Keï Kaous

Kaous part pour le Mazenderan

...

Aussitôt que Zal le Sipehbed eut passé la frontière, l’armée se prépara en toute hâte à se mettre en campagne.

Le roi ordonna à Thous et à Gouderz de la conduire et de se mettre en marche ; et aussitôt que la nuit eut fait place au jour, le roi et les grands se dirigèrent du côté du Mazenderan.

Kaous confia à Milad le pays d’Iran, les clefs de son trésor, sa couronne et son sceau, en disant :

Si un ennemi se montre, ne tire pas l’épée du combat ; c’est à Zal et à Rustem à te secourir dans tout danger, car ils sont les soutiens de l’armée et les ornements du trône.

Le lendemain le son des timbales se fit entendre et Thous et Gouderz se mirent en marche avec l’armée.

Kaous, qui faisait la gloire de son armée, s’établit devant le mont Asprous, dans un endroit où le soleil ne pénètre pas et y chercha le sommeil.

C’était un lieu où demeuraient des Divs impurs et qui faisait trembler les éléphants.

Kaous étendit du brocart d’or sur le sol pierreux, l’air se remplit du parfum d’un vin délicieux et tous les Pehlewans aux traces fortunées s’assirent devant le trône de Keï Kaous et célébrèrent une fête pendant toute la nuit.

Le matin, aussitôt qu’ils furent levés, ils vinrent l’un après l’autre auprès du roi ceints de leurs ceintures et couverts de leurs casques.

Kaous donna alors ses ordres à Guiv en disant :

Choisis deux mille hommes de l’armée parmi ceux qui sont prêts à enfoncer les portes de la ville de Mazenderan avec leurs massues pesantes et fais que de tous ceux que tu y trouveras, soit vieux, soit jeunes, pas un seul n’échappe à la mort.

Brûle tous les édifices que tu verras ; convertis, partout où tu iras, la nuit en jour ; et purifie ainsi le monde de magiciens avant que les Divs en aient nouvelle.

Guiv serra sa ceinture, s’éloigna de la présence du roi, choisit dans l’armée des hommes résolus, et, partit pour la ville de Mazenderan, sur laquelle il fit pleuvoir des coups d’épée et de lourde massue.

Personne ne trouva grâce devant son glaive, ni femme, ni enfant, ni vieillard appuyé sur son bâton.

Il brûla la ville et en fit une désolation ; il versa du poison au lieu de baume.

Il avait trouvé la ville belle comme un paradis sublime, où régnaient toutes sortes de joies ; dans chaque rue et dans chaque palais étaient plus de mille femmes esclaves parées de colliers et de boucles d’oreilles et un nombre plus grand d’esclaves portant des toques d’or et beaux de visage comme la lune brillante ; dans chaque maison était répandu un trésor, d’un côté de l’or, de l’autre des joyaux ; on y voyait des animaux sans nombre ; tu aurais dit que c’était le paradis.

On parla à Kaous de ce lieu fortuné et de cette magnificence.

Il dit :

Heureux soit celui qui a dit que le Mazenderan est pareil au paradis !

Tu dirais que toute la ville n’est qu’un temple d’idoles, qu’elle est décorée de brocart de la Chine et de roses comme pour un jour de fête.

Tu dirais que les habitants sont des beautés du paradis dont Rithwan aurait lavé les visages avec les fleurs du grenadier.

Lorsqu’une semaine se fut écoulée et que les Iraniens eurent cessé leurs dévastations, le roi du Mazenderan reçut la nouvelle de ce qui était arrivé et son cœur se remplit de douleur et sa tête de soucis.

Or il avait auprès de lui un Div nommé Sandjeb, dont l’âme et le cœur étaient navrés de ces nouvelles.

Le roi lui dit :

Va auprès du Div blanc et cours comme le soleil qui traverse la voûte du ciel.

Dis-lui qu’il est arrivé dans le Mazenderan une grande armée de l’Iran pour tout détruire.

Ils ont brûlé toute la ville de Mazenderan, ils ont allumé par leur agression le feu de la vengeance.

