Isfendiar ayant lu cette lettre, se mit à distribuer de l’or et termina ce qu’il avait à faire.
Lorsqu’il eut épuisé le trésor d’Ardjasp, il fit des largesses avec les trésors des membres de sa famille; il rendit riches toutes ses troupes, et leurs affaires prospéraient au delà de toute mesure.
Il y avait des chameaux et des chevaux dans la montagne portant la marque du maître du peuple du Touran.
Isfendiar demanda qu’on lui amenât de tous côtés, des déserts et des montagnes où ils étaient dispersés, dix mille chameaux; il en fit charger mille d’or pris dans le trésor du roi, trois cents de brocarts, de trônes et de casques, cent de musc, d’ambre et de joyaux, cent de couronnes et de diadèmes précieux, mille de tapis de brocart, enfin trois cents de vêtements chinois, tant en cuir chamoisé et teint qu’en soie peinte.
Il fit préparer des litières avec des housses de brocart, et l’on emmena deux troupes de jeunes filles chinoises dont les joues ressemblaient au printemps, la stature au cyprès, la taille au roseau et la marche à la marche du faisan; ces cent filles illustres, belles comme des idoles, partirent avec les sœurs d’Isfendiar.
Cinq femmes voilées suivirent, pleines de larmes, de douleur et de peines: deux étaient les sœurs, deux les filles et une la mère d’Ardjasp; la mère pleurait, les filles se désolaient.
Quand il eut jeté du feu dans le château d’airain, la flamme monta jusqu’au ciel sublime; il fit raser jusqu’à terre tous les remparts de la forteresse et voler la poussière de la destruction de tout le pays de Chine.
Il confia le commandement de son armée à ses trois jeunes fils et leur dit:
Soyez vigilants et que le bonheur soit votre compagnon.
Si en route quelqu’un se détourne de la justice, tranchez-lui la tête avec le glaive.
Vous prendrez le chemin du désert, vous tiendrez les pointes de vos lances brillantes comme le soleil.
Moi je resterai du côté des sept stations à chasser le lion, et vous, ne cheminez pas trop lentement.
Je prendrai mon temps pour aller jusqu’au bout de la route, où je vous rejoindrai à la fin d’un mois.
Isfendiar suivit le chemin des sept stations, où il chassa accompagné d’une noble escorte;
Quand le héros arriva à l’endroit où ils avaient éprouvé le froid, il trouva tous leurs bagages encore sur place; l’air était agréable, la terre pleine de fleurs; on aurait dit que le printemps venait rejoindre l’été.
Il enleva toutes ces richesses, confondu de sa bonne fortune.
Arrivé près des frontières de l’Iran, dans le pays des héros et des lions, il se livra à la chasse aux léopards et aux faucons, jusqu’à ce qu’il fût las des fatigues de cette longue route.
Il espérait toujours voir ses trois nobles fils, et il commençait à s’irriter de ce qu’ils arrivaient si tard.
A la fin l’armée et ses fils parurent, et le héros digne de la couronne sourit à chacun, disant:
C’est une route pénible que j’ai faite, et j’étais impatient de ce que vous tardiez si longtemps!
Ses trois fils baisèrent la terre, disant:
Qui dans le monde a un père comme le nôtre !
De là il se dirigea vers l’Iran, traînant avec lui, vers le pays des braves, tous ses trésors.
On avait paré toutes les villes d’ Iran, on avait fait venir du vin, de la musique et des chanteurs, on avait suspendu des étoiles aux murs des maisons, et en haut on mêlait du musc et de l’ambre pour les verser sur lui.
L’air était rempli de la voix des chanteurs, la terre couverte de cavaliers armés de lances.
Quand Guschtasp sut qu’Isfendiar approchait, il se livra à la joie et se fit donner des coupes de vin en écoutant ce qu’on racontait de lui.
Il ordonna toute son armée, et à tous ceux dans l’empire qui avaient du pouvoir, de se rassembler à la cour accompagnés de tambours, et tous les grands de l’armée y parurent.
