Après avoir consulté Ormuzd & les autres Esprits célestes, Zoroastre revint dans le Monde.
Les mauvais Génies & les Magiciens furent instruits de son retour, & formèrent une armée nombreuse, pour lui déclarer la guerre: mais voyant la science dont Il était rempli, ils se mordirent les doigts de dépit.
Le Chef des Magiciens lui dit:
Laissez-là l'Avesta!
Ces paroles que vous récitez, en les accompagnant du tambour, ne peuvent rien contre nous.
À ces mots Zoroastre ne put retenir sa colère.
Il récita un chapitre de l’Avesta zend, qui est contre la magie, & jeta un grand cri, qui fit fuir les Dews.
Tous se cachèrent sous terre.
Les Magiciens furent saisis d’effroi: une partie mourut, & l'autre demanda grâce.
Zoroastre ayant ainsi vaincu les Magiciens, prit la route de Balkh, & s’avança vers le Palais de Guschtasp.
Il arriva dans cette ville un jour heureux, & s’y reposa quelque temps.
Il invoqua ensuite le nom de Dieu, marcha vers le lieu où était le Roi; & comme il ne pouvait en approcher, il fendit le plancher du Divan où Guschtasp tenait sa Cour, & descendit par l’ouverture.
Plusieurs de ceux qui étaient présents prirent la fuite; mais ce prodige n’effraya pas Guschtasp.
La Cour de ce Prince était composée des Grands de l’Iran & des Sages les plus célèbres.
L'accès qu'il leur donnait auprès de sa personne, proportionné à leur mérite, en était en même temps la récompense.
Guschtasp était sur son Trône, tout éclatant de gloire, lorsque Zoroastre s’approcha, & lui fit des souhaits selon l’usage des Orientaux.
Frappé de sa sagesse et de se paroles, le Roi demanda à ses Philosophes s’ils le connaissaient.
Il ordonna ensuite d'apporter un siège, y fit asseoir Zoroastre, & lui commanda de déployer toute sa science.
Zoroastre s'étant assis, dit des choses que jamais personne n'avait entendues.
On lui fit diverses questions auxquelles il répondit de la manière la plus satisfaisante.
Alors les Sages étendirent un tapis sur le plancher, y firent asseoir Zoroastre, & se mirent autour de lui.
Chacun l’interrogea séparément sur les Sciences anciennes.
L'étendue de ses connaissances les étonna, & ils le quittèrent fatigués eux-mêmes des questions qu’ils lui avoient faites.
Ce spectacle intéressa Guschtasp: il fit approcher Zoroastre, le questionna aussi sur les Sciences anciennes; & étant satisfait de ses réponses, il lui donna près de ses appartements un logement magnifique.
Les Sages confus se retirèrent dans leurs maisons, & employèrent la nuit à chercher dans leur science de quoi embarrasser Zoroastre.
Zoroastre, quant à lui, passa la nuit en prières, remerciant Dieu de l'avoir fait triompher de leurs efforts.
Le lendemain, dès que le jour parut, les Ministres & les Sages se rendirent à l'ordinaire auprès du Roi.
Zoroastre y vint aussi.
On parla de bien des choses, & il eut toujours l'avantage.
Les Ministres étonnés se disaient:
Qu’est-ce que cela?
Zoroastre lançait contre eux sa langue, comme une épée aiguë.
Il leur expliqua de cent manières tout ce qu'ils lui demandèrent sur les Sciences.
Alors Guschtasp le combla d’honneurs. Il voulut savoir quel était son état, son nom, sa famille, la ville où il était né, de qui il descendait.
Zoroastre satisfit le Roi sur tous ces objets, & lui dit:
Demain, jour Ormuzd, faites assembler les Grands de votre Cour, les Généraux d'armée, & les Sages;
je répondrai à tout ce qu'on me demandera; & je dévoilerai tout ce que je sais.
Ces paroles plurent au Roi, qui ordonna pour le lendemain une Assemblée générale.
Zoroastre retiré chez lui, passa la nuit en prières.
Pour les Ministres, tout furieux, ils se disaient:
Quoi!
Un Étranger nous enlève auprès du Roi le nom dont nous jouissions.
Accordons-nous, concertons-nous pour rendre inutile tout ce qu'il dira.
