Le roi fit placer l’enceinte de ses tentes sur le bord de l’eau, et toute l’armée dressa les siennes autour de lui.
Il fit mettre du vin sur la table et invita des convives; il but debout à la santé de Guschtasp, le maître du monde.
Ensuite il ordonna qu’on amenât en sa présence Kergsar, qui était blessé au cœur et marchait en tremblant; il lui donna deux coupes de vin royal, sourit et lui parla du dragon, disant :
Ô homme vil de corps et sans valeur, regarde ce vaillant dragon qui enveloppait ses victimes avec sa queue, et dis-moi ce qui se présentera à la station prochaine, et quelles nouvelles fatigues et quels dangers j’aurai à subir.
Kergsar répondit:
Ô roi victorieux, puisse ta bonne étoile te servir!
Demain, quand tu t’arrêteras à la station, tu seras salué par une magicienne qui a vu bien des armées avant celle-ci, et dont le cœur n’a jamais tremblé devant personne.
Quand elle veut, elle convertit en mer le désert, et fait descendre à l’horizon le soleil qui est au zénith.
On lui donne, ô roi, le nom de Ghoul.
Ne te laisse pas entraîner dans ses filets par la fougue de ta jeunesse.
Retourne dans l’Iran, content d’être le vainqueur du dragon; car il ne faut pas mettre ta gloire en péril.
Isfendiar, qui ambitionnait la possession du monde, lui dit:
Ô homme méchant et impudent, tu raconteras demain ce que tu me verras faire, car je traiterai cette magicienne de manière à briser le dos et le cœur aux magiciens.
Par la victoire qu’accorde Dieu, l’unique, le dispensateur de la justice, je mettrai la tête des magiciens sous mes pieds.
Lorsque le jour eut revêtu sa tunique pâle du soir, et que le soleil, qui éclaire le monde, fut descendu vers le couchant, Isfendiar mit en route son armée, fit charger les bagages, et adressa une prière à Dieu, de qui vient tout bien.
Le roi fit marcher l’armée pendant toute la nuit, et lorsque le soleil éleva son casque d’or, semblable à un rubis dans le signe du Bélier, la surface entière de la terre sourit, et Isfendiar remit le commandement de l’armée à Beschouten;
il prit une coupe d’or, demanda une belle guitare, et se para comme pour une fête, lui qui allait livrer un combat.
Il vit une forêt semblable au paradis; tu aurais dit que le ciel s’était converti en une tulipe; on n’y apercevait pas le soleil à travers les arbres, et partout on voyait des sources dont l’eau était pareille à l’eau de rose.
Il descendit de cheval, comme l’endroit le méritait, choisit dans la forêt le bord d’une fontaine, prit dans sa main la coupe d’or, et quand il se sentit égayé par le vin, il appuya la guitare contre sa poitrine et se mit à chanter de toute son âme.
Il dit:
Le malheureux Isfendiar ne boit jamais de vin, n’a point de compagnons pour en boire, ne rencontre que des lions et des dragons vaillants, n’est jamais délivré des griffes du malheur, n’éprouve jamais un peu de plaisir en ce monde par la vue d’une belle au visage de Péri, et Dieu accomplirait tous les désirs de son cœur, s’il voulait lui donner une de ces femmes dont les traits ravissent l’ âme, dont la stature égale le cyprès, dont le visage brille comme le soleil, dont les cheveux de musc descendent jusqu’aux pieds.
La magicienne entendit les paroles d’Isfendiar, et s’en épanouit comme la rose au printemps; elle se dit:
Voici un lion qui est entré dans mes filets, paré, chantant, et une coupe pleine dans la main.
Cette créature impure, pleine de rides et hideuse, se mit à écrire ses formules de magie dans les ténèbres, et se changea en une belle fille turque, avec des joues comme des brocarts de Chine et des cheveux noirs comme le musc.
Elle s’approcha ainsi d’Isfendiar, les deux joues semblables à un jardin de roses et des fleurs dans le sein.
Quand le prince l’aperçut, il chanta plus haut, joua plus gaiement et but davantage, disant:
Ô Dieu, l’unique, le distributeur de la justice, tu es le guide dans la montagne et dans la plaine!
Je viens de désirer qu’une fille au visage de Péri vienne me rendre heureux dans cette forêt, et voici que le Créateur me la donne, que le Distributeur de la justice me l’accorde! Que mon cœur et mon âme l’adorent!
Il lui donna une coupe remplie d’un vin parfumé de musc, et ses joues en devinrent couleur de rubis.
Or il possédait une belle chaîne d’acier, qu’il tenait prête, mais cachée devant la magicienne.
Zerdouscht , qui l’avait apportée du paradis pour Guschtasp, la lui avait attachée au bras; Le prince lança cette chaîne autour du cou de la magicienne de manière à lui enlever ses forces.
Elle prit la forme d’un lion, mais il tira son épée et luit dit:
Tu ne peux me faire du mal, quand même tu aurais le pouvoir d’entasser des montagnes de fer.
Reprends ta forme réelle, et je vais te donner ma réponse avec mon épée.
Alors parut, prise dans la chaîne, une vieille femme puante, caduque, dont la tête et les cheveux étaient blancs comme la neige, et le visage noir, et Isfendiar la frappa d’un coup de son glaive tranchant.
Puisses-tu ne jamais voir une pareille tête et un pareil sein!
Au moment où la magicienne expira, la ciel devint sombre, de sorte que les yeux ne voyaient plus; un orage s’éleva ,et une poussière noire rendit invisibles le soleil et la lune.
Isfendiar monta sur une hauteur et poussa un cri comme le tonnerre qui éclate.
Beschouten accourut avec l’armée, et dit:
Ô roi glorieux! ni les crocodiles, ni les magiciens, ni les lions, ni les loups, ni les léopards ne résistent à, tes coups.
Puisses-tu rester ainsi, portant haut la tête, car le monde a besoin de ta protection.
Mais les victoires d’Isfendiar mettaient en feu la tête de Kergsar.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021