Ensuite Bahram convoqua les grands et leur lit part de beaucoup de secrets.
C’étaient Hamdan Guschasp et le Grand Scribe, Yelan Sineh, un homme illustre et audacieux, le vaillant Bahram, de la race de Siawusch et le noble et intelligent Kunda Guschasp et Bahram tint conseil avec ces grands, qui étaient des lions et des hommes de guerre.
Le Pehlewan de l’armée dit à ces hommes ardents et égarés :
Ô vous, hommes illustres et fiers, tout le monde a besoin de vos conseils !
Le roi est mé-, content de nous, sans que ce soit de notre faute et vous savez comment il s’est écarté des convenances et de la. bonne voie.
Que ferons-nous et quel remède y a-t-ill Car il ne faut pas que nous ayons à pleurer sur nous-mêmes comme des gens blessés.
Quand on cache son mal au médecin, on est réduit à laisser tomber de ses cils des larmes de rsang ; quand on cache aux sages son secret, on rend 3 difficile une affaire qui était facile.
Je suis affligé dans l’âme et je vais l’expliquer aux sages de ce et monde.
Je suis parti de l’Iran pour faire la guerre sur l’ordre du roi, conduisant cette petite armée contre des ennemis plus nombreux que nul n’en ce verra, si longtemps qu’il vive.
Des hommes comme le Turc Parmoudeh et le roi Saweh, quand ils ce commençaient une guerre contre l’Iran, ne faisaient pas plus de cas de ce pays que d’une boule de cire et pensaient après leur victoire sur nous s’attaquer au Roum.
Mais le sort de Parmoudeh et du roi Saweh a été tel que le monde n’a jamais vu chose plus étonnante.
Malgré toutes les fatigues qu’ils ont supportées, je ne leur ai pas laissé un éléphant ni un trésor et le roi a pu fonder un trésor nouveau ; il est devenu riche, mais il s’est mis en colère contre son armée.
Que ferez-vous pour remédier à cela, comment guérirez-vous cette blessure ?
J’ai maintenant dit tout le secret de mon cœur ; je me détache de cette royauté et vous, si vous connaissez dans ce moment un moyen de salut, hâtez-vous de parler de tout ce qui touche notre bonheur et notre malheur. »
Or l’illustre Pehlewan avait dans l’appartement des femmes une sœur à l’esprit brillant, intelligente, du nom de Gordïeh ; cette femme au visage de Péri charmait le cœur de Bahram.
Elle entendit derrière. le rideau les discours de son frère, elle en frémit et
5M DÈS son cœur bondit de colère.
Elle entra dans l’assemblée, l’âme pleine de paroles, les lèvres pleines de discours de sagesse antique, les yeux inondés de larmes. les joues jaunes comme le curcuma, la langue acérée comme la pointe d’une flèche.
Lorsque son frère entendit sa voix, il cessa de parler et de répondre et de même les Iraniens interrompirent tous leurs discours de peur qu’il n’arrivât un malheur.
Gordi’eh adressa la parole à ces chefs de l’armée, disant :
Ô hommes illustres qui cherchez votre voie !
Pourquoi devenez-vous si silencieux. comment avez-vous calmé cette ébullition de vos cœurs ?
Que pensez-vous tous de cette atl’aire et quel jeu jouez-vous sur ce champ sanglant, vous les chefs de l’Iran, vaillants et intelligents, vous les grands à l’esprit éveillé ? »
Ized Guschasp le cavalier dit alors :
Ô descendant denobles ancêtres !
Si nos langues étaient des épées acérées, elles reculeraient devant les flots de ta !
Raison.
Tout ce que tu fais vient de Dieu et porte la marque de ta bravoure, de ta sagesse de ton inteli Iigence.
Il n’est pas nécessaire que nous suivions la voie des léopards et que nous combattions tout le monde.
Ne me demande plus d’autres paroles, car ma raison s’arrête là.
Mais si tu veux combattre, nous te soutiendrons, nous nous comporterons comme des cavaliers en face de cavaliers et si le Pehlewan est content de moi, je orois que je resv 5&5 E terai toujours jeunem Bahram écouta son discours w et vit que son intention était de se tenir entre les :
-deux partis ; son œil tomba sur Yelan Sineh et il lui s dit :
Quelle est ta pensée secrète ? »
Yelan Sineh ,4 dit :
Ô vaillant Sipehdar !
