Iskender fit partir son armée de ce lieu et marcha en toute hâte jusqu’à ce qu’il eût atteint le pays des Brahmanes, ou il voulait s’informer de leurs anciennes coutumes auprès de ces hommes voués à l’abstinence.
Lorsque les Brahmanes apprirent que. le roi amenait une armée de ce côté, ces hommes’ pieux sortirent de la montagne et se rassemblèrent tous’par suite de ces nouvelles.
Ces sages écrivirent une lettre à Iskender, le roi des Mobeds, commencant ainsi :
Les grands invoquent les grâces de Dieu sur le roi du monde ; puisse le roi être toujours victorieux par l’accroissement de sa sagesse et de son habiletél a Ensuite ils continuèrent : Ô vaillant roil Dieu t’a donné ce monde immense, que veux-tu dans notre pauvre pays, demeure des serviteurs de Dieu ?
Si tu viens pour avoir des richesses, caserait un signe que la raison te fait défaut.
Chez nous on trouve de la patience et de la sagesse et cette sagesse entretient la quiétude dans nos cœurs.
Personne ne peut nous enlever la patience et jamais la sagesse n’a fait du mal à personne.
Tu ne verras qu’un troupeau nu, dispersé par la et la neige et si tu restes longtemps ici,il faudra te nourrir de la graine des herbes manages. »
T Le messager se rendit auprès d’Iskender, portant autour, des reins une étoffe de racines d’herbes.
Iskender regarda le messager, lut la lettre et se décida à rester inoffensif et juste ; il laissa dans cet endroit toute son armée et s’avança avec les plus notables parmi les Roumis.
Les religieux, à cette nouvelle, allèrent tous ensemble à sa rencontre, apportant quelques objets sans valeur, tels qu’ils les possédaient ; car ils n’avaient ni trésors, ni semences, ni récoltes.
Tous prononcèrent des bénédictions sur le roi magnanime de la terre.
Iskender regarda les Brahmanes et écouta leurs acclamations ; il oit qu’ils marchaient le corps, la tête et les pieds nus, qu’ils ne portaient rien sur leurs corps, mais que leurs âmes portaient : les fruits de la sagesse ; que leurs vêtements consistaient en feuilles d’herbes, leur nourriture on graines sauvages ; que les festins et les jours de bataille leur étaient inconnus ; qu’ils mangeaient, dormaient et demeuraient dans les montagnes et les déserts, se réunissant en troupes nues en tout lieu ; que toute leur nourriture était les fruits des arbres et les graines des plantes qui poussaient dans la montagne ; que le pays était plein de gibier, mais que les herbes étaient * leur nourriture et l’air leur vêtement.
Iskender demanda :
Comment couchez-vous, manges-vous et vous reposez-vous ?
Comment sup-RPOIÊBIr-VOIIB la poussière du combat ?
Quelle part avez-vous dans les biens de ce monde ?
Car le ciel une sépare pas le poison et l’antidote. »
Un des sages répondit :
Ô conquérant du monde !
Jamais nous ne parlons de gloire et de combat ; nous n’avons pas besoin de vêtements, de couche et de nourriture artificiels : puisque l’homme vient un du sein de sa mère, il ne faut pas qu’il soit délicat en vêtements,
-car il s’en retournera nu dans la poussière et ce monden’est qu’un lieu de terreur, de misère et de souci.
La terre est notre : couche, notre vêtement l’air du ciel et nous tenons nos yeux sur la route pour voir le sort arrive.
L’ambitieux se donne bien de la peine pour une chose qui ne vaut pas cet effort, car quand il quitte ce séjour passager, il laisse derrière lui sa couronne et son trésor.
Sache qu’il ne sera accompagné que par ses bonnes œuvres et que sa tête et son trône resteront dans la. pous-
Ce sière. w Iskender demanda :
Y a-t-il dans le monde plus de choses visibles que de choses cachées, plus de vivants que de morts qui n’ont plus de besoins ? »
Le Brahmane répondit :
Ô roi !
Si tu comptes cent mille morts tu ne trouveras pas un vivant en proportion de ces cent mille et heureux ceux qui ne sont pas tombés dans l’enfer.