Ils se retirèrent dans leurs maisons, & passèrent la nuit sans dormir.
Le lendemain ils s’assemblèrent chez le Roi avec les Généraux d'armée, ne respirant qu'envie & que fureur.
Zoroastre y vint aussi, triompha de leur jalousie, & rendit leurs projets inutiles.
Les Savants & les Ministres étant réduits au silence, Zoroastre parut grand devant Guschtasp, & lui dit:
Je suis envoyé de la part du Dieu qui a fait les sept Cieux, la Terre & les Astres; ce Dieu qui donne la vie & la nourriture journalière, & qui prend soin de son serviteur, lui qui vous a donné la Couronne, qui vous protège, qui a tiré votre corps du néant.
C’est par son ordre que vous agissez.
C’est par son ordre que vous commandez à vos serviteurs.
Zoroastre parla ainsi, & présenta l’Avesta à Guschtasp, en lui disant:
Dieu m’a envoyé aux Peuples pour qu’ils écoutent cette parole, l’ordre d’ Ormuzd, qui est l’ Avesta Zend.
Si vous exécutez l’ordre de Dieu, vous serez couvert de gloire dans l’autre monde, comme vous l’êtes dans celui-ci.
Si vous ne l’exécutez pas, Dieu irrité brisera votre gloire, & votre fin sera l’Enfer.
Écoutez les instructions d’Ormuzd; n’obéissez plus aux Dews, & suivez mes paroles.
Ce Prince lui répondit:
Quels miracles ferez-vous, pour prouver la vérité de votre mission, pour que j’obéisse à ce que vous dites, que j’y soumette le Monde entier, & vous protège contre l’injustice?
Zoroastre dit à Guschtasp:
Celui qui pratique ce que j'enseigne, fera d’assez grands prodiges. Dieu m'a dit:
Si le Roi vous demande des miracles, dites-lui: quand vous lirez le Zend-Avesta, vous n’aurez pas besoin de miracles.
Le Livre que je vous apporte est lui-même le plus grand prodige.
Par lui vous saurez ce qui est dans les deux Mondes, le cours des Astres, vous embrasserez la voie droite.
Lisez-moi donc le Zend-Avesta, lui dit Guschtasp.
Zoroastre en lut une section entière, que le Roi ne gouta pas.
Son cœur ne fut pas disposé à embrasser la Loi, parce que la grandeur de l’Avesta passait son intelligence, comme un enfant qui ne fait point de cas des pierres précieuses, comme un ignorant qui ne connaît point le prix de la science.
Ce Prince dit à Zoroastre:
J'approuve les souhaits que vous avez faits pour moi;mais il faut aller doucement dans cette affaire.
Je l'examinerai; je vous proposerai mes doutes.
Je veux lire le Zend-Avesta, & savoir ce qu’il contient, pour ne pas suivre le mensonge.
Je me rendrai à ce que je verrai clairement.
Venez à votre ordinaire tous les matins.
À quelque heure que vous vous présentiez, vous aurez vos entrées libres.
Zoroastre fut charmé de voir le Roi dans de si bonnes dispositions, & lui promit de faire, pour dissiper ses doutes, tous les miracles qu’il exigerait.
Quelque temps après les Sages dirent au Roi que la doctrine de Zoroastre leur paraissait pure; mais qu’il fallait, pour s’assurer de sa mission, exiger de lui un miracle extraordinaire.
Guschtasp leur demanda:
Quel miracle lui demander?
Les sages répondirent:
Nous le lierons fortement;
nous le frotterons avec des drogues, dont nous connaissons la vertu, & nous verserons sur son corps un man 2 d’airain fondu.
S’il périt dans l’épreuve, ce sera la punition de son imposture; s’il en sort sain et sauf, il faudra suivre sa doctrine.
Zoroastre accepta la proposition, présenta le Zend-Avesta, qu'il prétendait avoir reçu du Ciel, & dit:
Ô Dieu, si c'est vous qui m’avez envoyé ce Livre, ne permettez pas que l’airain me fasse de mal.
Il ordonna ensuite qu’on versât l’airain, qui coula sur sa poitrine sans le blesser.
Zoroastre fit encore d’autres miracles.
On lui mit dans la main du feu qui ne le brula pas; & le même prodige s'opérait à l'égard de celui dans la main duquel il mettait du feu.