Kaous l’ambitieux est à la tête de cette armée, qui renferme un grand nombre de jeunes guerriers ; et si maintenant tu ne viens pas à notre secours, tu ne trouveras plus personne dans le Mazenderan.

Sandjeb écouta le message et partit pour porter en toute hâte l’ordre du roi au Div blanc.

Il se présenta devant le Div avide de combats et lui répéta les paroles de son maître superbe.

Le Div blanc lui répondit :

Ne désespère pas de ton sort.

Je partirai sur-le-champ avec une grande armée pour arracher du Mazenderan les traces du pied de Kaous.

Il dit et se dressa sur ses pieds, haut comme une montagne et touchant de la tête le ciel qui tourne.

La nuit vint, un nuage noir épais s’étendit sur l’armée de Kaous.

Tu aurais dit que le monde était une mer de poix et que toute sa splendeur avait disparu.

Il se forma au-dessus de l’armée comme une tente de poix et de fumée ; le ciel était noir et les yeux des braves s’obscurcirent ; il pleuvait du ciel des pierres et des javelots.

L’armée des Iraniens se dispersa dans la plaine et beaucoup d’entre eux reprirent le chemin de l’Iran, le cœur déchiré de l’entreprise de Kaous.

Quand la nuit fut passée et que le jour s’approcha, les yeux du maître du monde étaient aveuglés, les deux tiers de l’armée avaient perdu la vue et les têtes des grands étaient pleines de colère contre le roi.

Tous les trésors furent pillés, toute l’armée demeura captive et le jeune trône du roi avait vieilli.

Il faut graver toute cette histoire dans la mémoire, car l’étonnement même restera muet devant cette aventure étonnante.

Le roi, en voyant ces désastres, dit :

Un conseiller prudent vaut mieux qu’un trésor.

Hélas !

Que n’ai-je suivi les conseils de Zal le maître du monde ?

Pourquoi les ai-je regardés comme ceux d’un ennemi ?

Lorsque sept jours se furent écoulés dans cette affliction, il n’aperçut plus aucun Iranien.

Le huitième jour le Div blanc s’écria d’une voix de tonnerre :

Ô roi, semblable au tremble stérile !

Tu as préparé tout pour ton agrandissement, tu as convoité les champs du Mazenderan ; tu n’as regardé que ta force, comme un éléphant furieux ; tu n’as voulu reconnaître personne pour ton supérieur, ni te contenter de la couronne et du trône ; c’est ainsi que tu as perverti ton esprit.

Tu as fait beaucoup de prisonniers dans le Mazenderan, tu as tué beaucoup d’hommes avec la massue ; mais il paraît que tu ne savais pas de quoi je suis capable, tant tu étais fier sur ton trône impérial.

Le sort que tu éprouves maintenant est ton œuvre et ton cœur a atteint l’objet de ses désirs.

Il choisit douze mille Divs armés de poignards et en fit les gardiens des Iraniens, en couvrant d’ignominie les têtes des chefs orgueilleux.

Il leur donna un peu de nourriture pour sustenter leur vie et pour les faire vivre d’un jour à l’autre.

Tous les trésors du roi et de l’armée, la couronne de rubis et le trône de turquoises, enfin tout ce qu’il voyait d’une frontière à l’autre, il l’abandonna à Arzeng, chef de l’armée du Mazenderan, en lui disant :

Porte-le au roi et dis-lui :

Maintenant ne cherche plus de prétextes de plaintes contre Ahriman, car j’ai fait tout ce qu’il fallait ; j’ai jeté dans la poussière tout ce peuple et aucun Pehlewan de l’Iran ne verra plus briller ni le soleil ni la lune.

Je n’ai pas menacé Kaous de la mort, afin qu’il apprenne à distinguer la fortune et l’infortune.

Le malheur le rendra prudent et personne ne voudra plus prêter l’oreille à un semblable projet.

Arzeng ayant ouï ces paroles, partit pour la cour du roi de Mazenderan, avec l’armée et le butin, avec les prisonniers et les chevaux caparaçonnés ; puis le Div blanc s’en retourna à sa demeure, brillant comme le soleil et Kaous resta dans le Mazenderan, répétant :

Tout ce désastre est de ma faute !

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021