Mais ce vivant aussi doit mourir ; chacun part et laisse son tour à un autre. »
Il demanda si la terre ou l’eau»
Prédominait dans ce monde sur lequel luit le soleil.
Le Brahmane répondit :
Ô roi !
C’est l’eau qui est le gardien de la terre. »
Il demanda :
Qui est-ce qui est éveillé du sommeil spirituel et qui est le plus grand pécheur sur la terre ; car quelques-uns vivent et le reste se et remue, sans savoir pourquoi ils sont dans le mondes Le Brahmane lui répondit :
Ô roirau cœur pur, qui recherches les mystères !
Le plus grand pécheur est l’homme puissant qui perd la raison par la soif de la vengeance et par l’avidité.
Si tu veux le bien connaître, avant tout, regarde-toi.
La terre t’est soumise, on dirait que le ciel qui tourne est ton parent ; tu en voudrais davantage ; mais peux-tu sauver ta cervelle de la poussière noire ?
L’avidité est l’enfer de ton âme ; espérons que mes paroles te feront revenir sur tes penchants. »
Ensuite, il demanda :
Qui est le maître de notre âme, qui est notre guide perpétuel vers le mal ? »
Le Brahmane répondit :
C’est l’avidité qui est notre maître, elle est l’essence de la K vengeance et l’âme du péché. »
Il demanda :
Quelle est la nature de l’avidité, puisqu’il faut pleurer sur ce désir de s’agrandir ? »
Le Brahmane répondit :
L’avidité et le besoin sont deux Divs qui préparent de longs malheurs.
L’un d’eux a les lèvres desséchées par la misère, l’autre passe des nuits dans l’insomnie produite par l’abondance ; le mauvais jour fera sa proie de l’un et de l’autre : heureux celui dont l’âme est accessible à la raison ! »
Iskender écouta leurs paroles, son visage devint blanc comme la fleur du fenugrec, ses deux joues pâlirent, ses deux yeux se remplirent de larmes et ses traits souriants se contractèrent.
Le puissant roi leur demanda :
De quoi avez-vous besoin de ma part ?
Je ne ménagerai pas mes trésors pour vous et jamais je n’hésiterai à subir des fatigues pour votre bien. »
L’un d’eux répondit :
Ô grand roi !
Ferme pour nous la porte de la vieillesse et de la mort. »
Le roi lui répondit :
Il ne sert à rien d’implorer la mort.
Comment le soustraire aux griffes aiguës de ce dragon, à qui tu n’échapperais pas, quand même tu serais de fer ?
Un homme, si vaillant qu’il soit, si longtemps qu’il reste sur la terre, ne peut pas échapper aux jours de la vieillesse. »
Le Brahmane lui répondit :
Ô roi, maître du monde, sage et puissant !
Puisque tu sais qu’il n’y a pas de moyeu contre la mort ni de mal pire que la vieillesse, pourquoi te donnesptu tant de peine pour acquérir
Le monde ?
Pourquoi flaires-tu follement la fleur empoisonnée ?
La peine que tu as faite restera après toi, mais le fruit de tes efforts et ton trésor irontà tes ennemis.
Tu te fatigues à travailler pour d’autres ; c’est manque de sagesse et sottise.
Les cheveux blancs sont les messagers de la mort :
comment peux-tu espérer rester en vie ? »
Le roi au cœur éveillé leur dit :
Si un serviteur de Dieu, par la grâce du Créateur, a échappé à mes guerres, il aura péri de même par les dispositions du ciel qui tourne ; car ni le sage ni le guerrier ne peuvent échapper à leur des-’ tinéepar leurs efforts.
Ensuite ceux qui ont péri dans mes guerres, ou dont les astres ont abrégé les jours, ont été dignes de leur sort par la peine qu’il : ont à d’autres et par le sang qu’ils ont versé
(car l’homme injuste n’échappe pas) et ils ont été frappés par la justice de Dieu quand ils ont quitté la voie de la raison.
Personne ne peut approfondir la volonté divine ni trouver la raison des affaires de ce monde. »
Iskender distribua à eux tous de grands présents et ne s’arrêta pas longtemps chez eux ; il partit de ce lieu sans avoir fait du mal et se dirigea droit vers l’occident.
Dernière mise à jour : 31 déc. 2021