Une nuit s’étant ainsi passée et le ciel ayant achevé sa rotation au-dessus de la terre obscure, Soudabeh s’assit joyeuse sur son trône, un diadème de rubis et d’or sur la tête.
Elle appela auprès d’elle toutes ses filles, les para et les fit asseoir sur des trônes d’or.
De jeunes idoles se’ tenaient devant elle ; tu aurais dit que c’était un paradis et non pas un palais.
Soudabeh au visage de lune dit à Hirbed :
Va sur-le-champ auprès de Siawusch et dis-lui :
Il faut que tu fatigues tes pieds pour venir lui montrer ton visage et ta taille. »
Hirbed se rendit en courant auprès de Siawusch et s’acquitta du message de celle qui l’aimait.
Siawusch l’écouta et resta confondu ; il demanda aide à Dieu à plusieurs reprises et chercha longuement un prétexte de refus, mais il n’en trouva pas.
Alors, il partit troublé et chancelant ; il se rendit auprès de Soudabeh, qu’il trouva assise sur son trône et portant sur sa tête un diadème.
Soudabeh descendit du trône et alla au-devant de lui, le front et les cheveux couverts de joyaux ; elle le fit asseoir sur son trône d’or et se plaça devant lui en tenant les mains croisées sur la poitrine.
Elle montra au jeune roi ces idoles, qui ressemblaient à des perles intactes, en disant :
Regarde ces esclaves à la couronne d’or, qui se tiennent devant ton trône ; ce sont de jeunes idoles de Tharaz, que Dieu a pétries de grâce et de pudeur.
Dis-moi laquelle d’entre elles te plaît, regarde leur mine et leur taille. »
Siawusch jeta un court regard sur ces belles, mais aucune d’elles n’ose le lui rendre ; car ces lunes se disaient l’une à l’autre : Il ne convient -pas de regarder ce roi. »
Ensuite chacune d’elles s’en retourna à son trône, calculant ses chances de bonheur.
Quand elles furent parties, Soudabeh lui dit :
Pourquoi me caches-tu tes pensées ?
Ne veux-tu pas me dire quel est ton désir, toi sur le visage de qui brille la beauté des Péris ?
Quiconque te voit de loin perd la raison et te choisit entre tous.
Regarde avec les yeux de l’intelligence ces filles aux belles joues et décide laquelle te convient. »
Siawusch était confondu et ne répondit pas ; il pensait en son âme pure :
J’aurais bientôt à m’apitoyer sur moi-même, si je prenais follement une femme parmi mes ennemis.
J’ai entendu raconter par les grands de haut renom tout ce qui s’est passé dans le Hamaveran et ce que le roi a fait au roi de l’Iran et comment il a exterminé les braves de ce pays.
Soudabeh, qui est sa fille, est pleine de ruses et ne veut laisser à notre famille ni cervelle ni peau. »
Pendant que Siawusch tardait ainsi à répondre, la belle au visage de Péri ôta de son front son voile et lui dit :
Si tu tOÎS assis sur leurs trônes brillants le soleil et la nouvelle lune, il n’est pas étonnant que tu méprises la lune et que tu presses contre ton sein le soleil.
Quand un homme m’a vue, assise sur le trône d’ivoire, un diadème de rubis et de turquoises sur la tête, il ne faut pas s’étonner s’il ne regarde plus la lune et ne compte pour belle aucune autre que moi.
Si tu veux maintenant faire une alliance avec moi, si tu veux y rester fidèle et mettre en repos mon esprit, je Le donnerai une de mes jeunes filles, pour qu’elle se tienne devant toi comme une esclave.
Fais-moi maintenant un grand serment et ne t’écarte en rien de ce que je le demande.
Quand le roi aura quitté le monde, tu le remplaceras auprès de moi, tu ne souffriras pas qu’il m’arrive de mal, tu me chériras comme ta propre âme.
Me voilà devant toi debout comme une esclave, je te donne mon corps et mon âme brillante ; en tout ce que tu me demanderas, je te satisferai et jamais je ne soustrairai ma tête à ton lacet. »
Elle appliqua ses lèvres étroitement sur la joue de Siawusch et l’embrassa ; elle avait oublié toute honte et toute vertu.
Les joues de Siawusch rougirent de honte comme la rose et les cils de ses yeux furent inondés de chaudes larmes de sang.
Il dit en son âme :
Que le maître de Saturne me préserve des œuvres du Div !
Je ne veux pas trahir mon père ni faire alliance avec Ahriman.
Si je parle froidement à cette femme à l’œil impudique, son cœur bouillonnera et la rage la mettra en feu ; alors elle préparera en secret quelque ruse magique et le roi croira à ses paroles.
Il vaut mieux qu’avec une voix chaleureuse je lui dise quelques mots doux et flatteurs. »
Il répondit ensuite à Soudabeh :
Il n’y a pas de femme dans le monde qui soit ton égale ; la beauté ne peut se comparer qu’à la lune et personne n’est digne de toi que le roi.
C’est assez de bonheur pour moi que tu me donnes ta fille et je ne dois pas posséder une autre femme.
Reste dans cette intention et parles-en au roi de l’Iran et fais attention à la réponse qu’il te fera.
Je demanderai en mariage ta fille et je l’épouserai et je te donne pour garant ma parole que je ne penserai à aucune autre femme jusqu’à ce que sa taille soit haute comme la mienne.
Ensuite tu m’as parlé de mon visage, tu as laissé pénétrer de l’amour pour moi dans ton âme.
Dieu dans sa grâce m’a créé tel que je suis, ô femme, belle sur toutes les autres !
Garde ton secret et ne le dis à personne ; moi je ne demande que de le cacher.
Tu es la première des princesses et tu es la reine et je te regarde comme ma même Il dit et quitta Soudabeh, dont l’âme méchante était remplie d’amour pour lui.
Lorsque Keï Kaous entra dans l’appartement des femmes, Soudabeh l’aperçut et alla au-devant du roi, lui donna de bonnes nouvelles et lui parla longuement de Siawusch.
Il est venu, lui dit-elle et a vu tout le palais ; j’avais réuni les idoles aux yeux noirs et le palais était si rempli de filles au doux visage que tu aurais dit que la lune faisait pleuvoir de l’amour.
Mais il n’a jeté les yeux que sur ma fille, aucune autre de ces belles n’était digne de lui. »
Le roi fut si content de ces paroles que tu aurais dit qu’il tenait embrassée la lune.
Il ouvrit les portes de son trésor et en lira des joyaux, des étoffes tissues d’or et des ceintures d’or, des bracelets, des couronnes et des bagues, des trônes et des colliers, insignes du pouvoir, enfin il étala toutes sortes de trésors dès longtemps amassés et le monde parut rempli de choses précieuses.
Ensuite, il dit à Soudabeh :
Garde ceci pour Siawusch et quand il en sera besoin, donne-le-lui et dis-lui que c’est peu de chose et qu’il faudrait lui donner deux cents trésors comme celui-ci. »
Soudabeh regarda et fut étonnée ; elle récita dans son cœur beaucoup de paroles magiques et se dit :
Si Siawusch ne fait pas ma volonté, je consens qu’il brise mon âme.
J’userai de tous les moyens dont le monde se sert ouvertement et en secret et s’il détourne la tête de moi, je me plaindrai de lui au roi du peuple. »
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021