Mais le cœur du roi du Hamaveran était triste ; il cherchait de tous côtés un remède à son malheur et lorsque sept jours furent écoulés, il parut, au matin du huitième, un messager devant Kaous, qui lui dit :
S’il plaisait au roi d’être mon hôte, qu’il vienne joyeusement dans mon palais.
Le pays de Hamaveran sera honoré quand le peuple verra le visage du maître puissant.
C’est ainsi qu’il méditait un dessein contre Kaous ; son intention secrète était mauvaise et son cœur n’était pas droit ; car il espérait se ressaisir de son pays et de sa fille et s’affranchir du tribut à payer à Kaous.
Soudabeh comprit que le projet de son père était de faire une violence pendant la fête.
Elle dit au roi :
Il ne faut pas accepter ; il ne te convient pas d’être son hôte.
Il ne faut pas lui donner occasion de tomber sur toi pendant la fête et de s’emparer de ta personne inappréciable.
Tout ce bruit ne se fait ’qu’à cause de moi et il t’arrivera malheur de ce message.
Kaous refusa de croire aux paroles de Soudabeh, car il ne tenait pour brave aucun homme de ce pays.
Il partit avec ses guerriers et les grands de sa cour pleins d’orgueil, pour aller jouir de l’hospitalité du roi du Hamaveran.
Or le roi possédait une ville dont le nom était Saheh ; c’était là qu’il célébrait ses fêtes et donnait ses festins ; c’était là que se trouvait le palais où il résidait.
Toute la ville fut décorée pour la fête et lorsque Kaous qui portait haut la tête entra dans Saheh, tous les habitants vinrent lui rendre hommage, tous versèrent sur lui des joyaux et du safran mêlé de musc et d’ambre et dans toute la ville le bruit de la musique et des chants s’entrecroisait comme la trame et la chaîne.
Lorsque le roi du Hamaveran aperçut Kaous, il alla au-devant de lui avec ses braves ; et depuis la porte du palais jusqu’à la salle du roi on fit pleuvoir sur Kaous des perles, des rubis et de l’or que l’on versait de plats d’or et l’on répandait sur sa tête du musc et de l’ambre.
Le roi avait fait placer dans la salle un trône d’or sur lequel Kaous s’assit avec joie.
Il y resta sept jours une coupe de vin à la main ; et ce lieu lui parut beau et agréable à habiter.
Le roi du Hamaveran se tint devant lui jour et nuit, ceint comme un esclave et son armée ceinte également se tint devant les Iraniens pour les servir jusqu’à ce qu’ils fussent plongés dans la sécurité, oubliant le comment et le pourquoi, la crainte et l’idée du malheur.
Mais à la fin de la semaine les hommes du Hamaveran furent prêts à agir, leurs plans étaient arrêtés et ils étaient tous debout.
L’armée des Berbers était avertie, ses plans étaient les mêmes et elle se mit en marche ; et lorsqu’elle fut arrivée, le cœur du roi du Hamaveran se réjouit.
Une nuit on entendit le bruit des clairons et des armes pendant que personne parmi les Iraniens ne pensait à se mettre en garde et l’on saisit subitement Kaous et avec lui Guiv, Gouderz et Thous, Gourguin et Zengueh fils de Schaweran et tous les héros pleins de courage ; on les saisit et on les lia avec de forts liens, on renversa leur gloire et leurs trônes.
Qu’en dit l’homme à l’œil perçant ?
Quel enseignement en tires-tu, ô sage ?
Si quelqu’un ne t’est pas uni par le sang, ne te fie jamais beaucoup en lui et même il y a des hommes qui te sont alliés par le sang qui briseront les liens de l’affection jusqu’au point de détourner de toi leur visage.
Si tu veux mettre à profit l’amitié d’un homme, il faut l’éprouver par le bonheur et par le malheur.
Il se peut que, placé au-dessous de toi, il perde par jalousie toute l’affection qu’il te portait.
Tel est ce monde pervers, que chaque vent contraire ébranle.
Kaous fut ainsi chargé de chaînes par trahison et le plan du roi du Hamaveran réussit.
Or il y avait dans ce pays un rocher dont la cime s’élevait jusqu’aux nues et qui du fond de la mer montait jusqu’au firmament ; sur ce rocher était bâtie une forteresse ; tu aurais dit qu’elle embrassait le ciel : c’est là que le roi envoya Kaous et Guiv, Gouderz et Thous et qu’il jeta le reste des grands dans les fers avec le roi.
Mille braves gardaient le château, tous guerriers renommés et prompts à tirer l’épée.
Les tentes de Kaous furent livrées au pillage et des boisseaux d’or et des couronnes distribués aux nobles.
Deux troupes de femmes voilées partirent pour le camp, suivies d’une litière couverte pour ramener Soudabeh et pour la remettre sous l’autorité du roi.
Quand Soudabeh vit ces femmes voilées, elle déchira sur son corps sa robe royale, arracha avec ses mains les tresses de ses cheveux noirs et fit couler le sang de ses joues avec ses ongles.
Elle leur dit :
Les hommes dignes de ce nom n’approuveront pas ces chaînes et ces violences.
Pourquoi n’ont-ils pas enchaîné Kaous au jour du combat, quand une cotte de mailles était sa robe et un destrier son trône, quand ses Sipehdars tels que Guiv, Gouderz et Thous déchiraient vos cœurs par le son des timbales ?
Vous faites donc du trône d’or un piège !
Vous trahissez la foi jurée !
Elle appela les esclaves des chiennes ; ses yeux étaient remplis de sang et sa bouche de cris de colère.
Je ne veux pas, dit-elle, être séparée de Kaous, quand même il serait caché dans un tombeau.
S’il faut que Kaous traîne des fers, que l’on coupe ma tête innocente.
Les esclaves répétèrent ce qu’elle avait dit à son père, dont la tête se remplit de colère, dont le cœur se gonfla de sang.
Il envoya sa fille dans la forteresse auprès de son mari, le cœur brisé de douleur, les joues baignées de larmes de sang ; et cette femme opprimée s’assit auprès du roi, le servit et le consola.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021