jamais ni les petits ni les grands, dans le Mazenderan, ne me reverraient.
Le Div blanc se parla ainsi à lui-même ; cependant il reprit courage.
Les deux ennemis continuèrent à lutter et la sueur et le sang ruisselèrent sur leur corps.
Rustem, avec la force que le Créateur de l’âme lui avait donnée, combattit longtemps, péniblement et avec acharnement.
À la fin de ces efforts et de ce combat, le héros glorieux enlaça le Div, le saisit, le souleva comme fait un lion plein de vigueur, l’éleva au-dessus de son épaule et le jeta contre terre ; il le jeta sur le sol comme un lion furieux et avec tant de force que la vie quitta son corps ; puis il enfonça son poignard dans le cœur du Div et arracha le foie de son corps noir.
Le cadavre remplissait toute la caverne, le monde était devenu comme une mer de sang.
Rustem étant retourné auprès d’Aulad, le délivra de ses liens, suspendit son lacet royal à l’arçon de la selle, remit à Aulad le foie qu’il avait arraché du corps du Div et se dirigea vers le roi Kaous.
Aulad lui dit :
Ô lion courageux, tu as soumis le monde avec ton épée, mais mon corps porte les marques de tes liens ; je suis brisé par les nœuds de ton lacet et quoique tu m’aies fait espérer une récompense, mon espoir a besoin d’être renouvelé.
Il n’est pas digne de toi de manquer à ta parole ; car tu es un lion indomptable et tu as l’air d’un roi.
Rustem lui répondit :
Je te donnerai le pays du Mazenderan d’une frontière à l’autre ; mais j’ai encore devant moi une grande entreprise et de longs combats, dans lesquels je peux être vaincu ou victorieux.
Il faut que j’arrache de son trône le roi du Mazenderan et que je le précipite dans la tombe ; il faut qu’avec mon poignard, je tranche la tête à des milliers de milliers de ces Divs adonnés à la magie.
Après quoi j’espère fouler aux pieds la terre et quand même je n’y réussirais pas, je ne manquerais pourtant pas aux promesses que je t’ai faites.
Le Pehlewan, le lion aux traces fortunées, arriva auprès de Kaous et il s’éleva parmi les grands un cri de joie de ce que le Sipehdar à l’âme brillante était revenu.
Ils coururent au-devant de lui en le bénissant et en le comblant d’actions de grâces.
Il dit :
Ô roi qui a appris la sagesse, réjouis-toi de la mort de ton ennemi : j’ai déchiré la poitrine du Div blanc et le roi du Mazenderan ne peut plus espérer en lui ; j’ai arraché le foie du corps du Div.
Que m’ordonne maintenant le roi victorieux ?
Kaous appela sur lui les bénédictions de Dieu, en disant :
Puisses-tu ne jamais manquer à la couronne et à l’armée !
On ne doit jamais prononcer le nom de la mère qui a porté un fils comme toi, qu’avec des bénédictions ; et mille grâces soient rendues à Zal et à tout le pays de Zaboulistan, pour avoir produit un brave comme toi et tel que le monde n’en a jamais vu de pareil.
Mais ma fortune est plus grande que celle de tes deux parents ; car l’éléphant qui terrasse les lions est mon sujet.
Quand le roi eut achevé de le bénir, il lui dit :
Ô brave dont les traces sont fortunées, verse maintenant le sang du Div dans mes yeux et dans ceux de cette multitude, pour que nous puissions de nouveau te contempler.
Veuille Dieu le créateur te protéger !
On versa du sang dans les yeux du roi et de troubles qu’ils étaient ils devinrent brillants comme le soleil.
On plaça le trône d’ivoire au-dessous de l’étendard royal, on suspendit au-dessus la couronne ; le roi s’assit sur le trône du Mazenderan, entouré de Rustem et des héros illustres, tels que Thous et Feribourz, Gouderz et Guiv, Rehham, Gourguin et le brave Bahram et il célébra une fête pendant sept jours par des banquets, des chants et de la musique.
Le huitième jour, ils montèrent tous à cheval, le roi, les grands et l’armée.
Ils élevèrent tous leurs massues pesantes et se dispersèrent dans le pays de Mazenderan.
Ils partirent tous, sur l’ordre du roi, comme la flamme qui s’élance des roseaux secs ; ils allumèrent, avec leurs épées, un feu dévorant, incendièrent le pays de tous côtés et tuèrent tant de magiciens, que leur sang formait une rivière.
Lorsque la nuit noire approcha, les braves se reposèrent de leurs combats et le roi Kaous dit à son armée :
Leurs crimes maintenant sont punis ; ce qu’ils ont mérité leur est arrivé et vous devez dorénavant vous abstenir de tuer.
Il est nécessaire qu’un homme prudent et grave, un homme qui sache quand il faut se hâter et quand il faut tarder, aille auprès du roi du Mazenderan pour réveiller sa prudence et faire entrer la crainte dans son esprit.
Le fils de Zal et les grands qui étaient avec lui furent satisfaits de ces paroles et Kaous envoya une lettre au roi du Mazenderan, pour éclairer son âme ténébreuse.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021