Rustem ordonna à ses serviteurs de préparer un
Drap tissu d’or et de coucher son fils sur ce drap à fleurs d’or, pour qu’il pût être porté auprès du roi.
Le héros au corps d’éléphant se mit en route, mais quelqu’un courut après lui en toute hâte pour lui dire que Sohrab avait quitté ce monde immense et qu’il lui demandait un cercueil au lieu d’un palais.
Le père bondit, il poussa un long soupir, se frottant les paupières et les couvrant de sang.
Il se jeta à bas de son cheval rapidement comme le vent, ôta son casque et se couvrit la tête de poussière.
Les grands de l’armée tous ensemble jetaient des cris, pleuraient et se lamentaient.
Rustem dit :
Hélas ! ô mon enfant plein de bravoure, qui portais haut la tête, qui étais issu de la race des Pehlewans !
Ni le soleil et la lune, ni la cuirasse et le trône, ni la couronne et le casque ne verront plus un homme tel que toi.
À qui arriva-t-il jamais ce qui m’arrive, à moi qui dans ma vieillesse ai tué mon enfant, un enfant qui était petit-fils de Sam le cavalier, et, du côté de sa mère, issu de race royale ?
Il n’y a pas dans le monde un brave comme moi ; et pourtant, devant lui, je n’étais qu’un enfant en bravoure.
On devrait me couper les deux mains ; je ne devrais plus m’asseoir que dans la poussière noire.
Que dirai-je quand sa mère le saura ?
Comment oserai-je lui envoyer un messager ?
Pourrai-je dire pourquoi j’ai tué cet innocent, pourquoi je l’ai privé de la lumière du jour ?
Est-ce que jamais père a fait chose pareille ?
L’ai mérité qu’on parle de moi avec horreur.
Qui dans le monde a tué son fils, brave, jeune et plein de sagesse ?
Et le père de sa mère, l’orgueilleux Pehlewan, que dira-t-il à sa fille jeune et pure ?
Il maudira la race de Sam ; il m’appellera mécréant.
Mais qui aurait pu penser que ce noble enfant, malgré sa jeunesse, avait atteint la taille d’un haut cyprès, qu’il avait tourné ses pensées vers la guerre et préparé une armée et que c’était lui qui rendait noir pour moi le jour brillant ? »
Il ordonna qu’on couvrît de brocart digne d’un roi le corps de cet enfant, qui avait eu envie d’un trône et d’un empire et qui n’avait trouvé qu’une bière étroite.
Il fit emporter de la plaine le cercueil et se dirigea vers ses tentes.
On mit le feu au camp et toute l’armée se couvrit la tête de poussière.
Il fit jeter dans le feu toutes ses tentes de brocart de sept couleurs et sa selle couverte de peau de léopard, qui avait formé son noble trône.
Il s’éleva un cri comme le tonnerre et le héros maître du monde fit entendre des lamentations :
Le monde ne verra plus jamais un cavalier comme toi, si brave, si courageux au jour du combat.
Hélas tant de valeur et tant de sagesse !
Hélas ces joues et cette taille élancée !
Hélas cette douleur qui déchire l’âme !
Tu es mort loin de ta mère et le cœur percé par ton père. »
Einstein versa des larmes de sang, il creusa la terre avec ses ongles et déchira sur son corps ses vêtements royaux, en s’écriant :
Zal et la vertueuse Roudabeh m’accuseront, en disant :
Comment Rustem a-t-il pu trouver une main pour frapper son fils, pour lui fendre la poitrine avec son poignard ?
Quelle excuse trouverai-je pour mon crime ?
Comment adoucirai-je leurs cœurs par mes paroles ?
Que diront les braves et les grands quand ils connaîtront mon crime, quand ils sauront que j’ai arraché du jardin le cyprès élancé ? »
Tous les Pehlewans du roi Kaous s’assirent avec Rustem dans la poussière de la route ; les lèvres des grands étaient prodigues de conseils, mais la douleur de Rustem s’y refusait.
C’est ainsi qu’agit le ciel sublime.
Il tient d’une main une couronne, de l’autre un lacet ; et quand quelqu’un s’assied joyeusement, la couronne sur la tête, il l’arrache du trône avec son lacet.
Pourquoi s’attacher à ce monde qu’il faut quitter avec ses compagnons de route ?
Pourquoi tant de chagrins au sujet de cette vie, puisqu’il faut marcher vers le tombeau ?
Que le ciel sache ce qu’il fait, ou qu’il agisse sans le savoir, sois sûr que personne ne peut pénétrer le secret de ses mouvements et qu’il n’y a aucune voie pour apprendre comment et pourquoi il fait ce qu’il fait.
Ainsi ne déplorons pas cette nécessité de mourir, car ne savons-nous pas quelle doit être la fin de tout cela ?
Lorsque Kaous eut appris la mort de Sohrab, il !
Se rendit auprès de Rustem avec un cortège et lui dit :
Tout, depuis le mont Alborz jusqu’à l’eau qui nourrit le roseau, tout est emporté par la rotation du ciel ; il ne faut donc pas tourner ses affections vers la terre.
L’un meurt plus tôt, l’autre plus tard, mais tous à la fin traversent la mort.
Console ton âme et ton cœur de la perte de celui qui est mort ; tourne l’oreille vers les paroles du sage.
Quand tu ferais écrouler le ciel sur la terre, quand tu brûlerais le monde, tu ne rendrais pas la vie à celui qui est mort ; sache que son âme vivra éternellement dans l’autre monde.
J’ai vu de loin sa poitrine et ses bras, sa haute stature et sa massue ; le sort l’a amené ici avec son armée pour qu’il y reçoive la mort de ta main.
Que veux-tu faire ?
Quel remède y a-t-il ?
Jusqu’à quand pleure-ras-tu celui qui est mort ? »
Rustem répondit :
Il est mort ; mais Houman reste sur la large plaine et avec lui les chefs du Touran et quelques-uns de la Chine.
Ne pense pas à les combattre.
Zewareh, par la grâce de Dieu et par l’ordre du roi, servira de guide à cette armée dans sa marche. »
Le roi lui dit :
Ô illustre héros !
Tout le malheur de cette guerre est tombé sur toi.
Quoique les Touraniens m’aient fait du mal, quoiqu’ils aient fait élever du pays d’Iran la fumée de la destruction, mon cœur est attristé de ta tristesse et je ne pense pas à tirer vengeance d’eux. »
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021