Ensuite le père alla à la rencontre du fils au frais visage, avec tous les sages illustres, avec les grands, les savants et les Mobeds; la ville entière fut remplie du bruit des voix.
Quand le jeune roi vit la figure de son père, son cœur se réjouit et son âme devint sereine;
Il fit bondir son cheval couleur de nuit, qui allumait le feu des batailles;
Il s’approcha et serra sur sa poitrine son père, qui fut surpris de ce qu’il faisait, et le couvrit de ses bénédictions, disant:
Puissent le temps et la terre ne jamais être privés de toi !
De là ils partirent pour le palais du roi, et tout un monde vint leur offrir des vœux.
Guschtasp fit parer la salle d’audience et le trône; son cœur se réjouit de ce fils, favori de la fortune;
On plaça des tables dans les salles de festin, le roi ordonna au chambellan d’appeler les grands, et de la porte de chaque palais un convive se rendit auprès du roi illustre; des échansons brillants comme le soleil distribuèrent du vin royal dans des coupes de cristal, et Isfendiar enflamma le cœur de ses amis et consumait par sa bravoure le cœur de ses ennemis.
Il but modestement à la santé de son père, et le père de même but à la santé du fils;
Guschtasp lui demanda de raconter aux grands de l’Iran ce qui lui était arrivé sur la route des sept stations, mais Isfendiar répondit à Guschtasp:
Ne me demande pas cela pendant le banquet, je te dirai tout demain,ô roi du peuple, plein de sens;
Je te raconterai ces longues histoires, mes lèvres prononceront des paroles de vérité, et quand tu les auras écoutées avec ton esprit intelligent, tu adoreras la justice de Dieu, qui accorde la victoire.
A la fin tous les hôtes s’en retournèrent ivres, chacun tenant par la main un page au visage de lune.
L’aventure des sept stations est terminée et mon esprit, plein de pensées profondes, s’y est rajeuni; c’est Dieu, le très-juste, le maître du soleil et de la lune brillante, qui m’en a doué, et si mon récit plait au roi victorieux, je chevauche sur la sphère du ciel qui tourne. J’invoque des bénédictions sur la vie du roi; puisse son cœur ne pas connaître le souci dans ce monde! Il faut maintenant boire du vin bien-faisant, car les outres qui répandent un parfum de vin arrivent de la vallée. L’air est plein de bruits, la terre bouillonne; heureux celui dont le cœur se réjouit en buvant, qui a de l’argent, du pain, des fruits confits et du vin de dattes, et qui peut tuer un mouton!
Quant à moi, je n’ai rien de tout cela.
Heureux celui qui possède ces choses! qu’il donne donc à ceux qui sont dans le besoin.
Le jardin est couvert de feuilles de roses, la montagne est remplie de tulipes et de nard; le rossignol se lamente dans le bosquet, et la rose grandit sous ses plaintes; dans la nuit sombre le rossignol ne dort pas, et la rose s’affaisse sous le vent et la pluie. Je vois le vent et la pluie. sortir du nuage, et je ne sais pourquoi le narcisse est triste. Le rossignol rit, et chaque fois qu’il se pose sur la rose, il fait entendre son chant; je ne sais lequel des deux est amoureux, du nuage ou de la rose, quand j’entends le nuage rugir comme un lion, quand je le vois déchirer le devant de sa tunique, que le feu éclate dans son sein, et que les larmes qui tombent du ciel sur la terre témoignent de son amour devant le puissant soleil.
Mais qui sait ce que le rossignol dit et ce qu’il cherche sous les feuilles du rosier?
Fais attention, à l’aube du jour, si tu entends les chants héroïques que récite le rossignol: il pleure la mort d’Isfendiar, et ses plaintes sont tout ce qui reste de ce héros; et pendant la nuit sombre le nuage qui répète le cri de Rustem fend le cœur de l’éléphant et les griffes du lion.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021