Zal fit amener du Zaboulistan tous les troupeaux qu’il y possédait et quelques-uns du Kaboul.
On les fit passer tous devant Rustem et on lui expliqua les marques des rois ; mais chaque cheval que Rustem attira vers lui et sur le dos duquel il posa la main, plia sous son effort et toucha du ventre à la terre.
Il continua ainsi jusqu’à ce qu’il arrivât un troupeau de Kaboul et qu’on poussât devant lui cette masse de chevaux de toutes couleurs.
Une jument grise passait rapidement, sa poitrine était comme celle d’un lion, ses hanches étaient courtes, ses deux yeux comme des poignards brillants, sa poitrine et ses jambes étaient grasses, mais sa taille était mince.
Un poulain aussi grand qu’elle la suivait, sa croupe et sa poitrine étaient larges comme celles de la mère, son œil était noir, sa queue levée, ses testicules noirs et durs, ses sabots semblables à l’acier.
Tout son corps était pommelé comme de taches roses sur un fond safran.
Dans la nuit il aurait distingué avec ses yeux, à une distance de deux farsangs, une petite fourmi sur un feutre noir ; c’était un éléphant par la force, un chameau par la taille et par la vigueur un lion du mont Bisoutoun.
Rustem, aussitôt qu’il eut vu la jument et fixé ses regards sur son poulain au corps d’éléphant, fit un nœud à son lacet digne d’un roi pour séparer le poulain du troupeau.
Le vieux pâtre lui dit :
Ô homme puissant, ne prends pas le cheval d’autrui.
Rustem lui demanda :
À qui donc appartient ce cheval ?
Il n’a de marque sur aucune cuisse.
Le pâtre répondit :
Ne cherche pas de marque.
Il court sur ce cheval beaucoup de bruits ; nous le nommons Raksch ; il est pommelé, brillant comme l’eau et vif comme la flamme.
Nous ne lui connaissons pas de maître, mais nous l’appelons le Raksch de Rustem.
Il y a trois ans qu’il est propre à porter selle et qu’il attire les yeux des grands ; mais dès que sa mère voit le lacet d’un cavalier, elle accourt comme une lionne pour se battre.
Nous ne savons pas, ô Pehlewan du monde, quel secret est caché là-dessous ; mais garde-toi, ô homme prudent, de tourner ainsi autour de ce dragon ; car quand cette jument se met à attaquer, elle déchire le cœur du lion et la peau du léopard.
Quand Rustem eut entendu ce discours, il comprit le sens des paroles du vieillard, il fit voler son lacet royal et prit soudain dans le nœud la tête du poulain pommelé.
La mère accourut comme un éléphant furieux et voulut lui arracher la tête avec ses dents ; mais Rustem rugit comme un lion sauvage et la jument fut étonnée de sa voix.
Il lui donna avec la main un coup sur la tête et la nuque et fit rouler dans la poussière son corps tremblant.
Elle tomba, puis fit un bond, s’enfuit devant lui et courut vers le troupeau.
Rustem affermit ses pieds sur le sol, resserra le nœud de son lacet, étendit ses puissantes mains de héros et en posa une de toute sa force sur le dos du cheval ; mais Raksch ne plia pas sous sa main, tu aurais dit qu’il ne s’en apercevait pas.
Rustem dit en lui-même :
Voici mon siège, c’est maintenant que je peux faire de grandes choses.
Il sauta sur Raksch rapide comme le vent et le cheval couleur de rose s’élança sous lui.
Il demanda au pâtre :
Quel est le prix de ce dragon et qui peut m’en dire la valeur ?
Le pâtre répondit :
Si tu es Rustem, monte-le et redresse les griefs du pays d’Iran.
Son prix est la terre d’Iran et monté sur son dos, tu sauveras le monde.
Rustem sourit de telle sorte que ses lèvres devinrent semblables au corail et il dit :
C’est à Dieu qu’il appartient de faire le bien.
Il mit une selle sur le dos du cheval couleur de rose et sa tête se remplit du désir de la vengeance et des combats.
Il ouvrit la bouche de Raksch et vit qu’il était rapide, qu’il avait du courage, de la force et de la race et qu’il pouvait porter sa cuirasse, son casque et sa massue, son corps de héros, sa poitrine et ses bras.
On eut tant de soin de ce cheval que dans la nuit on brûlait de la rue devant lui pour le garantir du mal.
De quelque côté qu’on le regardât, il semblait être une œuvre de magie et dans le combat une biche qui courait ; il avait la bouche tendre, l’écume abondante, de l’ardeur, des hanches rondes, de la sagacité et l’allure douce.
Le cœur de Zal était comme le gai printemps, dans la joie qu’il ressentait à cause de Raksch, coursier d’un nouveau genre, monté par un cavalier fortuné.
Il ouvrit les portes de son trésor et distribua de l’or, ne pensant ni au jour ni au lendemain.
Il jeta les cailloux dans le vase à sept couleurs et poussa un cri qui se fit entendre à plusieurs milles.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021