Il planta aussi un cyprès à côté du Palais du Roi; & cet arbre en peu de jours devint si gros, que dix grandes cordes pouvaient à peine l’entourer.
Il fit ensuite dresser une grande salle sur les branches les plus élevées de cet arbre.
Alors Guschtasp entrainé par cette foule de prodiges, embrassa la Loi de Zoroastre.
Le nouveau Prophète lui expliquait tous les jours le Zend-Avesta, & se retirait ensuite dans l'appartement qu’on lui avait donné.
La faveur dont jouissait Zoroastre, enflamma la jalousie des Ministres.
Ils concertèrent entre eux les moyens de le perdre.
Il fallait le noircir aux yeux de Guschtasp.
Pour cela les plus habiles d’entre les Ministres & les Sages, composèrent un enchantement, qu'ils portèrent secrètement chez lui.
Zoroastre ignorait ce qui se passait.
Lorsqu’il sortait de son appartement, pour aller chez le Roi, il avait coutume de mettre sa clef dans le Palais.
Les Ministres informés de cela, allèrent trouver le portier, qui, gagné par un présent, leur donna la clef du Prophète.
Ils portèrent aussitôt dans sa chambre du sang, des immondices, des cheveux, des morceaux de cadavre, une tête de chat, une de chien , des os de morts.
Ils mirent tout dans un sac, le placèrent dans l’oreiller de Zoroastre, refermèrent la porte, & promirent au portier de garder le secret.
Lorsque le Soleil parut, ils allèrent trouver le Roi qui était avec Zoroastre, & lisait le Zend-Avesta.
Ce Prince en admirait les lettres & le style, sans en comprendre encore le sens.
Ses Ministres lui dirent:
Ne vous laissez pas aller aux paroles de Zoroastre.
Le Zend-Avesta n'est qu’enchantement.
Cet homme passe la nuit à faire des sortilèges.
Il couvrira votre État de maux. Vous êtes notre Roi. Nous vous disons ce que nous savons. Vous ne connaissez pas cet imposteur.
Au reste, vous êtes le Maitre de commander ce qu'il vous plaira.
Guschtasp réfléchissant sur ces paroles, voulut s’assurer de la vérité, & ordonna d'apporter tout ce qui était dans l’appartement de Zoroastre.
Le nouveau Prophète peu effrayé de l’accusation, indiqua tranquillement au portier le lieu où était la clef.
On apporta donc ce qui était dans la chambre de Zoroastre, son manger, ses habits, le tapis sur lequel il dormait, son sac, ses livres, son gobelet; on retourna tout, & on y trouva des ongles, des os de morts, etc.
Tout fut étalé devant Guschtasp, qui appela ses Ministres, & le leur montra.
A la vue de ces objets, ils témoignèrent leur indignation, & chargèrent Zoroastre de malédictions.
Il lui dirent:
Impur!
Ne sont-ce pas là les armes des Magiciens?
Tu ne crains pas le Dieu Suprême.
Ce spectacle surprit étrangement Zoroastre. Ses yeux s’obscurcirent à la vue du cadavre. Il protesta à Guschtasp qu'il ne comprenait rien à ce qu'il voyait; qu'au reste on pouvait interroger le portier.
Mais cet homme que les Ministres avaient corrompu, assura que personne n’était entré dans sa chambre; que le vent même n’aurait pu pénétrer dans l’appartement de Zoroastre, si lui-même, Zoroastre, ne lui eût donné entrée: & le Roi tranquillisé par ces différents témoignages, dit à Zoroastre:
Chien! plus vil que la poussière, ne mérites-tu la lance & le pal?
Tout ce qui est devant toi t'appartient.
Quelqu'un a t-il apporté du Ciel ce qui est dans ton oreiller & dans ton sac?
Il jeta ensuite le Zend-Avesta, & sans écouter davantage Zoroastre, il le fit charger de fers & ordonna de le resserrer étroitement.
Il n'y a pas, disait ce Prince, de plus grand Magicien que cet homme; il bouleverserait le Monde entier.
On mena donc Zoroastre en prison.
Le geôlier eut ordre de lui porter chaque jour un pain & une cruche d’eau, & de bien prendre garde qu’il ne s’échappât.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021