Le rideau qui cachait le soleil s’étant levé, l’aurore ayant paru et le sommeil s’étant dissipé, les deux insensés brûlèrent du désir de laver leurs yeux de toute honte.
Ils marchèrent d’un pas hautain et se dirigèrent vers les tentes du roi.
Iredj les vit de son pavillon et alla au-devant d’eux le cœur plein d’amour.
Ils rentrèrent avec lui dans sa tente et bientôt l’accablèrent de toutes sortes de questions.
Tour lui dit :
Puisque tu es le plus jeune de nous, pourquoi as-tu mis le diadème sur ta tête ?
Te convient-il d’occuper l’Iran et le trône de l’empire et à moi de rester prêt à obéir, comme un esclave à la porte des Turcs ?
Ton frère aîné s’afflige d’être relégué dans l’occident et toi tu tiendrais la couronne sur ton front, le trésor sous tes pieds !
Voilà le partage qu’a fait cet homme avide de domination ; il n’a tourné sa face que vers le plus jeune de ses fils.
Lorsque Iredj entendit ce discours de Tour, il lui répondit par ces saintes paroles :
Ô seigneur avide de gloire !
Si tu désires le bonheur, cherche le repos.
Je ne veux plus ni de la couronne royale, ni du trône, ni du pouvoir glorieux, ni de l’armée d’Iran ; je ne veux ni l’Iran, ni l’occident, ni la Chine, ni l’empire, ni la vaste surface de la terre.
Le pouvoir qui aurait pour fin la discorde serait un honneur qu’il faudrait pleurer.
Quand même la grande voûte du ciel porterait ta selle, à la fin ta couche sera une brique.
Si le trône d’Iran m’a appartenu, je suis las de la couronne et du trône, je vous donne le diadème et le sceau royal ; mais soyez sans haine contre moi.
Je ne vous attaque pas, je ne vous combats pas, je ne veux affliger le ce cœur de personne.
Je ne demande pas la possession de ce monde, si cela vous attriste, quand même je resterais loin de nos regards.
Je suis habitué à être humble et ma foi me commande d’être humain.
Tour écouta toutes ces paroles, mais il n’y fit aucune attention.
Il n’approuve pas ce discours et l’esprit de paix d’Iredj ne le satisfit pas.
Il se leva de son siège en colère, il lui répondit en bondissant à chaque parole.
Tout à coup il quitta la place où il avait été assis, il prit avec sa main son lourd siège d’or et en frappa la tête du roi, maître de la couronne, qui lui demanda grâce pour sa vie, en disant :
N’as-tu aucune crainte de Dieu, aucune pitié de ton père ?
Est-ce ainsi qu’est ta volonté ?
Ne me tue pas, car à la fin Dieu te livrera à la torture pour prix de mon sang.
Ne te fais pas assassin, car, de ce jour, tu ne verras plus trace de moi.
Approuves-tu donc et peux-tu concilier ces deux choses, que tu aies reçu la vie et que tu l’enlèves à un autre !
Ne fais pas de mal à une fourmi qui traîne un grain de blé ; car elle a une vie et la douce vie est un bien.
Je me contenterai d’un coin de ce monde, où je gagnerai ma vie par le travail de mes mains.
Pourquoi t’es-tu ceint pour le meurtre de ton frère ?
Pourquoi veux-tu brûler le cœur de ton vieux père ?
Tu as désiré la possession du monde, tu l’as obtenu ; ne verse pas de sang, ne te révolte pas contre Dieu, le maître de l’univers.
Tour entendit ces paroles et ne répondit pas ; son cœur était plein de rage, sa tête pleine de vent.
Il tira un poignard de sa botte et couvrit Iredj du haut en bas d’un torrent de sang, déchirant la poitrine royale de son frère avec son poignard d’acier, dévorant comme le poison.
Le haut cyprès tomba, les entrailles du roi étaient déchirées.
Le sang coulait de ce visage plein de roses et le jeune maître du monde avait cessé de vivre.
Alors Tour sépara avec son poignard la tête couronnée de ce corps, semblable au corps d’un éléphant et tout fut fini.
Ô monde !
Toi qui l’avais élevé sur ton sein, tu n’as pas eu pitié de sa vie !
Je ne sais à qui tu es favorable en secret, mais il faut pleurer de ce qui apparaît de ton action.
Et toi, homme confondu d’étonnement, dont le cœur est plein de douleur et de peur du monde et troublé, comme celui de ces rois, par le désir de la vengeance, prends leçon de ces deux méchants.
Tour remplit le crâne d’Iredj de musc et d’ambre ; il l’envoya au vieillard qui avait distribué le monde et lui fit dire :
Voilà la tête de ce mignon, sur laquelle était revenue la couronne de nos pères.
Donne-lui maintenant la couronne ou le trône !
Il est tombé, cet arbre des Keïanides qui jetait au loin son ombre!
Les deux méchants s’en retournèrent, l’un vers la Chine, l’autre vers Roum.
Dernière mise à jour : 7 sept. 2021