Quand celui qui marche dans la voie de Dieu arrive à la victoire et à la gloire, c’est qu’il ne s’est jamais tourné du côté du a, mal, car alors les bénédictions se seraient changées en malédictions et la roue du ciel se serait remplie
1 de colère contre lui.
Le ciel t’a accordé la gloire et la fortune, une armée, un trésor, une couronne et un J trône, accepte-les ; il y ajoutera encore et les cœurs qui se révolteront contre toi seront dans l’angoisse. »
2 Ensuite Bahram dit à Bahram fils de Bahram :
Ô ami intelligent et compagnon de la raison !
Que penses-tu ?
La fin de cette recherche du trône et du trésor sera-t-elle le pouvoir ou la douleur et la peine ? »
Bahram sourit de cette discussion ; il secoua la bague qu’il avait au doigt et dit :
Tant. que ceci restera un objet d’ambition, le roi aura des serviteurs.
Le roi est puissant, ne l’évalue pas trop bas, car on ne peut pas compter pour peu un diadème. »
Ensuite Bahram dit à Kunda Guschasp :
Ô lion qui frappes de l’épée et lances ton cheval !
que penses-tu, que dis-tu de mon affaire ?
Suis-je digne du trône ? »
Kunda Guschasp, le cavalierh répondit :
Ô toi qui es dans le monde un souvenir des héros, les ancêtres !
Un Mobed de Beï a dit :
t7
Mû
Quand un homme qui a de la sagesse et dont les traces sont fortunées a une fois acquis la royauté, son âme s’envole au ciel.
Il vaut mieux ambitionner la gloire d’être maître du monde que de passer une longue vie dans la servitude. »
Bahram s’adressa alors au Grand Scribe et lui dit :
Ô vieux loup, ouvre tes lèvres ! »
Le Grand Scribe ferma ses lèvres et resta absorbé dans ses pensées, qui naissaient en foule ; ensuite il dit à Bahram :
Quiconque recherche l’objet de ses désirs l’obtiendra, pourvu qu’il recherche ce qui lui est dû, car la main que la Fortune étend est toute-puissante.
Sache que si Dieu, le juste, accorde quelque chose. »
Il est inutile de vouloir résistera»
Bahram dit à Hamdan Guschasp :
Ô toi qui as éprouvé la bonne et la mauvaise fortune !
Les paroles que tu prononceras en présence des grands passez :
ront comme le vent et n’auront pas de conséquence pour toi.
Dis-nous ce que tu penses sur cette affaire et sur ses bonnes et mauvaises chances. »
Le puissantIHamdan Guschasp répondit :
Ô toi que chére rissent les grands !
Pourquoi crains-tu les maux que peut amener l’avenir. pourquoi consultes-tu sur le diadème de la royauté ?
Agis et remets à Dieu ce qui est fait ; pourquoi étendre la main sur la datte quand on craint les épines ?
Le chef d’un peuple n’a pas la vie facile, tout est pour lui crainte pour la vie et fatigue du corps. »
5H La sœur du Pehlewan souffrait et s’attristait de ces discours ; elle n’ouvrit pas les lèvres pendant cette discussion depuis le coucher du soleil jusqu’à minuit.
Bahram lui dit :
Ma bonne sœur !
Que penses-tu de ce qui s’est dit dans cette assemblée’h Gordîeh ne lui donna aucune réponse, elle n’approuvait pas l’avis de ces grands ; à la fin elle dit au Grand Scribe :
Ô homme méchant comme un Div et un loup !
Tu crois donc que la couronne et le trône, l’armée, : le pouvoir et la fortune victorieuse n’ont jamais fait envie à personne parmi les grands, les hommes de ce noble caractère, quoique la vie soit plus douce pour (r un roi que pour un serviteur ?
Il faudrait verser des larmes sur une pareille sagesse.
Suivons les cous turnes qui ont prévalu sous les anciens rois, écoutons les paroles des grands de ces temps.
Le trône des rois a été souvent vacant, mais aucun sujet ne l’a jamais convoité.
