Guschtasp

Troisème Station - Isfendiar tue le dragon

Alors Isfendiar ordonna que le méchant et malheureux Kergsar parût devant lui.

Il lui donna trois coupes de vin couleur de rubis, et quand les coupes de vin eurent égayé cet Ahriman, il lui dit:

Ô homme malheureux et misérable, révèle-moi ce que tu sais de ce que je dois voir demain.

Il répondit:

Ô roi, dont la grandeur dépasse toute grandeur, que tout mal soit loin de toi!

Tu t’es élancé tout d’un coup comme le feu, et c’est ainsi que tu as passé par ces dangers; mais tu ne sais pas ce que tu rencontreras demain!

Aie pitié de la fortune qui veille sur toi!

Quand tu arriveras demain à la station, tu trouveras devant toi un danger bien plus grand: il viendra à ta rencontre un dragon terrible, qui attire avec son haleine le poisson de la mer, dont le souffle brûlant met tout en feu, dont le corps est une montagne de roche;

Tu ferais mieux de t’en retourner, et ton intelligence attestera que ce conseil est bon.

Tu ne te ménages pas toi-même, mais ménage donc cette belle armée que tu as rassemblée.

Isfendiar lui répondit:

Ô homme de mauvaise nature, je te traînerai avec moi dans tes chaînes, et tu verras que dans le combat le dragon n’échappera pas à mon épée tranchante!

Il ordonna alors qu’on amenât des charpentiers et qu’on apportât des pieux solides et lourds; il fit faire un bon chariot de bois, qu’on garnit tout autour d’épées, et sur lequel on plaça une belle caisse.

Les charpentiers ingénieux construisirent tout cela; le prince ambitieux de la couronne devait s’asseoir dans la caisse et atteler devant deux nobles chevaux.

Il s’assit dans la caisse pour faire un essai, et se fit traîner ainsi pendant quelque temps par les chevaux, revêtu d’une cotte de mailles, tenant en main une épée de Kaboul et la tête couverte de son casque de héros.

Quand le prince eut tout préparé pour le combat contre le dragon et qu’il eut achevé ce travail, le monde devint noir comme le visage d’un nègre, et la lune montra son trône placé au signe du Bélier.

Isfendiar s’assit sur son cheval Schoulek, et partit, suivi par son armée illustre; le lendemain, quand le monde fut plein de lumière et que le drapeau de la nuit sombre eut disparu, Beschouten se présenta devant le prince avide de renom, accompagné des grands et de ses parents.

Le héros maître du monde revêtit sa cotte de mailles, et confia au fortuné Beschouten le commandement de l’armée;

Cet homme au cœur de lion fit amener le chariot et la caisse, et le vaillant roi s’y assit; on y attela deux nobles chevaux, et il se dirigea rapidement du coté du dragon.

Celui-ci entendit de loin le bruit des roues et vit bondir les chevaux ardents; il arriva, semblable à une montagne noire; tu aurais dit qu’il obscurcissait le soleil et la lune; ses deux yeux étaient comme deux fontaines remplies de sang brillant, et le feu sortait de sa gueule.

Il ouvrit une bouche qui ressemblait à une caverne noire, et jeta un regard furieux sur Isfendiar, qui, à l’aspect de ce monstre, demanda la protection de Dieu et retint sa respiration.

Les chevaux cherchaient à se soustraire à l’attaque du dragon; mais il les aspira avec son souffle et les engloutit ainsi que le chariot.

Le héros, qui se trouvait dans la caisse, devint inquiet; mais les épées entrèrent dans la gueule du dragon et s’y fixèrent; il vomit un torrent de sang et ne put se dégager, car les épées étaient comme des lames, et sa gueule comme leur fourreau.

Il était embarrassé du chariot et des épées, et sa force commençait à faiblir; alors le héros sortit de la caisse, tenant dans sa main de lion une épée tranchante, et lui fendit le crâne.

Les exhalaisons du venin répandu s’élevaient de la terre et étourdirent Isfendiar; il tomba comme une montagne et s’évanouit.

Cependant Beschouten le suivait et arrivait avec son armée nombreuse; il eut peur qu’un malheur n’eût atteint le prince; son cœur se gonfla de sang et son visage se couvrit de larmes; toute l’armée éclata en lamentations, tous mirent pied à terre et abandonnèrent leurs chevaux.

Beschouten accourut et lui versa sur la tête de l’eau de rose, et le prince, qui ambitionnait la possession du monde, ouvrit les yeux et dit à ces guerriers qui portaient haut la tête:

Les exhalaisons du poison m’ont fait évanouir, mais je n’ai reçu aucune blessure.

Il se leva et s’approcha de l’eau, comme un homme ivre de sommeil; il demanda à son trésorier un vêtement frais, entra dans l’eau, et se lava la tête et le corps.

Il s’adressa à Dieu, le très-saint, tout tremblant, et se roula dans la poussière, s’écriant:

Qui aurait pu tuer ce dragon sans être soutenu par le Maître du monde?

Toute l’armée rendit grâce à Dieu, en se prosternant devant le dispensateur de la justice; mais Kergsar fut plein de douleur de ce qu’Isfendiar, qu’il avait cru mort, était encore vivant.

Dernière mise à jour : 7 sept. 2021