Ils ont vaillamment protégé le monde, mais ils n’ont jamais jeté les yeux sur le a trône.
Tout homme sage, dont le cerveau est sain et qui a réfléchi sans passion sur le monde, sait qu’il est plus doux d’être roi que serviteur, qu’il vaut mieux être placé en haut que croupir en bas.
Et pourtant ils n’ont pas étendu la main vers le trône des Keïanides, ils se sont revêtus de la ceinture de la servitude, n’ont attendu la fortune que des rois et ont. tous assujetli leurs cœurs à l’obéissance ; car "un homme étranger à la faniille des Ketanidcs ne la7.
Doit pas occuper le trône et c’est la naissance qui donne le droit au pouvoir.
Je commence par le roi Kaous, qui a voulu pénétrer les secrets de Dieu, compter les astres dans le ciel, examiner la voûte céleste qui tourne.
Il a fait à Sari une triste et honteuse chute, par suite de sa perversité et de sa mauvaise nature ; mais Gouderz et Rustem le Pehlewan ne lui ont pas fait de reproches.
Et plus tard, lorsqu’il est allé dans le Hamaveran, où l’on chargea ses pieds de chaînes pesantes, aucun d’eux n’a essayé de s’emparer du trône ; leur unique sentiment était une chaleureuse sollicitude pour les rois.
Quand les Iraniens dirent à Rustem qu’il était digne du trône des Keïanides, il poussa un cri de fureur contre ceux qui avaient parlé, disant :
Êtes-vous alliés à la race des Divs ?
J’aurais un trône d’or, pendant que le roi serait captif ?
Maudit soit ce pouvoir et maudite cette cou ronne !
Il choisit dans l’Iran douze mille cavaliers propres à conquérir le monde et montés sur des chevaux bardés de fer, il délivra de leurs liens Kaous, Giv, Gouderz et Thous.
De même lorsque Pirouz fut tué, que la fortune avait abandonné les Iraniens et que Khouschnewaz s’assit tranquillement sur ce trône orgueilleux, Souferaï, de la famille de Karen, partit et rétablit le trône des rois.
Quand on eut nouvelle de sa vic- -toire, des grands de l’Iran partirent pour I’acclasite) mer’roi et pour faire d’un sujet le roi du monde.
Mais Souferaï leur dit :
Ceci ne doit pas se faire.
Le pouvoir et la couronne appartiennent à la famille des rois ; Kohad est encore un enfant, mais il grandira ; n’introduisons pas le loup dans le domaine du lion.
Voulez-vous donc faire roi un homme qui ne l’est pas de naissance et livrer à la destruction ce toute sa famille ?
Lorsque Kohad futdevenu homme et qu’il vit que la tête de Souferaï dépassait sa couronne, il fit tuer, sur l’instigation d’hommes de mauvaise race, celui qui était le soutien de son trône.
L’armée se révolta contre le roi Kohad et plaça Djamasp sur le trône de la justice ; on mit les fers aux pieds de Kohad, ce vaillant Keïanide, fils de Keïanide et un homme de mauvaise nature le livra à, Rezmihr, dans l’espoir qu’il se vengerait sur lui du meurtre de son père.
Rezmihr regarda autour de lui et ne voyant personne digne de la couronne et du trône de la royauté, il lui ôta les fers pour qu’il pût rétablir ses affaires et revenir à la prospérité.
Mais aucun des sujets du roi ne recherchait la couronne, quoiqu’il y en eût à qui leur naissance y donnât droit ; seulement un Turc, qu’on appelait le roi Saweh, arriva pour s’emparer du sceau et du diadème ; mais le Créateur du monde brillant décida qu’il périrait sur la terre d’Iran. »
Qu’est-ce qui a pu t’inspirer l’envie de t’emparer du trône impérial, toi qui as été son esclave ?
Yelan
Sineh fera bondir son cheval, disant :
Je vais faire de Bahram, le fils de Guschasp, un nouveau roi du monde ; je vais en faire un souvenir pour mon nom.
Mais un roi sage, comme Nouschirwan, s’est rajeuni dans la vieillesse en regardant Hormuzd, tous les grands de toutes les provinces sont ses soutiens, que dis-je soutiens, ils sont ses esclaves et ses serviteurs ; il y a dans l’Iran trois cent mille cavaliers, tous des Pehlewans, tous des hommes illustres ; ils sont tous les esclaves du roi et se prosternent devant ses ordres et sa volonté.
Le roi des rois du monde t’a choisi, comme il convient à un maître illustre, car tu avais de même des ancêtres célèbres qui avaient partout vaincu l’ennemi.
Tu vas faire du mal en récompense du bien que tu as reçu : mais sache que c’est sur toi-même que retombera le mal.
Ne laisse pas la passion dominer la raison, car les sages ne t’appelleront pas un homme pur.
Je ne suis qu’une femme et je donne des conseils aux hommes, mais je ne suis pas beaucoup plus jeune que mon frère.
Ne livre pas au vent ce que tes ancêtres ont accompli et à Dieu ne plaise que tu aies à te rappeler mes avis ! »
Le Sipehdar se mordit les lèvres ; toute l’assemblée était étonnée de cette femme et comprit qu’elle disait vrai et qu’elle ne conseillait que la voie du bien.
Yelan Sineh dit :
Ô noble femme] ne donne pas ton avis dans l’assemblée sur les affaires des rois.
Hormuzd va disparaître en peu de temps et le Pehlewan va jouir de son trône ; et puisque Hormuzd est si dépourvu det mérite, compte que ton frère sera roi d’Iran.
Si Hormuzd veut jouir de la couronne des Keïanides. pourquoi fait-il des présents de fuo seaux ?
Envoyer un présent de fuseaux et de coton à un Pehlewan tel que lui, un homme comme un lion, dont l’épée fait trembler la terre !
Fi d’un pareil roi sans foil Ne parle plus de Hormuzd, le fils de la Turque ; puisse sa race disparaître du monde !
Si tu comptes depuis Keïkobad, cette famille des Koi’am dea a duré mille ans, portant. la couronne, assise sur le trône d’or.
Elle est finie maintenant ; ne prononce plus son nom.
Ne pense pas non plus à Khosrou Parviz, car il ne servirait à rien de le mentionner.
Les plus intimes de cette cour sont les plus humbles serviteurs de ton frère ; et si Bahram dit à ces sujets de Hormuzd de charger ses pieds de lourdes chaînes, ils"le feront à l’instant et placeront ton frère sur son trône. »
Gordïeb lui dit :
Le noir Div tendra des filets sur votre route.
Ne nous détruis donc pas corps et âme ; je vois déjà tout l’orgueil et toute la vanité que tu excites.
Notre père était gouverneur de Beï ; et toi, en faisant naître cette envie du trône, en faisant bouillonner le cœur de Bahram, en jetant le trouble dans notre tribu, tu donneras au vent par tes paroles tous les fruits des travaux de cette fa-
mille, ô misérable de mauvaise race !
Remplis donc de désordre ces jours paisibles et fais-toi le guide de Bahram ! »
Ayant ainsi parlé, elle rentra en pleurant dans son appartement et devint dans son cœur comme une étrangère envers son frère.
Ils dirent tous :
Cette sainte femme, comme elle a bien parlé à l’assemblée !
On aurait dit que ses paroles sortaient d’un livre ; elle surpasse Djamasp en sagesse. »
Tout cela déplut à Bahram et les paroles de sa sœur le rendirent farouche, car son âme sombre était si constamment pleine du trône de la royauté qu’il le voyait même en songe.
Il se dit :
Ceux qui recherchent la possession du monde fugitif ne l’obtiennent que péniblement. »
Il ordonna de préparer des tables et de faire venir du vin, de la musique et des chanteurs et il dit à ces chanteurs :
Aujourd’hui vous nous donnerez les chants héroïques ; je veux que vous ne fassiez entendre à mes hôtes que la chanson des Sept Aventures, qui raconte comment Isfendiar est allé au château d’airain et quel jeu il a joué dans ce temps. »
Les grands burent du vin à la santé de Bahram, en s’écriant :
Puisse prospérer le pays de Rai, qui produit des Sipehheds comme toi !
Puisse Dieu en créer d’autres qui te ressemblent ! »
Ils se dispersèrent dans la nuit sombre, la tête des buveurs étant troublée par le vin.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021